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mercredi 1 août 2018

Conservation (Raymond Carver)


Le mari de Sandy restait sur le canapé depuis qu'il avait été viré. Trois mois plus tôt, il était rentré pâle et nerveux, avec toutes ses affaires de travail dans une boîte.
— Joyeuse Saint-Valentin, dit-il à Sandy en posant sur la table de la cuisine une boîte de chocolats en forme de cœur et une bouteille de Jim Beam.
Il ôta sa casquette et la mit aussi sur la table.
— Je me suis fait virer aujourd'hui. Qu'est-ce que tu crois qu'on va devenir, maintenant ?
Sandy et son mari s'assirent à la table, burent le whisky et mangèrent les chocolats. Ils parlèrent de ce qu'il pourrait faire au lieu de poser des toits sur des maisons neuves. Mais ils ne trouvèrent rien.
— Si j'en crois le philosophe Albert Camus, nous devons nous attendre à éprouver la pénible sensation de vivre isolés dans un univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort, dit Sandy. D'après lui, ce n'est pas le monde qui est absurde, mais la confrontation de son caractère irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme. Il prétend aussi que l'étant existant a du mal à accepter que vivre se réduise à « faire les gestes que l'habitude commande », et que c'est pour avoir reconnu le dérisoire de cette habitude, et le caractère insensé de cette agitation quotidienne, que de nombreux désespérés, exempli gratia Edmond-Henri Crisinel dit « le Nerval vaudois », ont commis l'homicide de soi-même.
— Eh bien, ça promet, dit son mari.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

mercredi 11 juillet 2018

Et ça, qu'est-ce que tu en dis ? (Raymond Carver)


Il ne restait plus trace en lui de l'optimisme qui avait teinté sa fuite de la ville. Il s'était évaporé au soir du premier jour, tandis qu'ils roulaient vers le nord entre deux rangées ténébreuses de séquoias géants. Désormais, les pâturages de l'ouest du Washington, leurs vaches, leurs corps de ferme épars, ne semblaient plus rien promettre, rien en tout cas de ce qu'il désirait vraiment. Et à mesure qu'il avançait, un sentiment de révolte et de désespoir grandissait en lui. Une citation du philosophe Albert Camus lui revint en mémoire : « Dans l'épreuve quotidienne qui est la nôtre, la révolte joue le même rôle que le "cogito" dans l'ordre de la pensée : elle est la première évidence. Mais cette évidence tire l'individu de sa solitude. Elle est un lieu commun qui fonde sur tous les hommes la première valeur : Je me révolte donc nous sommes. » Oui, décidément, Camus avait raison : la révolte métaphysique est le mouvement par lequel un homme se dresse contre sa condition et la création toute entière. Il eut un haussement d'épaule et il sortit une cigarette. Ensuite il se lécha les lèvres, se tourna vers Emily et se força à sourire.
— Eh bien nous y voilà, dit-il. Chez Camus, l'homme a une nature humaine, et c'est un point de fracture avec l'ontologie de Sartre.
— Tu ne veux pas te taire un peu, dis ?


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

lundi 25 juin 2018

Cheval blanc


Ce matin, vers 10 h 30, un homme de 49 ans s'est suicidé dans le hall de l'hôtel Le Cheval Blanc, place Bayard.

Il s'est tiré une balle dans la tête avec une arme de poing. Il est décédé sur place quelques minutes après l'arrivée des secours. Le quadragénaire charentais était vraisemblablement un client de l'hôtel.

Un acte désespéré dû à sa situation personnelle, faite d'ennuyeuse monotonie, de paroles superflues et de solitude — comme celle de tout un chacun, du moins s'il faut en croire le philosophe Albert Camus. (Sud Ouest, 7 mai 2012)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

lundi 11 juin 2018

Absurde camusien


« "C'est une affaire exceptionnelle au vu des conclusions auxquelles on arrive aujourd'hui : il s'agit d'un double suicide !" C'est par ces mots que Gérard Zaug a entamé la conférence de presse destinée à éclaircir les circonstances entourant la disparition de deux jeunes marins.

Il était environ 19 h 15 quand Anthony Deveaux, 25 ans, et Alexandre Sébert, 27 ans, sont passés par-dessus bord, alors que le Neway, un chalutier hauturier basé à Saint-Quay-Portrieux, était à quelques milles nautiques des Îles Scilly.

Pour étayer son propos, le procureur s'est appuyé sur les témoignages des trois membres d'équipage. Au moment des faits, le patron était à la passerelle. Quant aux deux autres matelots, l'un était aux manettes et l'autre réparait un filet. Selon eux, leurs deux amis se seraient d'abord isolés pendant une vingtaine de minutes, avant de revenir sur le pont à la demande du capitaine qui jugeait qu'il y avait du travail à finir. C'est Anthony Deveaux qui se serait jeté le premier à l'eau, imité, "deux à trois minutes plus tard au maximum", par son ami Alexandre Sébert. L'un à bâbord, l'autre à tribord.

"Il ne s'agit donc ni de deux chutes accidentelles, ni d'un homme qui saute pour sauver son ami tombé à l'eau, a assuré le procureur. C'est un acte volontaire. Ils ont nagé à l'opposé du bateau malgré la bouée qui avait été jetée à la mer."

Les deux marins n'ont laissé aucune lettre expliquant leur geste, mais leur fin tragique ne semble pas avoir surpris leur entourage proche. "Les deux hommes étaient dans des situations assez semblables : ils prisaient la littérature du philosophe Albert Camus et avaient la pénible sensation de vivre isolés dans un univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort, a souligné Gérard Zaug. Ils avaient coutume de dire que ce n'est pas le monde qui est absurde, mais la confrontation de son caractère irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme."


"Tout a été tenté pour les sauver", a expliqué Gérard Zaug, pour qui l'équipage, "au sein duquel régnait une excellente ambiance", n'a absolument rien à se reprocher. Quant à l'hypothèse d'une consommation d'alcool ou de stupéfiants susceptible d'expliquer un passage à l'acte, aucun élément matériel ne permet de l'établir. "Tout vient de cet existentialisme camusien profondément délétère" a conclu le procureur. » (Marine et Pêche, 23 avril 2013)

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

samedi 2 juin 2018

L'obsession de durer


Selon le philosophe Albert Camus, l'homme doit avoir pour unique préoccupation de durer. Et il conseille de prendre exemple sur la carpe, dont la vie séculaire, attestée par Buffon, est effectivement un fait physiologique très remarquable.

Cette argumentation fut toutefois jugée peu convaincante par l'écrivain et poëte vaudois Jean-Pierre Schlunegger dont la poésie, marquée par l'influence de Hölderlin, se caractérise par une oscillation perpétuelle entre la joie et la douleur, entre le bonheur et le malheur. Ce mouvement de balancier s'avérant à la longue trop dur à supporter, le barde, alors âgé de trente-neuf ans, procéda à son propre anéantissement le 23 janvier 1964 à Saint-Légier (canton de Vaud).


(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)