« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
dimanche 10 juin 2018
Inexistence de l'espace
Comme Zénon, l'homme du nihil conteste non seulement l'existence du mouvement et celle du temps, mais encore celle de l'espace. À ceux qui soutiennent que l'être se trouve dans l'espace, il demande : Quel être ? Où avez-vous vu de l'être ? — [silence embarrassé] — Et où se trouve cet espace ? — Dans l'espace, lui répond-on. — Et cet espace ? — Dans un autre espace. Récursivité infinie de laquelle il tire logiquement que l'espace en soi n'existe pas. Il en profite pour se recoucher, et gémir.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Décider, créer, habiter puis vivre... ensemble
« Quand plusieurs familles, personnes âgées ou encore jeunes couples se regroupent pour décider de leurs futurs logements au sein desquels ils partageront des espaces communs, cela s'appelle de l'habitat coopératif. Le concept commence à faire florès. Crise oblige, potagers, ateliers, chambres d'amis ou garages deviennent des lieux mutualisés.
C'est à Biarritz, au domaine de Françon, que l'association plaisamment nommée "Conférence permanente d'aménagement et d'urbanisme" va rassembler, ce lundi 25 novembre, des acteurs de cette forme de "solidarité immobilière". Au Pays basque, c'est à Bayonne que la première expérience en la matière verra le jour en 2015. Lors de cette journée baptisée "L'habitat participatif, partageons la conception et le vivre ensemble", un habitant du Séqué, projet réalisé par le COL (Comité Ouvrier du Logement), viendra raconter la phase de préparation et les objectifs de ces logements.
De plus en plus soutenus par les collectivités publiques, les projets d'habitat coopératif germent aujourd'hui dans le paysage français, après l'Allemagne et la Suisse. "Urbanistes, architectes et spécialistes de ce mode de logement participatif viendront témoigner. Ils évoqueront leurs expériences abouties, mais aussi les difficultés rencontrées", explique Jonathan Cazaentre, architecte.
Et ces difficultés existent bel et bien. Ainsi, suivant le médecin Alphonse Dupasquier, l'exposition à un autre Moi que le sien propre peut amener des désordres dans les fonctions digestives. "Sans admettre qu'autrui exerce directement une action fâcheuse sur le tube digestif, affirme le thérapeute, il est certain que sa vue provoque le dégoût, et que partout on a reconnu la nécessité de s'y dérober."
Au delà des inquiétudes que pose ce caractère répulsif du "monstre bipède", le colloque sera l'occasion de préciser la philosophie et les enjeux de la démarche.
Réponse pragmatique à la crise du logement ? Signe d'une société qui se transforme ? Et si habiter prenait un nouveau sens ? Ou si, au contraire, l'homicide de soi-même était la vraie solution ? » (Sud Ouest, 21 novembre 2013)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
L'heure du châtiment
Dans mon rêve, le Moi était condamné à faire amende honorable devant la principale porte de la ville, où il devait être conduit dans un tombereau, nus pieds, nue tête et en chemise, tenant en ses mains une torche de cire jaune du poids de deux livres, ayant la corde au cou et un écriteau devant et derrière portant ces mots « Empoisonneur du sieur Doppelchor, son hôte et bienfaiteur », puis à être mené en place publique pour y être rompu vif et jeté subito presto dans un bûcher ardent.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Résolution devançante
Les gardiens de la paix du commissariat central de Montpellier qui sont intervenus ce dimanche matin dans une rue du quartier du Millénaire assurent que c'est la première fois de leur carrière qu'ils étaient confrontés à pareille scène macabre : un homme pendu avec sa ceinture de sécurité !
C'est un témoin qui a donné l'alerte aux sapeurs-pompiers du Sdis 34, et ces derniers sont rapidement intervenus avec un médecin, dans une impasse située entre le rond-point de Richter et le Millénaire. À leur arrivée, il ont trouvé le conducteur d'une voiture décédé par pendaison, sa ceinture de sécurité passée autour du cou. Des patrouilles de police-secours et un officier de police judiciaire de permanence à la sûreté départementale de l'Hérault, rapidement sur place, ont cru dans un premier temps que la victime s'était étranglée accidentellement avec la ceinture.
C'est le médecin légiste appelé pour faire un examen sommaire du corps qui a exclu cette hypothèse pour privilégier un geste volontaire. Un suicide qui aurait été confirmé depuis ce matin par les investigations policières.
Le trentenaire paraissait dépressif. Il avait d'ailleurs commencé il y a quelque mois une thèse de doctorat sur La mort à travers l'ouverture du Dasein où il se proposait de mettre en rapport le problème de la mort avec les thèmes qui interviennent dans la deuxième section d'Être et temps : la conscience, la temporalité et l'historialité. Plus précisément, il voulait, selon les enquêteurs, « révéler la multiplicité des liens rapprochant les deux dimensions de l'être du Dasein, afin d'éclairer la possibilité d'une unité du phénomène originaire de la résolution devançante (vorlaufende Entschlossenheit) — quoi que cela puisse vouloir dire ». (e-Métropolitain, 28 janvier 2018)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Avantage qualitatif
Les membres supérieurs de l'homme du nihil, restés libres pour la préhension, diffèrent nettement de ses membres inférieurs, qui lui servent essentiellement à la marche dans le « désert de Gobi de l'existence ».
Quand il s'agit de se détruire, cette asymétrie lui confère un avantage inappréciable sur l'orang-outan des îles de Sumatra et de Bornéo, le chimpanzé et le gorille de Guinée, et même sur les gibbons dont les différentes espèces vivent sur le continent de l'Inde ou dans les îles qui s'en rapprochent.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Limites du doute systématique
« Le sceptique Timon de Phlius enseignoit que quiconque aspiroit à être heureux, devoit tenir toutes choses pour incertaines et indifférentes ; que les sens et les opinions ne nous apprennent point ce qui est vrai, ni ce qui est faux ; qu'ainsi nous ne devions incliner notre esprit, ni d'un côté ni d'autre ; qu'il ne falloit rien assurer, mais que de quelque chose que l'on parlât, il ne falloit pas plutôt dire qu'elle est, que de dire qu'elle n'est pas : et que quiconque demeureroit dans cette disposition, ne seroit exposé à aucun trouble d'esprit, ni à aucune inquiétude. » (Pierre Daniel Huet, Traité philosophique de la foiblesse de l'esprit humain, Amsterdam, 1723)
Malgré ces promesses pompeuses, le suicidé philosophique préfère s'en remettre à son colt Frontier. Une arme dogmatique, certes, mais qui, selon son fabricant, élimine trouble d'esprit et inquiétude plus sûrement que le pyrrhonisme.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Pis-aller
Il existe un type de constipé auquel convient assez le nom d'« utopiste déconfit » : celui qui, rejeté de la défécation par la trop grande idée qu'il s'en fait et par ses échecs répétés, se réfugie dans ce qu'on pourrait appeler « la coquille du récit court et du feuilleton », autrement dit les « crottes de lapin », sans toutefois jamais s'en satisfaire pleinement.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Le fils de Satan (Charles Bukowski)
J'avais onze ans et mes deux copains, Hass et Morgan, tous les deux douze, et c'était l'été, pas d'école, et on était assis dans l'herbe au soleil derrière le garage de mon père en train de fumer des cigarettes.
— Merde, dis-je.
J'étais assis sous un arbre. Morgan et Hass étaient assis par terre, adossés au garage.
— Qu'est-ce qui y a ? demanda Morgan.
— Faut qu'on coince ce salaud. C'est la honte du quartier.
— Qui ? demanda Hass.
— Simpson.
— Ouais, fit Hass. Trop de taches de rousseur. Il m'agace.
— C'est pas ça, dis-je.
— Ah, bon ? fit Morgan.
— Ouais. Ce salaud raconte partout que l'expérience ne nous livre que ce qui est relatif à nos facultés de connaître et ne nous permet pas d'accéder à la réalité en soi, de percer les secrets de l'être. C'est un foutu mensonge.
— Sûr, dit Hass.
— C'est un putain de menteur, dis-je.
— Y a pas de place pour les menteurs ici, dit Hass en soufflant un rond de fumée.
— Je supporte pas d'entendre ces conneries de la part d'un mec qu'a des taches de rousseur, dit Morgan.
— Alors on devrait peut-être le coincer, suggérai-je.
— Allons-y, dit Morgan.
On a pris l'allée de chez Simpson. Il jouait à la balle contre la porte du garage.
Sans prévenir, je lui ai expédié une droite dans l'estomac. Il s'est plié en deux en se tenant le ventre.
— Laisse tomber Kant et lis plutôt Bergson, ça vaudra mieux pour ta santé, j'ai dit.
(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)
Piano à queue
Dans Le Trésor de Rackham le Rouge, sur le pont du navire qui emporte Tintin et ses compagnons vers l'endroit où ils espèrent trouver l'épave et le trésor, Tournesol pointe son index osseux d'herméneute vers un point situé à quelque distance et demande au capitaine Haddock : « Dites, capitaine, est-ce un poisson, cet animal qui vient de sauter hors de l'eau, là-bas ? » Et le capitaine de répondre : « Non, c'est un piano à queue !... »
Comment interpréter cette réponse ? Haddock raille-t-il la sententia vocum, la doctrine des mots, qui veut que les genres et les espèces soient, comme le représente Anselme dans son œuvre De Incarnatione Verbi, des flatus vocis (des émissions de voix), et non des choses (car les choses sont des individus réels) ? Nous ne pouvons ici que poser la question.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
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