« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
samedi 21 juillet 2018
Du traumatisme infantile à la psychose
Fait peu connu mais qui en dit long, l'enfant Søren Kierkegaard n'eut pas de jouets : son père lui faisait regarder des images religieuses montrant par exemple le Christ agonisant sur la croix, Abraham levant son couteau sur Isaac, ou le Père Dupanloup obtenant la rétractation de Talleyrand sur son lit de mort.
Comment s'étonner dès lors si le philosophe danois fit ensuite de l'angoisse une catégorie essentielle de sa pensée et s'il dut se séparer de Régine Olsen juste après s'être fiancé à cette bourrelle, séparation qui fut son « écharde dans la chair » car elle attestait l'impossibilité où se trouvait le « penseur privé » de rentrer dans les catégories humaines ordinaires, et notamment le mariage — si tant est qu'on puisse appeler le conjungo une « catégorie humaine ordinaire » ?
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Les affreux chuintements du Dasein
« Qui a commandé du borchtch ? demanda la patronne de l'établissement, une forte femme assez malpropre d'une quarantaine d'années, qui entrait avec un plat de chtchi à la main. » (Léon Tolstoï, Les récits de Sébastopol)
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Ultime récréation
Chacun peut reconnaître que la vie de l'« étant existant » est affreusement morne, et qu'il est absolument nécessaire d'y apporter quelques récréations. Mais alors, pourquoi avoir systématiquement pourchassé, décrié, anathématisé la récréation reposante par excellence : l'homicide de soi-même ?
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Sol phénoménologique de la mondanité
« Les marins espagnols ont les premiers appelé l'attention sur la calenture. C'est une maladie fébrile particulière aux marins, et à laquelle on assigne pour symptôme dominant, un délire furieux, avec désir irrésistible de se précipiter à la mer. Toutefois, cet entraînement impérieux ne doit pas être donné comme l'expression d'un penchant au suicide, mais comme le résultat des illusions et des hallucinations qu'éprouvent les matelots ayant fait un usage immodéré de la phénoménologie d'Eugen Fink. Non seulement la mer leur apparaît comme une plaine semée de gazon et émaillée de fleurs, mais, sous l'influence dudit philosophe, le flux ininterrompu de la temporalisation, en tant qu'il assure les toutes premières congruences synthétiques de l'activité intentionnelle, leur semble le sol phénoménologique le plus profond de la mondanité. » (Jean-Pierre Falret, Du délire, Paris, Cosson, 1839)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Initiative citoyenne contre le compteur Linky à Albi
« Le CLIC (Comité Local d'Initiative Citoyenne) a réuni 200 personnes qui se sont exprimées pour dire non au compteur Linky d'ERDF. Elles ont décidé, prenant en compte le fait que ces compteurs appartiennent aux municipalités, de s'adresser à la mairie d'Albi afin que celle-ci délibère officiellement en faveur d'un moratoire suspendant la pose du Linky.
"Le CLIC, constatant que l'Association des Maires de France s'inquiète à son tour de ce type de compteur et qu'aucun débat public n'a eu lieu dans notre ville, appelle les citoyens d'Albi à se rassembler le lundi 11 avril dans la cour de la mairie d'Albi et à y brûler en effigie le philosophe Merleau-Ponty".
Pourquoi le philosophe Merleau-Ponty ? Peut-être parce qu'il voyait dans le "corps propre" une condition permanente de l'expérience, un constituant de l'ouverture perceptive au monde et à son investissement ? En tout cas, comme on peut le voir, on n'y va pas de main morte, au CLIC ! » (La Dépêche, 6 avril 2016)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Du mutisme inopiné de l'être-jeté
Dans l'un de ses entretiens avec Julien Hervier, Ernst Jünger rapporte cette savoureuse anecdote sur le plus célèbre ontologue du Bade-Wurtemberg : « Un jour, Heidegger fut piqué à la nuque par une abeille, et mon frère lui dit que c'était excellent pour les rhumatismes : Heidegger ne sut quoi lui répondre. »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Sphère infinie
L'homme du nihil, qui n'hésite jamais devant les pensées inouïes, a repris plusieurs fois l'image de la sphère infinie « dont le centre est partout et la circonférence nulle part » 1, dans des ouvrages dont il est probable que Pascal a eu connaissance. Ce n'est toutefois ni Dieu ni la Nature qu'il décrit ainsi, mais le terrible Rien.
1. Cette image apparaît pour la première fois, s'il faut en croire Gragerfis, dans une compilation anonyme du XII e siècle, un écrit pseudo-hermétique, le Livre des XXIV philosophes.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Hérisson
En 1896, Heidegger a sept ans. Un jour, alors qu'il se promène en forêt avec son ami Wolfgang Schmidt, il trouve un hérisson sur le bord du chemin. Il ramasse le petit mammifère mais ressent une douleur cuisante aux doigts et le relâche aussitôt.
Cette mésaventure tragi-comique le pousse à formuler une question que l'on pourrait qualifier de leibnizienne et qu'il commentera plus tard de façon singulière dans sa leçon inaugurale de 1929 Qu'est-ce que la métaphysique : « Pourquoi y a-t-il en général de l'étant, et non pas plutôt rien ? Et pourquoi est-il pourvu de piquants ? »
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Delirium tremens
La vie, divagation lagéniforme de dipsomaniaques angoissés.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Insatisfaction
L'homme du nihil rappelle ces héros raciniens que l'on peut justement décrire comme d'éternels insatisfaits. À l'instar d'Athalie, il jouit du fruit de sa sagesse nihilique, mais cette jouissance ne lui apporte que vide et ennui. Après avoir traîné quelque temps sa fastidieuse carcasse, il en arrive à la conclusion que seule une cartouche de calibre .44 russian pourra combler son vide existentiel — chez Athalie, en revanche, c'est la découverte de l'« enfant de Dieu » Joas qui la sort du marasme.
Cette prise de conscience fait également du suicidé philosophique un personnage augustinien par excellence. Dans la Doctrine chrétienne, l'évêque d'Hippone n'écrit-il pas : « Il y a des objets qui sont objets de jouissance, d'autres d'usage. [...] Si nous voulons retourner dans une patrie où nous puissions être heureux, nous devons user de ce monde, non pas en jouir. » — Or, quel meilleur objet d'usage que le Smith & Wesson chambré pour le .44 russe ? Et quelle patrie plus accueillante, plus propre à réjouir le cœur de l'homme que le Rien ?
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
La mer et la mort
Commentant un passage de l'Apocalypse de Saint Jean, le théologien Isaac-Louis Le Maistre de Sacy s'exclame : « Ce sera sans doute un spectacle bien surprenant de voir tous les morts sortir, ou de la mer, ou de leurs tombeaux, pour comparoître devant le tribunal de la majesté divine, grands et petits, soit ceux qui sont morts dans un âge avancé, soit ceux qui sont morts dans leur enfance ; mais ils ressusciteront tous dans un âge parfait, tel qu'est celui auquel Jésus-Christ est ressuscité ». Et il poursuit : « La mer renferme dans son sein des morts qui ne sembloient pas en devoir jamais revenir. Tous ceux qui ont été submergés ont été dévorés et consumés par les poissons, comme s'ils devoient être tout à fait anéantis ».
Il est difficile, en lisant ces mots, de ne pas songer à la tragique destinée de la poétesse argentine Alfonsina Storni Martignoni. À vingt-quatre ans, elle publie un premier recueil, Écrits pour ne pas mourir. Après le suicide de son ami Horacio Quiroga, elle souffre de solitude et d'ennui, et le 25 octobre 1938, elle avance sur la plage, à Mar del Plata, pour se perdre dans les vagues d'un océan démonté. Elle meurt à quarante-six ans et est aussitôt « dévorée et consumée par les poissons ».
Au dire de Gragerfis, son « conscient intérieur » était de longue date « voilé d'une onctueuse et terrible noirceur », et « envahi par deux images obsédantes : la mer et la mort ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
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