lundi 3 décembre 2018

Tragédie lyrique


Étang de Soustons, deux heures de l'après-midi. On entend au lointain un son funèbre de trompettes mêlé de cris de douleur. Tout le monde est saisi d'un terrible pressentiment.

Alamire. Pleurez tous : je vous apporte une terrible nouvelle.

Irène. Eh bien ? Parle vite !

Antonine. Comme mon cœur bat !

Alamire. Voilà : rien n'a de sens. Dois-je le répéter ? Rien n'a de sens. — Pis encore : rien ne sert à rien.

Irène. Hélas !

Antonine. Quel coup !

Justinien. Si j'étais seul, je me jetterais instantanément à l'eau. Jamais je n'ai ressenti avec une telle violence le besoin de mettre un terme à tout ça.


(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune fille lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Une idée vorace


L'idée du Rien est carnivore. Les êtres dont la pachyméninge s'ouvrent à cette idée sarcophage sont dévorés par elle en quarante jours, les dents exceptées. Elle boulotte aussi les miroirs, les brosses, les vêtements et les chaussures de l'infortuné. C'est Thrasylle le Mendésien qui l'affirme.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Solipsisme (en manchettes)


Encellulé dans l'icosaèdre du Moi, où toute « réalité empirique » se dilue.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Tournis du mouton


23 décembre. — M. Davaine, dans son Traité des entozoaires et des maladies vermineuses de l'homme et des animaux domestiques parle en ces termes du tournis du mouton : « À mesure que la maladie fait des progrès, le tournoiement devient plus fréquent et de plus longue durée, jusqu'à ce que la paralysie des membres vienne y mettre un terme. De temps en temps l'animal éprouve des attaques convulsives pendant lesquelles la respiration est très difficile, stertoreuse, et la sensibilité généralement abolie. Enfin la vue se perd totalement, la pupille reste largement dilatée ; la mastication est lente et incomplète ; la marche, la station même deviennent difficiles et impossibles ; l'amaigrissement, qui s'est prononcé dès le début, fait des progrès rapides, et la bête succombe dans le marasme. »

— La lecture de ce passage me plonge moi-même dans un marasme épais.
Et je crains que mon sommeil ne soit visité par des moutons tournoyants, à la mastication lente et incomplète...


(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune femme posant devant les œuvres complètes de Hermann von Trobben

Ornement de la vie


L'idée du Rien se dresse sur les escarpements de la montagne Ling-nan, élégante et belle, bien qu'elle n'ait pas subi l'action du ciseau ou de la doloire. On l'emploie comme ornement et comme remède aux innombrables horreurs de l'existence. C'est une panacée. Elle guérit les ulcères malins, les fistules ; elle chasse les fantômes, les mauvais esprits. Elle éloigne les miasmes. Cette idée est chose merveilleuse.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Phatique


Tout discours parlant d'autre chose que du Rien relève de la fonction phatique du langage.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Yponomeute du fusain


20 décembre. — L'idée me vient qu'à certains égards, la pensée de l'homicide de soi-même est analogue à l'yponomeute du fusain. On trouve d'ailleurs confirmation de cette ressemblance dans le passage que M. Émile Blanchard, de l'Académie des Sciences, consacre à ce coléoptère dans sa Zoologie agricole.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)