samedi 15 juin 2024

Allergie à l'oulipisme

 

Quelqu'un qui n'aime ni soi-même ni les autres, il ne faut pas s'attendre à ce qu'il aime non plus les petits jeux littéraires d'un Georges Perec. Au contraire, ces singeries oulipiennes le courroucent au suprême. Les enchevêtrements de contraintes ordonnées selon un bicarré latin orthogonal d'ordre dix, ça lui donne envie de cogner.
 
(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Un Judas

 

Nous ne pouvons qu'en vouloir énormément au poëte Francis Ponge d'avoir pris le parti des choses. Elles nous en ont tant fait voir, les choses ! — automobiles qui ne démarrent pas, chasses d'eau qui fuient, appareils électroménagers qui rendent l'âme, chaussettes trouées, et cætera. Et il prend leur parti, le salop. — Judas !
 
(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Visqueux froid

 

Émile Cioran a raison quand il dit qu'il est terrible de naître. On est brutalement projeté dans « l'être », ce royaume du visqueux froid où abondent les poulpes et une foule d'autres mollusques céphalopodes. Cela produit une impression épouvantable. Il faut du temps pour s'y habituer.
 
(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Ce qui a lieu

 

Dans ses Lettres américaines, Gian Rinaldo Carli affirme que le bouc est le plus salace des quadrupèdes. Pour étayer ses dires, il rapporte une anecdote excessivement graveleuse mettant en scène un bouc du Cap et une dinde. En lisant ça, on se dit qu'il n'y a pas que le « monde des idées » qui n'est pas la crème : la nature non plus. Et l'on rumine l'intuition décisive de Wittgenstein : « Le monde est tout ce qui a lieu. »
 
(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)