lundi 31 décembre 2018

Interlude

Jeune femme lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Ou bien... ou bien


Le Rien résume et comble, pour l'homme du nihil, la capacité d'ouverture et de stimulation qu'il a vainement recherché dans les objets de la « réalité empirique ». Son exploration du pachynihil l'a conduit au pied de l'ultime cloison où il puisse atteindre, celle d'une ligne de partage entre l'impassibilité minérale du mâchefer et les émotions éphémères, les choix sans cesse à reconduire ou à reprendre du « monstre bipède ».

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Adieux au monde


N'articulant le geste ni le vocable, je procède in petto à la crémation rituelle de ma toge de cénobite mondain.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Page de journal


21 octobre. — « Une collection de sensations qu'il se risque parfois à appeler existence ». — Voilà qui est bien trouvé.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune fille lisant le Monocle du colonel Sponsz de Hermann von Trobben

Illumination


« Au début des années cinquante, alors que je contemplais le corps d'un suicidé que l'on venait de retirer de la Seine, il m'apparut que l'idée du Rien était l'aboutissement d'un tâtonnement millénaire, d'une expérience cosmique, d'une puissance de rupture dont la fission de l'atome venait de procurer un terrible exemple. Par elle, le monde avait sans doute commencé. Elle seule existe sur les étoiles encore sans vie. Je décidai aussitôt d'en faire l'alpha et l'oméga de ma pensée. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Réflexion macabre


Dans les griffes griffues du temps, il y a aussi l'artériole froide du suicidé.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Page de journal


16 octobre. — Gabriel Marcel dit — mais peut-on croire tout ce qu'il dit — que l'existence humaine « s'apparente, en première approximation, à une microdiorite quartzique injectée en laccolites dans la série sédimentaire permienne. »

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

dimanche 30 décembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant l'Apothéose du décervellement de Francis Muflier

Une différence de taille


Un jour qu'il avait été frappé par l'ordonnance des branches bifides du dragonnier des Canaries, Gragerfis écrivit dans son Journal : « Le Rien est un arbre pareil. » Mais dans l'arbre, la plus fine brindille est encore l'aboutissement d'un fût puissant qui, régulièrement, de carrefours en carrefours sans cesse simples et identiques, s'épanouit en dôme de feuilles minuscules. Tandis que dans le Rien... — Après réflexion, il biffa.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Nuit noire de l'âme


« À l'étang de Soustons, il est toujours deux heures de l'après-midi. » (Francis Scott Fitzgerald)

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

La maladie à la mort


22 octobre. — « Les meilleures choses ont une fin, et d'une façon ou d'une autre, il faut que la mélancolie se termine ; si le sujet n'a pas tenté de se suicider et réussi dans son projet, la maladie se termine par une mort plus ou moins lente, ou par la guérison, qui est toujours très éloignée si elle doit être solide. » (Paul-Ferdinand Gachet, Étude sur la mélancolie, Paris, 1864)

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune fille lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Conversation avec Peter Handke


Étang de Soustons, deux heures de l'après-midi. Sur son pliant, solitaire, un quidam est là qui contemple l'eau et semble ruminer de noirs pensers. Après un instant d'hésitation, Marcel Jutique prend son courage à deux mains et l'aborde.
 

Marcel Jutique : Monsieur, pardonnez-moi de troubler votre méditation. Ne seriez-vous pas l'écrivain Peter Handke ?
 

Peter Handke : Jawohl.
 

Marcel Jutique : Puis-je vous demander ce que vous faites ici, à l'étang de Soustons ? Un pélerinage à la mémoire d'Emil Cioran, peut-être ?
 

Peter Handke : J'ai tout dit.
 

Marcel Jutique : Vous étoudiez ?
 

Peter Handke : Non. J'ai tout dit.
 

Marcel Jutique : Je ne m'en mêle plus.
 

Il prend son chapeau et sort.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Acédie


En désespoir de découvrir un remède autre que le suicide à cette typhose existentielle, je m'installe dans une indifférence douloureusement phrastique, placée sous le vocable du Rien.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Page de journal


15 octobre. — « L'acarus marginatus, dit M. Raspail, abandonne la peau des pigeons et des oiseaux quand les premiers froids se font sentir, et va s'abriter sous les tas d'ordures et de fumier en fermentation accumulés pendant la belle saison, parce que là il trouve la température qu'il recherche : lorsque la faim le presse, et que son corps est échauffé, il se jette sur le premier oiseau qui fouille ce fumier, ou sur le quadrupède qui le foule aux pieds. L'homme n'en est pas épargné quand il aventure la main ou le pied nu dans ce foyer pullulant de la contagion et du parasitisme ».

— Le « foyer pulullant de la contagion et du parasitisme » ! Comme cela est beau et nous émeut au suprême !


(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

samedi 29 décembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Unité du monde


Certains excréments fossiles découverts en Sibérie recèlent, sécrétées par une sorte de glaire indécise, déjà non les ébauches, mais les strictes constructions polyédriques que le génie humain devait se montrer longtemps après capable de déduire par sa seule capacité de raisonner. Cette continuité singulièrement précise entre le monde mental et le monde matériel illustre, selon Gragerfis, le caractère unitaire du cosmos, l'existence d'une syntaxe générale, ce que l'auteur du Journal d'un cénobite mondain exprime métaphoriquement par le terme reginglette.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Mots


Rutilant ou obscène, le vocable charrie un limon obsédant. Il déambule sous l'os, où il répand les germes vireux d'une parodie de désespoir.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Noir animal


11 août. — Dans la commune de Vouzon, canton de la Motte-Beuvron, il existe une vaste lande de 500 hectares d'étendue appelée lande de Misabran, dans laquelle on a appliqué, il y a quelques années, un nouveau genre de culture qui a donné d'excellents résultats. On a commencé par défricher à bras un certain nombre d'hectares de bruyères, et, après avoir passé la herse, on a répandu sur la terre du noir animal, à raison de 4 hectolitres 1/2 par hectare, puis on a semé du seigle. La récolte a donné 25 hectolitres par hectare. La seconde année, labour à la charrue avec addition de noir animal et semis de seigle ou d'avoine avec trèfle ; les résultats ont été moins satisfaisants.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune femme lisant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Musée intérieur


Monstre bipède ! Ne te fie pas à l'apparence austère de l'homme du nihil ! Il enveloppe sous son écorce maussade et râpeuse une pinacothèque infinie, où il a réparti par manières et par sujets les innombrables tableaux de cette horreur qui tout à la fois le fascine et le repousse : le « réel ».

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

The Crack-Up


Il y a dans mon âme comme une crevasse, un intervalle entre les pieux jointifs et le batardeau, un espace rempli de fascines chargées de pierres, un genre de risberme.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Page de journal


17 août. — « Un Malabare, qui trouve une couleuvre dans sa maison, la supplie d'abord de sortir. Si les prières sont sans effet, il s'efforce de l'attirer dehors, en lui présentant du lait, ou quelque autre aliment. S'obstine-t-elle à demeurer ?, on appelle les Bramines, qui lui représentent éloquemment les motifs dont elle doit être touchée, tels que le respect du Malabare, et les adorations qu'il a rendues à toute l'espèce. » (Abbé Prévost, Histoire générale des voyages, Didot, Paris, 1746-1761)

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

vendredi 28 décembre 2018

Interlude

Jeune femme lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Tentative désespérée


À l'approche imminente du trépas, il n'est pas rare que le Dasein s'écrie : « C'est un malentendu ! Il y a maldonne ! Je suis le créateur John Galliano ! » — mais c'est en vain : bon gré mal gré, il doit bientôt se faire à sa nouvelle condition de de cujus. Il est, comme on dit, « décédé ».

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Rien de nouveau sous le soleil


Comme l'a remarqué Démocrite, « les porcs se vautrent dans le fumier ».

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Du sacrifice de rouquins


26 octobre. — Plutarque rapporte (d'après Manéthon, dit-il) qu'en Égypte, à certains jours, à Eléthya en Thébaïde, on brûlait vifs des hommes qu'on appelait typhoniens, et qu'on jetait leurs cendres au vent. Diodore de Sicile rapporte aussi qu'anciennement, les rois d'Égypte sacrifiaient sur le tombeau d'Osiris des hommes de la couleur de Typhon, c'est-à-dire des « rouquemoutes ». 

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune fille lisant Forcipressure d'Étienne-Marcel Dussap

Un ours


L'homme du nihil ne supporte aucune compromission avec le « fétide et rébarbatif réel ». Il doit parfois en absorber un élément fortuit, imprévisible, une écharde, mais il n'est jamais altéré que par violence. En outre, il cherche subito presto à expulser l'intrus de sa pachyméninge. Il ne l'accepte jamais que comme une brimade qu'il doit passagèrement tolérer. Comme il préfère l'intégrité géométrique du nihil au radotage et à la belote, il n'a pas d'amis et passe pour un être profondément asocial.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Haussmannien


Le suicide est aussi un immeuble bourgeois.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Pêche à la foëne


20 novembre. — La foëne est très utilisée pour la pêche des anguilles, dans les flaques d'eau laissées par la marée descendante, ou encore dans les herbiers ; en effet, comportant de nombreuses dents (sept, par exemple, voire neuf), la foëne permet de capturer aisément ce poisson, difficile à saisir autrement.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

jeudi 27 décembre 2018

Interlude

Jeune femme lisant l'Appel du nihil de Martial Pollosson

Couleur optique


Sur les ailes de certains papillons, par exemple le Mars changeant — mais on pourrait également citer le morpho —, le gris poussière du Grand Tout bascule d'un coup dans le bleu électrique du Rien suivant l'incidence de la lumière. De telles métamorphoses n'ont rien pour étonner l'homme du nihil : que la morosité le prenne, qu'il soit exposé à l'idéalisme fichtéen, et un banal flacon de taupicide lui paraît soudain un chatoyant paradis.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Déroute existentielle


Les vertus laxatives de l'heure font du suicide une orge pressante, trop pressante.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Présent de l'hyène


18 novembre. — Une hyène apporta un jour son petit, qui était aveugle, à Saint Paphnuce, qui le guérit ; le lendemain l'hyène apporta au saint une grande peau de brebis, qu'on appela le présent de l'hyène ; Paphnuce la donna à Sainte Mélanie l'aïeule. (Pallade, Hist. Lausiaque, l. VIII, c. 20).

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune femme lisant les Exercices de lypémanie de Marcel Banquine

Langage


Le nihilique trouve dans la rigueur du langage un garde-fou salutaire contre le laisser-aller qui procède sournoisement de l'idée du Rien. Il se défend d'ajouter aux mots des suffixes qui rendent nécessaire de délibérer pour en saisir le sens. Il prise la sobriété dans le syntagme comme en toute chose. Ainsi, il ne parvient pas à croire qu'un mot de plus de quatre syllabes soit nécessaire pour signifier la notion capitale de pachynihil.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Synthèse


Je voudrais que ma vie se résumât à un mot — celui zingibéracé.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Les bêtes aussi


31 décembre. — Le gloméris, animal arthropode voisin du cloporte, peut se rouler en boule, tandis que le réduve est un insecte hémiptère carnassier dont la larve se cache dans la poussière.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

mercredi 26 décembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant la Nostalgie de l'infundibuliforme de Robert Férillet

Beau sexe


Autre caractéristique de l'homme du nihil : la fascination et le recul devant l'immensité spongieuse de la femme, qu'il imagine, on ne sait pourquoi, « gorgée de miasmes, de pestilence, de fermentations délétères ».

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Heautontimoroumenos


L'individualité irréfutable du « Suisse » fait du sujet déféquant un bourreau de soi-même, un heautontimoroumenos.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Une histoire à peine croyable


17 novembre. — Capitolin raconte que Maximin le fils, encore jeune, ayant été invité à la table de l'empereur Alexandre Sévère, et n'ayant point d'habit de table, on lui en donna un de la garde-robe de l'empereur.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune fille lisant Prière d'incinérer. Dégoût de Luc Pulflop

Réel fossile


L'homme du nihil n'aime la « réalité empirique » que broyée — si possible réduite à un tas de sciure — ou fossile — quand le temps a enfin saturé de silice ses fines cellules. L'état pétrifié est à vrai dire celui qu'il préfère. Changé en pierre, le rébarbatif réel n'a plus les odeurs nauséeuses de la forêt après la pluie, mais une seule et pour toujours : celle du Rien, plus délectable que les effluves insinués du santal et que ceux suaves et douceâtres du cèdre.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Brrr !


Rien n'égale la glaçante étrangeté de cette révélation : la sarigue est pédimane.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Page de journal


16 novembre. — Ce n'est que fort tard que les Romains montrèrent des hyènes dans les jeux du cirque. D'après Jules Capitolin, c'est l'empereur Gordien le jeune qui, le premier, dans le premier tiers du troisième siècle de notre ère, montra, à Rome, dix de ces animaux, à l'occasion de son triomphe sur les Perses.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

mardi 25 décembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor

Réminiscence


Étang de Soustons, deux heures de l'après-midi. Un peu à l'écart, un suicidé philosophique échafaude impunément ses losanges de bronze dans la stupeur solaire. L'hygrométrie de l'air est nulle. Pas une goutte d'eau non plus à terre, dans une épaisseur hostile de verre pilé. — Suicidés philosophiques, victorieux des mers et des déserts, qui suscitez, de nos jours encore, d'étranges témoignages sur votre pouvoir de résistance et de prolifération, je vous salue !

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)