« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
samedi 1 septembre 2018
Un mollusque trapu
Comment ne pas être d'accord avec le peintre Salvador Dali quand il affirme que l'idée du Rien « possède l'élasticité moléculaire de l'escargot et, tout à la fois, la consistance de la gare de Perpignan » ?
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Manie suicide
Armé d'un couteau de cuisine, j'élis avec le seul génie et l'avare silence et la massive nuit.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Renaissance
Quoiqu'il ne soit pas un humaniste — c'est peu dire ! — l'homme du nihil se voit comme « le dernier homme de la Renaissance, avec votre permission » et se croit en droit de disputer le titre de « représentant majeur du néoplatonisme médicéen » à Marsile Ficin.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Agent de change
Voyant que l'on prenait le chemin de la grotte pour y déjeuner, je dirigeai mes pas du même côté. Nous mangeâmes comme des gens qui avaient dormi à l'air des montagnes et, lorsque notre appétit fut satisfait, nous priâmes le chef bohémien de reprendre le fil de son récit, ce qu'il fit en ces termes :
« L'homme du nihil éprouve à vivre le dégoût qu'un esthète aurait à visiter l'intérieur d'un agent de change. »
Comme le chef bohémien en était à cet endroit de son récit, il se rappela une affaire qui exigeait sa présence et nous demanda la permission de se retirer.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Paléontologie nihilique
« Mon goût pour l'étude du Rien m'avoit fait recueillir dès mon enfance, dans des couches anciennes des environs de Caen, des ammonites, des cypricardes, des pintadines et d'autres coquilles aussi vides de sens que je l'étois moi-même dans ma pâteuse redingote d'haeccéité. » (Jacques Louis Marin Defrance, Tableau des corps organisés fossiles, Levrault, Paris, 1824)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Paranoïa philosophique
« Au début de sa carrière, le philosophe est exclusivement préoccupé des intérêts de ce qu'il nomme la "vérité", qu'il croit incessamment compromise.
Plus tard, après qu'il a créé quelques concepts, il s'aperçoit que ces derniers ont une incidence nulle sur la réalité empirique, et à peu près autant d'utilité qu'un clystère dans le traitement d'un panaris. On le voit devenir inquiet, fantasque, impérieux, et singulièrement irritable ; il change ses habitudes, modifie son hygiène, ne se lave plus les pieds, etc. Il en vient à supposer que ses aliments sont empoisonnés, ou tout au moins qu'ils renferment des substances qui lui occasionnent des sensations pénibles.
Des hallucinations surgissent alors, et c'est dans cette période de la maladie que l'on observe une infinité de suicides, auxquels les "amis de la sagesse" sont poussés par la crainte de subir des supplices terribles, et pour se préserver du déshonneur et de l'infamie : or, chose remarquable, presque tous les philosophes ont une terreur invincible de la mort. » (D. Aubert, De la démence, Paris, Rignoux, 1862)
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Solipsisme existential
Ce « kiosque dans le Kamtchatka du néant », qui a nom le Moi.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Nocivité de l'existentialisme heideggérien
Le 22 février 1989, l'écrivain hongrois Sándor Márai, 88 ans, appauvri et esseulé dans sa maison de San Diego (Californie), se tire une balle dans la tête. Au dire de Gragerfis (Journal d'un cénobite mondain), l'origine de ce suicide serait à rechercher dans le sentiment d'inconfort, d'« intranquillité », qui naît de la lecture des œuvres de Martin Heidegger, et en particulier du passage suivant : « Avec la mort, le Dasein a rendez-vous avec lui-même dans son pouvoir-être le plus propre, indépassable » (Être et temps, § 50).
Si vraiment cette explication est la bonne, ne serait-il pas urgent de tenter d'entraver la propagation de cette « philosophie » et, par ce moyen, l'apparition des phénomènes morbides auxquels elle donne naissance ?
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Ciseau
L'orage ne tarda pas à se faire entendre. Voyant que nous étions condamnés à passer le reste de la journée dans la grotte, je priai le vieux chef de continuer son histoire, ce qu'il fit en ces termes :
« Comme celui de Michel-Ange, le ciseau du Grand Rien est d'une admirable hardiesse. »
Nous eussions bien voulu avoir pour le soir même la suite de l'histoire du Bohémien, mais il nous demanda la permission de remettre ce récit au lendemain. Nous allâmes donc nous coucher, et mon sommeil ne fut point interrompu.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Comme Papavoine
Il arrive que l'on commette l'homicide de soi-même simplement « pour répandre le sang humain et pour satisfaire une passion féroce ». Ces motifs étaient aussi ceux de l'assassin Louis-Auguste Papavoine, guillotiné le 25 mai 1825, dont Gragerfis nous rapporte que sa haine pour l'humanité « avait eu d'abord pour principe une humeur misanthropique et atrabilaire, et que des mécontentements, des chagrins, l'avaient ensuite fomentée et exaltée jusqu'à la frénésie. »
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Réaction allergique
La vue d'un spécimen de monstruosité bipède — le fameux « autrui » — produit encore plus rapidement en nous une sensation de nausée que l'usage de la chemise d'un galeux ne fait naître la gale, ou qu'un bain de pied d'eau tiède mêlée d'une dissolution d'arsenic ne déclenche une fièvre arsenicale de quinze jours au moins.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Être utile
L'ingénieur Frank Wolff a l'apparence gluante du crapaud et tout en lui respire la veulerie. Il sait que les gens le tiennent pour un fourbe et il en souffre secrètement. Un jour, il tombe sur ce passage de l'Essai sur l'homicide de soi-même dit « à la Polonoise » par le Sieur Manoury 1 : « Je ne m'amuserai point, à l'exemple de l'auteur de l'Égide de Pallas, à prouver l'excellence de l'homicide de soi-même par son ancienneté ou par le rapport qu'il peut avoir avec quelques traits de l'histoire ancienne ; je me contenterai simplement de dire que c'est un passe-temps des plus récréatifs et des plus amusants. La découverte que l'on y fait tous les jours de nouvelles finesses prouve qu'il n'est point d'exercice plus étendu et plus intéressant que l'homicide de soi-même. »
Aussitôt, sa décision est prise : il mettra fin à sa pondéreuse existence en se jetant dans l'espace interstellaire.
Et c'est bien ce qu'il fait dans On a marché sur la Lune, à la stupéfaction de Tintin, du capitaine Haddock, du professeur Tournesol, et des détectives Dupond et Dupont !
Comme Archimède, Galilée, Newton, Papin et Volta, l'ingénieur Wolff n'aura pas été seulement un mélancolique, mais encore un être utile puisque sa mort permettra aux astronautes de disposer d'une réserve d'air suffisante pour rentrer sains et saufs à bon port.
1. Bruxelles, Le Francq, 1796.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
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