lundi 23 juillet 2018

Déterminisme et chaos


On sait que certaines lois physiques, par exemple le principe fondamental de la dynamique, se traduisent par des équations différentielles vérifiant les hypothèses du théorème de Cauchy-Lipschitz. Ce dernier assure alors le caractère déterministe du mécanisme décrit par la loi en question.

Ce déterminisme aurait de quoi désespérer l'homme du nihil s'il se traduisait toujours par une possibilité de prédiction (l'homme du nihil est en effet très attaché à son libre arbitre). Heureusement, ce n'est pas le cas, car la théorie du chaos établit la possibilité de l'existence de phénomènes inopinés, comme la pensée de se détruire en se pendant avec ses bretelles.


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Interlude

     Femme pourvue d'affriolants appas lisant les Scènes de la vie de Heidegger

Stratagème inefficace


Quand la morale et l'esthétique se font trop oppressantes et ajoutent leur poids à celui déjà écrasant de l'haeccéité, l'homme du nihil boit jusqu'à en être noir, pensant trouver dans cette noirceur un remède à ses maux.  Le poëte Jules Lemaître n'a-t-il pas dit :

         « Chers primitifs, ô Bamboulas, 
         Benjamins de la terre antique, 
         Grands innocents qui n'avez pas 
         De morale ni d'esthétique. »

Mais cette ruse inepte ne donne rien. Le Moi y est, il y est toujours...

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Allégresse


Une fois qu'il a pris la décision irrévocable de se détruire, l'homme se sent comme allégé, le temps se met au beau, le baromètre monte ; et les hirondelles, par leur vol élevé, les sangsues, par leur penchant à se tenir hors de l'eau, etc., indiquent qu'elles ressentent le changement qui s'opère dans l'atmosphère mentale du désespéré.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Lutter contre l'isolement grâce aux animaux de compagnie


« Tous les quinze jours, la maison de retraite Benoît Frachon accueille Mélanie Coulon, psychomotricienne, intervenante en médiation animale. Cette semaine, celle-ci était accompagnée de son fidèle chien Fado. Pour cette séance, les résidents étaient huit : Jeannette, Léocadie, Ghislaine, Jeanine (une nouvelle résidente), Madeleine, Margot, Robert et Alain.

"En tant que psychomotricienne, je pratique la rééducation cognitive et motrice, explique Mélanie Coulon. La médiation animale, c'est mettre en relation des animaux éduqués et des personnes en difficulté, celles notamment qui ont la pénible sensation de vivre isolées dans un univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort. J'essaie de créer du lien social et de leur faire réutiliser l'ensemble de leur potentialité au quotidien." Et cela par le biais de différents exercices comme celui consistant, pour les "naufragés de l'existence", à s'enfermer la tête dans un sac en papier jusqu'à ce que mort s'ensuive.

"Je tiens à souligner, continue la psychomotricienne, que contrairement à ce que soutient Heidegger, les chiens comprennent parfaitement ce que signifie la mort de leur maître, parce qu'ils possèdent comme nombre d'animaux supérieurs l'intuition vitale, élémentaire bien qu'authentique, de la mort. La thèse heideggérienne selon laquelle « l'animal est pauvre en monde » est donc d'une indigence phénoménologique abyssale." » (La Voix du Nord, 2 février 2018)


(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)

Un esthète de l'anéantissement


Le suicidé philosophique exerce son activité dans le vide, sans attendre du public critiques ou applaudissements. La perfection formelle de son geste suffit à sa béatitude.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Interlude

       Jeune fille lisant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Les révélations de la mort


Haddock, dans sa cellule du Temple du Soleil, un jour avant la date prévue de son exécution sur le bûcher, se tient la tête entre les mains, effondré : « C'est fini !... Plus rien à espérer !... Jamais je n'ai touché à ce point le fond du désespoir ! »

Que peut-on dire à un homme qui touche le fond du désespoir ? « Ce n'est rien, il suffit de prendre de l'aspirine, de se frictionner avec du vinaigre, d'appliquer un sinapisme, et ça passera » ? C'est ainsi que parle la sagesse populaire, mais Haddock n'a cure de ce genre de consolation. Et à l'instar de l'« homme du souterrain » cher à Dostoïevski, il refuse de s'incliner devant le « mur de brique » de la nécessité.

Voici ce que dit de l'expérience haddockienne le philosophe Léon Chestov dans une lettre à sa fille datée du 13 avril 1921 : « Auparavant le whisky, la pipe, les cartes et les jurons semblaient être à Haddock le summum de ce que l'on pouvait atteindre. Il n'apercevait ni le soleil, ni le ciel, il ne voyait rien dans la vie, bien qu'il eût tout devant les yeux. Et lorsque arriva la mort, il comprit subitement qu'il n'avait rien vu, comme si dans la vie rien n'existait en dehors du whisky, de la pipe, des cartes et des jurons. Tout ce qu'il avait pu voir de vrai, il l'avait vu durant son enfance, sa jeunesse, puis l'avait oublié, employant toutes ses forces uniquement à ne pas être lui-même, mais à être comme "tout le monde". Aussi la révélation de la mort n'est pas une négation de la vie, mais, au contraire, plutôt une affirmation — mais une affirmation d'autre chose que de cet habituel remue-ménage de souris par lequel se laissent prendre les hommes. »


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Questions entomologiques


Comment comprendre ce que M. Viktor Motchoulski, le célèbre entomologiste russe, en décrivant le Lucanus tetraodon Thunberg, a voulu exprimer par un noir faiblement noirâtre ? Et quand il évoque le Blaps cylindrica Herbst, que peut-il bien vouloir dire par pattes et antennes grelées ?

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Schopenhauerisme débridé


« Le parquet des mineurs de Verdun a retenu hier la thèse de l'acte prémédité contre un adolescent de 17 ans, soupçonné d'avoir tué, lundi à Bar-le-Duc, deux de ses frères, âgés de 14 et 9 ans, avec un couteau, un hachoir et un marteau.

L'adolescent "a préparé son coup et avait formulé son projet de tuer ses frères. Il n'a pas provoqué l'absence de ses parents, mais il a profité de leur départ pour passer à l'acte", a indiqué le procureur, Thierry Villardo. "L'adolescent a expliqué qu'il avait tué ses deux petits frères car il n'a pas eu le courage de se suicider. En agissant ainsi, il a dit avoir voulu se suicider socialement", a-t-il ajouté.

Selon les premiers éléments de l'enquête, Rémy et Yoanne ont été tués avec une violence extrême et un acharnement extraordinaire. Après le meurtre, l'adolescent, qui s'était blessé à la main avec le couteau, accidentellement semble-t-il, s'est rendu chez le psychiatre qui le suivait depuis plusieurs mois. C'est ce dernier qui a téléphoné aux policiers.


Selon Aurélien, un des camarades de l'adolescent, "c'était un grand pessimiste, excellent élève dans les matières littéraires et bon dans les disciplines scientifiques".

Les premières investigations ont montré que l'adolescent en était venu à envisager le monde comme une représentation du sujet connaissant, ce dernier ne se connaissant lui-même que comme volonté. C'est cette vision du monde profondément viciée qui, selon les enquêteurs, pourrait expliquer son geste insensé. En outre, au plan moral, il s'opposait à l'eudémonisme de Baruch Spinoza.

Le jeune garçon a été mis en examen pour "assassinats sur mineurs de moins de quinze ans" et écroué dans la soirée. » (Le Télégramme, 10 juillet 1996)

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Appel à la mobilisation


Face à la pression « sociétale » qu'exercent les partisans de l'euthanasie, les suicidés philosophiques doivent se mobiliser pour conserver leur autonomie et la maîtrise de leur art. Mais comment ? Tout de même pas en faisant la grève du taupicide ?

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

A la poursuite du Moi


Le suicidé philosophique, par cette supériorité que donne le désespoir, par cette finesse de sentiment qui n'appartient qu'à lui, ne perd jamais l'objet de sa poursuite, à savoir l'« odieux Moi ». Avec un flair de pointer, il délie les nœuds du fil tortueux qui seul peut y conduire ; sa vision presque surnaturelle lui fait saisir tous les détours du labyrinthe, toutes les fausses routes où l'on a voulu l'égarer ; et, loin d'abandonner l'ennemi pour un indifférent, après avoir triomphé de la ruse, il redouble d'ardeur, arrive enfin, l'attaque avec un couteau de cuisine, et, le mettant à mort, étanche dans le sang sa soif et sa haine.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Interlude

    Femme cherchant désespérément la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Mégalomanie


Seule me distingue du néant l'immodeste ambition d'être nocif.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)