jeudi 17 mai 2018

Homonymie fatale


Les voisins sont sous le choc. Lundi après-midi, une femme a découvert à Verberie le corps sans vie de ses parents, à qui elle était venue rendre visite. « Il s'agirait d'un homicide, suivi d'un suicide », précise-t-on au parquet de Senlis.

Georges et Éliane Rigaux habitaient leur maison de la rue Juliette-Adam, à deux pas de la mairie, depuis des décennies. Selon nos informations, Éliane, 74 ans, était atteinte de la maladie d'Alzheimer. Son état de santé se dégradait de jour en jour et Georges, 83 ans, avait de plus en plus de mal à le supporter. Lundi, l'homme aurait tué sa femme à l'aide d'un pistolet. Puis il aurait tué leur jeune berger allemand avant de retourner l'arme contre lui.

Les policiers précisent qu'il n'existe aucun lien entre les défunts et le dadaïste Jacques Rigaut, auteur de l'Agence Générale du Suicide et lui-même suicidé, « ça ne s'écrit d'ailleurs pas pareil ». (Le Parisien, 20 avril 2011)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Silicea


Quel suicidé philosophique ne se reconnaîtrait dans ce portrait moral tracé par Georg Heinrich Gottlieb Jahr dans son Nouveau manuel de médecine homœopathique

« Humeur mélancolique et envie de pleurer. — Nostalgie. — Anxiété et agitation. — Humeur taciturne : on est concentré en soi-même. — Inquiétude et mauvaise humeur pour la moindre chose, provenant de grande faiblesse nerveuse. — Scrupules de conscience. — Grande disposition à s'effrayer, surtout au bruit. — Découragement. — Morosité, mauvaise humeur et désespoir avec dégoût profond de la vie1. — Disposition à se fâcher, opiniâtreté et grande irritabilité. — Répugnance pour le travail. — Apathie et absence d'intérêt. [...] — Idées fixes; on ne songe qu'à des épingles, on les craint, les cherche, et les compte partout. »

Et pour remédier à tout cela, le bon docteur Jahr préconise l'emploi, non du colt Frontier au canon de dix centimètres ni du taupicide mais... de la silice (silicea) !
Ô sancta simplicitas !


1. C'est nous, Férillet, qui soulignons.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Principes de la nature et de la grâce fondés en raison


« Un drame conjugal s'est déroulé ce jeudi en fin de matinée dans une maison occupée par un couple de septuagénaires sur la commune de Villard-de-Lans.

Après qu'elle lui eut posé la question leibnizienne "Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien", l'homme de 79 ans a violemment frappé son épouse à la tête avec un maillet. Le forcené s'est ensuite rendu dans son atelier où il a tenté de mettre fin à ses jours en s'égorgeant avec une disqueuse "pour se prouver à soi-même que rien n'est", selon les premiers éléments de l'enquête. 

Entre-temps, sa femme, bien qu'ayant perdu beaucoup de sang, a eu la force d'appeler les secours. Très gravement blessés, l'épouse et son mari ont été pris en charge par les sapeurs-pompiers et une équipe du Samu avant d'être transportés par l'hélicoptère de la Sécurité civile à l'hôpital Michallon de Grenoble-La Tronche. Leurs jours sont toujours en danger. 

L'enquête a été confiée aux gendarmes de la compagnie de Grenoble, qui ont commencé à compulser la Monadologie "pour en avoir le cœur net". » (Le Dauphiné, 24 novembre 2016)

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

On ne joue plus


Le constipé, qu'il produise son effort dans une casemate obscure ou à la lumière de lampes aveuglantes, entraîne avec lui une impression de solitude et de déchirement sous l'emprise de l'angoisse. Le peintre et sculpteur Alberto Giacometti a-t-il connu de première main ce si terrible tragique ? À voir ses œuvres, on le jurerait 1.

1. Cependant, dans les années 60, Giacometti offre à la Fondation Maeght un nombre important de bronzes.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

92 jours (Larry Brown)


Monroe est passé me voir un jour, peu après mon divorce. Il avait de la bière. J'étais content de le voir. J'étais surtout content de voir sa bière.
« Tu prends tout ça comment ? m'a-t-il demandé.
— Pas mal, je suppose.
— Voilà une bière.
— Merci.
— Les femmes ! il a dit. Bordel.
— Ouais. Je le soupçonnais depuis longtemps mais maintenant j'en suis sûr : la femme ne peut concevoir ce qu'est le sujet transcendantal, ni les concepts purs, encore moins les catégories de l'esprit. La femme est l'être de l'instant, elle ne connaît pas l'éternité, elle n'est pas immorale, mais amorale. Elle ne fait la différence entre le bien et le mal qu'en fonction de sa préoccupation propre. Weininger a raison de dire que la femme n'est que ce que l'homme en fait, qu'elle est "sous le joug du phallus". La femme est la matière, l'homme est la forme. Les femmes sont incapables de conscience, elle ne peuvent que calculer l'avantage matériel que leur procure la réalité ambiante. La femme, au mieux, ne peut qu'imiter l'homme.
— Je sens chez toi, a dit Monroe, une nostalgie de l'éternité que ta caractérologie reflète par ce dualisme philosophique : l'Homme est le Tout, la Femme le Néant, l'Homme le spirituel, la Femme le matériel dans son expression la plus mortifère et dégradante. Dans le fond, t'as raison. Tiens, prends une autre bière. »


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

Ressuscitation par le fondement


L'anecdote suivante, relatée par Herman Boerhaave dans son ouvrage Institutions de médecine (1708), montre qu'il est parfois bien difficile de distinguer le vivant du mort, même quand l'individu concerné n'est pas un sectateur du Rien s'efforçant de « faire le mort, comme un cloporte » à l'image du héros de Crisinel.

« Dans le Brabant, nous dit Boerhaave, un jeune homme de condition, l'unique espoir d'une grande famille, est porté chez lui, froid, sans vie, on le croit noyé. Il eût été enseveli, si quelqu'un au fait de la physique, qui se trouva par bonheur présent, n'eût imaginé de faire rouler le prétendu cadavre sur un tonneau, de lui souffler fortement de l'air par l'anus, et de le retourner enfin de tant de façons, qu'il recouvra la respiration, l'usage de ses sens, et survécut bien des années à une mort si certaine en apparence. »

Ressuscité par le fondement ! Comme le dit Pythagore, « la vie n'est-elle pas surprenante ? »


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Théorème de Mahler


Le théorème de Mahler est ancré dans la tradition austro-allemande, celle de Jean-Sébastien Bach, de la première école de Vienne et de la génération romantique (Robert Schumann, Johannes Brahms, Felix Mendelssohn, etc). On peut aussi trouver comme des anticipations de ce théorème dans les vastes symphonies de Franz Liszt et d'Anton Bruckner à thématiques métaphysico-existentielles.  Il offre un analogue du développement en série de Taylor pour les fonctions continues à valeurs p-adiques et dont la variable prend des valeurs p-adiques. Il est à la fois sévère, tragique et déchirant. La différenciation des polynômes y est rendue par le cor et le basson.

(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Pruneaux


Le 9 septembre 1916, à la cantine de l'université, un serveur recommande le brie (Ich empfehle Herrn Briekäse) à Heidegger qu'il voit sur le point de choisir les pruneaux. Celui-ci sort de ses gonds existentiaux et rétorque : « Je suis un homme libre et, en tant que tel, je suis libre de manger des pruneaux où et quand bon me semble ». Heidegger est à bout de nerfs et l'équilibre de son Dasein ne tient plus qu'à un fil.

(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Une histoire qui sent mauvais


On sait que le gendarme Merda — thaumaturgie du mot ! — fracassa d'un coup de pistolet la mâchoire de Robespierre, du moins s'il faut en croire la légende thermidorienne. Mais on sait moins que le colonel Merdier (Jean Étienne) fut chargé, durant les Cent-Jours, de l'organisation et du commandement de sept bataillons de grenadiers de la garde nationale dans le département de l'Orne.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Une dose matin et soir


« Désolé les amis ». Les derniers mots sont écrits au feutre sur un tableau blanc dans la salle de repos de l'unité cynophile. Quelques instants plus tard, David, 31 ans, s'est rendu dans l'armurerie et s'est tiré une balle dans la tête. Son corps sans vie a été retrouvé ce dimanche vers 9 heures par un de ses collègues de la police ferroviaire qui venait travailler sur ce site SNCF de Villeneuve-Triage.

Juste avant son suicide, cet agent de la surveillance générale (Suge) a écrit ses dernières volontés. Elles étaient pour son chien. « Jasper est dans ma voiture. Ses croquettes également. Une dose matin et soir. » Il a demandé qu'une de ses collègues en particulier récupère l'animal pour qu'il ait « une belle vie ».


Coïncidence troublante, dans son œuvre, le philosophe Karl Jaspers — presque le même nom que le chien ! — rapproche le suicide de l'ascèse monastique, car ce sont deux modalités de « négation inconditionnée » du monde. Le suicidaire et l'ascète, affirme-t-il, sont « deux héros de la négativité » en quête d'éternel. Par leur sacrifice solitaire, ils attirent notre attention sur l'existence d'une réalité invisible. Leur « acosmisme » ou perte du monde nous éveille à la précarité de la vie (K. Jaspers, Philosophy, t. 2, 1970, p. 261-279). (Le Parisien, 17 décembre 2017)

(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)