lundi 21 mai 2018

Straight, no chaser


L'acide sulfurique très étendu d'eau (une goutte pour chaque verre), a une agréable acidité et peut être employé en boisson dans les chaleurs et dans les maladies putrides. Moins affaibli, il favorise singulièrement le blanchiment des toiles écrues et l'anéantissement du Moi.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Dangereuse nostalgie


Le suicidé philosophique n'a-t-il pas le cœur serré au souvenir des prés à l'ombre des pommiers en fleur ? Ne soupire-t-il pas en évoquant la douceur des soirs à Saint-Clément quand les souffles légers portent l'odeur des foins et le parfum miellé des clématites ? Hélas oui, sa « cuirasse nihilique » ne l'immunise pas contre la nostalgie des délices de Capoue, et il doit souvent mobiliser toute sa volonté pour appuyer sur la queue de détente.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Un village Copain du monde à La Bourboule


« Soixante-dix ans après, la colonie du Secours populaire revient à la Bourboule pour permettre à trente-cinq enfants venus du monde entier de passer des vacances en Auvergne.

Ils viennent de région parisienne, d'Auvergne, mais aussi du Kosovo, d'Éthiopie ou de Madagascar. Ils ont entre huit et quinze ans, et n'auraient pas connu le bonheur des vacances sans le Secours populaire.

L'association crypto-communiste de lutte contre la pauvreté organise chaque été son opération "village Copain du Monde" : des enfants venus des quatre coins du monde se retrouvent pour passer dix jours dans une région française et fomenter une "dictature du prolétariat" qui tarde à venir. Nicole Rouvet, secrétaire générale du Secours Populaire dans le Puy-de-Dôme, expose d'une voix habitée les visées de l'initiative : "Dans cette période si violente, on apprend aux enfants venus de toutes les cultures à se parler, à se respecter, à s'aimer".

Car au delà de l'aide apportée à des familles en difficulté, le Secours populaire exalte un concept souvent détourné et moqué de nos jours : le fameux "vivre ensemble".

Les gamins sont arrivés dimanche pour les premiers, il y a quelques heures pour les derniers. Certains jouent tranquillement aux cartes, pendant qu'une partie de foot endiablée s'improvise. 

De nombreuses autres activités les attendent : "Il y aura du cheval, de la randonnée, des conférences sur Lénine, Karl Liebknecht et Marcel Cachin, une visite au lac" détaille Marie Bonin, responsable du Secours populaire. Les enfants vont également préparer un grand spectacle pendant leur séjour.

Le point d'orgue de la colo : la "Journée des oubliés des vacances", qui réunira plus de 900 familles de "damnés de la terre" et de "forçats de la faim" au Pal le 25 août. Toutes les personnes aidées par le Secours populaire paient une contribution, à la hauteur de leurs moyens. "Cela s'appelle la dignité", explique Nicole Rouvet, citant Félix Dzerjinski.

Pendant ce temps, Erica, quatorze ans, savoure son bonheur d'être ici. Elle est venue de Tananarive, à Madagascar, "parce qu'elle est sage, sourit-elle, et s'intéresse à la pensée de Maurice Thorez". Erica fait peu de cas des différences de langue : "Je joue avec tout le monde. Quand ils ne parlent pas français, on communique par signes ou on s'envoie mutuellement au goulag." Tout est plus simple pour les enfants ! » (La Montagne, 16 août 2016)


(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)

L'intrus (Stephen Dixon)


Je rentre à l'appartement. Elle est en train de se faire violer. Ils sont tous les deux nus. Il est sur elle, mais il ne s'est pas introduit. Elle a un couteau sous la gorge.
— Bon, dis-je, partez.
— Non, Tony, me dit-elle, ne...
— Toi, mon petit pote, tu vas rester où t'es, dit-il, et ta petite copine ne sera pas blessée.
— Je vous ai demandé de partir.
— Tu veux que j'la zigouille, ta copine ?
— Non.
— Comment tu t'appelles ? il lui demande.
— Della.
— Della a pas envie de se faire zigouiller, dit-il.
— Partez, rhabillez-vous, sortez d'ici, et on ne portera pas plainte.
— D'abord je tire mon coup, je verrai ensuite pour ce qui est de me tirer.
— Dans ce cas, lui dis-je, je vais être obligé de vous réduire phénoménologiquement. Au cas où vous ne le sauriez pas, la réduction phénoménologique, chez Husserl, est "la méthode universelle et radicale par laquelle je me saisis comme Moi pur, avec la vie de conscience pure qui m'est propre, vie dans et par laquelle le monde objectif tout entier existe pour moi, tel justement qu'il existe pour moi."
— Essaye, pour voir.
— Tony, ne tente rien. Laisse-le me prendre. Ça va aller.
— La p'tite dame, elle en a dans la caboche. Je vais m'introduire. Toi, tu restes où t'es. Et joue pas au con avec ton Husserl, ou je lui tranche la gorge, et je te règle ton compte juste après.
— Vous voulez trancher la gorge à Husserl ? Mais il est mort depuis des années !
— Oh, et puis merde !
Il se lève, prend son chapeau et sort.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

Bouldou


L'étrange « chapelet de simagrées gestuelles et sonores » qui accompagne la rencontre entre les capitaines Chester et Haddock au dépôt de mazout dans L'Étoile mystérieuse --- « Fidji !... Fidji !... Fidji !... Bouldou, bouldou, bouldou, Aya, Aya, Ayayaaaa !... » --- a longtemps intrigué les chercheurs. 

Certains ont évoqué le haka des îles Tonga, d'autres les incantations des Indiens du Chaco, mais l'explication la plus convaincante paraît être celle avancée par Gragerfis dans son Journal d'un cénobite mondain

D'après lui, les jeux verbaux des deux capitaines ressortiraient à la glossolalie, dont l'apôtre Paul nous dit, aux chapitres 12 et 14 de sa première Lettre aux Corinthiens qu'elle est un charisme. Le Tarsiote souligne toutefois que la glossolalie n'est pas un élément particulièrement souhaitable de la liturgie communautaire, et vaut surtout pour la piété privée. C'est bien ainsi, évidemment, que le voient Haddock et Chester !

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Formule de Wald


La formule de Wald est une identité de la théorie des probabilités, utile notamment pour simplifier les calculs d'espérance (ce que l'on peut faire également, de façon plus simple et plus radicale, au moyen du pessimisme).

(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Romance hypothermique


« Ils voulaient mourir ensemble. Et de cette façon. Parce qu'ils aimaient la montagne, le reblochon de Savoie, le vin d'Apremont, et parce qu'ils étaient terriblement déçus de cette lamentable odyssée qu'on appelle la vie. » C'est ainsi que le procureur de la République d'Albertville a résumé les motivations des deux Chartrains, décédés de froid dans la nuit de dimanche à lundi à la station de Tignes, alors qu'ils venaient de passer plusieurs semaines dans cette station de haute montagne dans la Tarentaise.

Selon l'autopsie réalisée jeudi, les deux victimes sont mortes dans la nuit de dimanche à lundi des suites d'une hypothermie, a indiqué le procureur de la République d'Albertville, précisant qu'il s'agissait d'un acte volontaire. Deux lettres ont en effet été retrouvées par les enquêteurs : l'une, écrite par Bertrand L. à destination de sa femme et de ses deux enfants, l'autre écrite par « l'amie » (Gragerfis) de Bertrand L., adressée à sa propre famille.

Le corps de Bertrand L. a été découvert mardi après-midi par des enfants qui faisaient de la luge sur un sentier pentu. Celui de son « amie » a été retrouvé par les gendarmes peu de temps après, une dizaine de mètres plus loin.

Près des corps ont été retrouvés leurs sacs à dos contenant de la nourriture, de l'alcool et des médicaments. Si les deux Chartrains ont consommé un peu de génépi, aucune trace médicamenteuse en forte dose, ni aucun hématome pachyméningé consécutif à un entrechoc avec l'idée du Rien, n'ont été constatés à l'autopsie. (L'Écho Républicain, 2 novembre 2012)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)