jeudi 13 septembre 2018

Instants de grâce


Comme l'agonie, le processus naturel de la défécation peut se dérouler sans souffrance : il y a des étrons instantanés. Dans ce cas, le phénomène n'a pas le temps de parvenir à la conscience. Il peut consister en un affaiblissement du « boyau culier », ou se produire pendant le sommeil, auxquels cas on ne le remarque pas, ou à peine.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Alpinisme nihilique


Cependant nous arrivâmes au gîte, et Rébecca pria le duc de vouloir bien continuer à l'instruire de son système. Il donna quelques instants à la réflexion, ensuite, il commença en ces termes :

« Je me souviens de l'existence comme d'un portement de croix au milieu d'un Himalaya d'immondice, d'une Alpe de charogne. »

Velasquez ajouta encore à cette comparaison quelques autres développements, dont Rébecca parut sentir toute la valeur, et ils se séparèrent, réciproquement persuadés de leur mérite. 

 (Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Chasse aux nuisibles


Il serait à souhaiter qu'on pût reconnaître quel est l'aliment favori du Moi, afin de s'en servir pour l'empoisonner, comme on empoisonne les rats et toutes les espèces nuisibles. Le docteur Étienne Rufz, dans son Enquête sur le serpent de la Martinique, relate que M. Barillet, directeur du Jardin des Plantes, conservait un serpent en cage ; l'animal refusait tous les aliments qu'on lui présentait, lorsque ledit Barillet eut l'idée de mettre du lait devant lui : aussitôt le serpent en but avec avidité. — Ne serait-il pas possible de mettre à profit cette observation, en se fondant sur la similitude du Moi et du serpent, et de séduire le « sinistre polichinelle » par un coquetèle de lait et de taupicide ?

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Interlude

Jeune fille lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Lettre de M. Jutique à l'auteur


Mon cher Doppelchor,

  J'ai parcouru avec le plus grand intérêt les épreuves de votre ouvrage sur le Rien, et je vous en fait mes sincères félicitations.
  Cette science du Rien, comme vous le dites très-bien, n'est encore qu'à l'état d'ébauche, mais votre méthode, votre travail consciencieux, contribueront certainement à ses progrès.
  Vos observations personnelles en éclairent plusieurs parties, entre autres celle consacrée au Pachynihil. Vous avez été à même, pendant vos nombreux et lointains voyages, de constater à diverses reprises ses lois si bien formulées maintenant, et que vous avez grandement contribué à faire connaître par vos communications à l'Institut.
  Vous avez fait un beau et bon livre, qui sera utile non-seulement aux gens du monde, mais même aux savants.
  Personne plus que moi, qui suis vos efforts incessants depuis près de trente ans, n'est heureux de voir la place honorable que vous avez su vous créer dans la science en dehors de toute coterie.


Votre ami,
Jutique, de l'Institut,


(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Un roi de l'élégance


« Un homme qui est toujours réel, a dit Rivarol, peut n'être pas vrai, mais il est vraiment homme. Un homme vrai est toujours un vrai homme, un homme réel, sans quoi il serait un fantôme ». Suprêmement fatigué d'être un « homme réel », le poète et écrivain portugais Mário de Sá-Carneiro décide, le 26 avril 1916, de « prendre le taureau par les cornes ». Il enfile son smoking, avale de la strychnine et attend la mort, qui ne tarde guère. Il avait annoncé son suicide à son ami Fernando Pessoa 1 à peine un mois auparavant. Gragerfis le considère comme l'un des représentants essentiels du courant symboliste et de « l'école du désenchantement ».

1. « Ô roues, ô engrenages, r-r-r-r-r-r-r éternel ! Violent spasme retenu des mécanismes en furie ! »

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Tribulations de l'étant existant


Sang, sueurs froides, maladies nerveuses, pachynihil, oui, tout cela est vrai.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Lavement


Le lendemain, nous nous remîmes en route, et fûmes bientôt rejoints par le Juif errant, qui reprit en ces termes le fil de son discours :

« Dans les Nouvelles formules de médecine de Pierre Garnier, on trouve la recette suivante du Lavement pour les Crottes ou grande constipation de ventre : "Prenez de grandes et petites passerilles de chacune deux onces ; faites boüillir tout dans s. q. de boüillon de tripes, puis dans chopine de coulûre on dissoudra demi-livre d'huile commune, quarante grains de trochisques alhandal en poudre, pour un lavement." »

Comme le Juif errant en était à cet endroit de sa narration, il se tourna vers Uzeda et lui dit : « Un cabaliste plus puissant que toi me force à te quitter. » Et il disparut à nos yeux.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Interlude

Jeune femme lisant Forcipressure d'Étienne-Marcel Dussap

Efficacité douteuse du pyrrhonisme


Le scepticisme grec n'est pas sans vertu, puisque Lorry a remarqué que les aphorismes tirés de ce système sont sédatifs d'une manière très marquée, et qu'il en faisait préparer dont il se servait assez fréquemment dans cette intention. Le docteur Nysten dit pourtant qu'il n'a que peu d'action dans les cas d'allergie aiguë à l'existence et qu'un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe est d'un plus grand secours.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Grands problèmes


Perché sur un « cognassier-plateforme » qui lui tient lieu d'échafaudage épistémologique, le suicidé philosophique, tente, au moyen de son colt Frontier, de donner à des problèmes comme ceux de la nature du nombre, de l'infini, du continu — qu'il a hérités de son maître Dirichlet —, une réponse plus élaborée que celles, selon lui trop terre à terre, fournies par le IV e siècle grec.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Un défi de taille


Dans la philosophie heideggérienne, l'être-jeté signifie que le Dasein ne s'est pas posé lui-même, il a « à être » et à « être lui-même ». C'est à lui-même qu'il est remis, il a donc à être, révérence parler, son propre fondement.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)