jeudi 24 mai 2018

Finitude existentielle


« En février 2004, Christophe Sediri, 25 ans, achète une poêle à frire — en fonte — pour se débarrasser de sa belle-mère. Le jeune homme n'a pas digéré le mariage récent de son père avec Samira, une Tunisienne de 38 ans à qui il reproche de ne pas assimiler la notion de "finitude" chez Heidegger.  Il a beau lui répéter que ce concept naît du constat de la "nihilité" du vivant humain, et se déploie dans toute l'analytique du Dasein à travers les thèmes fondamentaux de l'angoisse, de la déchéance et de la mort avec "l'être-vers-la-mort", ça "n'imprime pas".

Il a donc décidé de l'occire à l'aide de l'ustensile de cuisine, dont le principal avantage, selon lui, est de "faire gicler moins de sang qu'un marteau". Le 17 février, il se rend au domicile de Samira à Garons, près de Nîmes, se rue sur elle et lui assène dix coups de poêle. Puis il emballe le corps dans des sacs en plastique et l'entortille avec du fil de fer avant de le jeter, lesté d'un parpaing, dans le canal du Rhône à Sète.

Seulement voilà : le parpaing n'est pas assez lourd, le cadavre ne coule pas et il est découvert le lendemain matin par un passant. Il ne faut que quelques heures aux enquêteurs pour identifier le criminel.

Durant son procès devant les assises du Gard en 2006, l'accusé refuse de répondre aux questions. Son avocat, Me Philippe Expert, argue du fait que la finitude est, selon Heidegger, absolument radicale et interdit à jamais au Dasein d'être transparent à lui-même. Sans grand succès. Christophe Sediri a été condamné à quinze ans de réclusion. » (L'Express, 5 juillet 2007)


(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un gymnosophiste en manchettes


Quel étrange personnage que le majordome Nestor ! Est-il un antiphysique refoulé ? Un adepte de la macération qui se complaît dans un état humiliant ? Est-il atteint de démence précoce ?

Selon les psychiatres, le principal symptôme de la démence précoce est le désintérêt. Or Nestor semble justement n'avoir aucune préoccupation d'avenir individuel ou social, il paraît complètement indifférent à sa situation. Les études l'ennuient, les jeux, le sport ne le passionnent pas, la nature à ses yeux est terne et grise, et il accueille les grands événements avec froideur, comme s'ils appartenaient à l'histoire ancienne. Quand son service le contraint à adresser la parole au capitaine Haddock ou à Tintin, on a l'impression qu'il se dit : « Nous parlons ensemble, mais cela me semble irréel, je suis en dehors de toute pensée humaine. Ma pensée est illusoire ; elle me reste étrangère, etc. ».

En un mot, il a tout l'air d'avoir été intoxiqué par l'hindouisme ou par les romans de Georges Perec. Dans tous les cas, il n'est certainement pas « franc du collier ».


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Rêve prémonitoire


J'ai rêvé qu'il n'y avait rien, et en me réveillant, je me suis aperçu que c'était vrai.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Premières investigations nihiliques


Heidegger, qui a commencé à s'interroger sur l'être, décide, pour être fair-play, d'enquêter également sur le néant. Il s'informe chez Hegel et découvre que ce dernier caractérise le néant par trois traits. Primo, le néant est la négation de la totalité de l'étant ; deuzio, cette négation est un acte d'entendement logique ; tertio, le néant est indicible et impensable.

On pourrait penser que tout est dit et que l'affaire est entendue, mais Heidegger sent pourtant qu'il y a une « couille dans le pâté » 1. Après mûre réflexion, il identifie cette « couille ». Selon Heidegger, Hegel manque le néant parce qu'il ne le considère que comme un non-étant, parce que sa négativité n'est pas le « frémissement de l'Être » mais l'activité de la subjectivité représentative et parce que l'entre-appartenance de l'être et du néant ne traduit que leur indétermination et immédiateté.

« Mais peut-on en rester là ? », se demande-t-il.

En effet, peut-on en rester là ? Ne doit-on pas mener le raisonnement à son terme et... se pendre ?


1. Dans le Bade-Wurtemberg, la couille ou touille désigne une grande cuillère en bois qui sert à cuisiner.

(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)


Mondanité canine


Le chien est-il un animal mondain au sens qu'attribue à cet adjectif le phénoménologue Eugen Fink ? Selon cet « ami de la sagesse », est mondain ce qui est dans le monde, notre monde (pas le monde des dieux), ce qui fait partie du tout qui s'appelle monde.

En ce sens, oui, on peut dire que le chien est un animal mondain. Mais aussi le ver de terre, si l'on veut aller par là. Et même l'ours, que la sagesse populaire présente pourtant comme peu mondain et même antimondain ! 


Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)