« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
samedi 16 juin 2018
Un ambitieux projet
Comme Ribemont-Dessaignes, élaborer une œuvre qui, dans chaque domaine, soit une négation par l'absurde de la réalité du monde.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Principe des tiroirs
Le principe des tiroirs de Dirichlet affirme que si n chaussettes occupent m tiroirs, et si n ≥ m, alors au moins un tiroir doit contenir strictement plus d'une chaussette. Une autre formulation serait de dire que m tiroirs ne peuvent contenir strictement plus de m chaussettes si l'on impose une seule chaussette par tiroir ; ajouter une autre chaussette obligera à réutiliser l'un des tiroirs.
Bien que le principe des tiroirs semble être une observation triviale, il peut être employé pour démontrer des résultats inattendus. Par exemple, il est certain qu'au moins deux habitants de Montcuq (Lot) ont exactement le même nombre de raisons de se détruire. Démonstration : il est raisonnable de supposer que personne n'a plus de 1 000 raisons différentes de se détruire. Or Montcuq compte plus de 1 000 habitants (1 263 pour être précis). Si nous associons un tiroir à chaque nombre de motivations à commettre l'homicide de soi-même, et si nous plaçons chaque habitant de Montcuq dans le tiroir correspondant, alors d'après le principe des tiroirs, il y a nécessairement à Montcuq au moins deux personnes ayant exactement le même nombre de raisons de se « faire sauter le caisson ».
Avec un peu de chance, elles trouveront même un colt Frontier caché au fond du tiroir, sous les chaussettes de Dirichlet.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Tombereaux
« Sur le rapport à nous fait à l'Audiance de la Chambre de Police du Châtelet de Paris, par Me Claude Duplessis, Conseiller du Roy, Commissaire en cette Cour, et ancien préposé pour la Police au Quartier des Halles, qui lui a été remis ès Procès verbal fait par le Sieur Marchais, Ecuyer, Commandant la Brigade du Bourg-la-Reyne en date du 7 Septembre dernier, qui contient que pendant ledit jour avec la Brigade près des Voiries du Faubourg St. Germain, il a trouvé plusieurs habitants des Villages de Venvres, Issy et Vaugirard, qui tiroient des fosses publiques, des matières fécales dont ils chargeoient leurs Voitures pour en fumer leurs terres, tant labourables que plantées en légumes et arbrisseaux ; lesquels particuliers il a appris se nommer, sçavoir... Moreau, fermier demeurant à Vaugirard, chargeant un tombereau de matière fécale, qu'il tiroit d'une fosse publique ; Georges le Blanc, fermier à Venvres, venant de charger un tombereau de matière fécale qu'il avoit tirée de ladite fosse ; Claude Vilain, fermier à Issy, venant aussi de charger un tombereau de matière fécale, de la même fosse ; René Goret, fermier à Vaugirard, faisant conduire par son Charretier un tombereau de matière fécale qu'il venoit d'enlever de ladite fosse ; Louis Minard, fermier à Venvres, faisant conduire par son Charretier un tombereau de matière fécale, qu'il venoit aussi d'enlever ; Jean Pierre Doublet, de Venvres, faisant conduire par son Valet un cheval chargé de matière fécale, qu'il venoit pareillement d'enlever ; et le nommé Cultivé, fermier à Venvres, faisant conduire par son Valet un cheval chargé de pareille matière qui venoit d'être enlevée ; et d'autant que c'est une contravention formelle à la Sentence rendue en la Chambre de Police le 13 Décembre 1697, lûe, publiée et affichée par tout où besoin a été, par laquelle il est expressément fait défenses à toutes personnes d'enlever lesdites matières fécales, ni d'en fumer les terres, pour éviter les inconvéniens qui en peuvent arriver, ledit Sieur Marchais a fait dételer un cheval de chaque voiture, qu'il a fait mettre en fourrière chez le nommé le Gras, Gabaretier au Bourg-la-Reyne, jusqu'à ce qu'autrement par nous en eût été ordonné. » (Le Cler du Brillet, De la voirie : de tout ce qui y dépend ou qui y a quelque rapport, 1738)
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Un ambitieux projet (suite)
Comme Ribemont-Dessaignes, s'accointer avec Marcel Duchamp et Picabia, et à partir de 1919, participer activement à toutes les manifestations dadaïstes.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Férocité slave
Vladimir Soloviev nous apprend qu'en Russie, l'homme du nihil, lorsqu'il veut se livrer à des représailles sur la personne de son Moi, emploie une méthode singulièrement perverse : il se glisse la nuit dans la cave de l'ennemi, verse du pétrole dans les cuves où le Moi conserve la choucroute et les concombres, et ouvre les robinets de ses tonnelets de kvass.
Moins radical que l'homicide de soi-même, mais presque aussi dissuasif, paraît-il...
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Immolation expiatoire
Sur l'île de Leucade, on pratiquait, à une époque archaïque, l'ordalie du katapontismos. Ce rite est décrit par Strabon en ces termes : « Il avait été d'usage à Leucade, que chaque année, le jour de la fête d'Apollon, on précipitât du haut d'un cap, à titre de victime expiatoire, quelque malheureux poursuivi pour un crime capital. On avait soin de lui empenner tout le corps et de l'attacher à des volatiles vivants ».
Réminiscence classique ou simple coïncidence, toujours est-il que l'écrivain Primo Levi se donne la mort le 11 avril 1987 en sautant dans la cage d'escalier de son immeuble — sans toutefois s'être empenné le corps.
Problème de cohabitation avec une belle-mère envahissante ? Sentiment de culpabilité lié à son statut de rescapé ? Besoin compulsif d'« épater le bourgeois » ? Peut-on jamais savoir avec certitude ce qui pousse un homme à commettre l'homicide de soi-même ?
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Introspection positive
En logique épistémique, l'axiome d'introspection positive dit que si je sais qu'il est possible que je me pende avec mes bretelles, alors je sais que je sais qu'il est possible que je me pende avec mes bretelles. — Mais me pendrai-je effectivement avec mes bretelles ? Il ne le dit pas.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
La baguette suspendue, offerte aux plus modestes
« La baguette. Presque une institution en France, un emblème de notre culture mais aussi une référence en matière de pouvoir d'achat. Quand le prix de la baguette augmente, ce n'est jamais bon signe pour le porte-monnaie.
Une poignée de citoyens sparnaciens investis dans la vie locale ont décidé d'agir pour que, même dans les foyers les plus modestes, le pain soit présent à table. "Nous voulions faire quelque chose d'utile au quotidien, explique Nicolas Schmit, à l'origine du projet. À Épernay, certaines personnes vivent bien grâce au champagne, mais d'autres ont des fins de mois difficiles. Et elles sont de plus en plus nombreuses."
La boulangerie Huon, sise rue de l'Hôpital Auban-Moët, a accepté de participer à l'aventure. Si vous allez y acheter votre pain, libre à vous de laisser sur le comptoir 98 centimes d'euro en plus, soit le prix d'une baguette. Isabelle Huon accrochera alors un ticket sur un tableau. Cette sorte de "bon pour une baguette de pain frais" pourra être retirée par une personne modeste qui juge que "c'est trop fatigant de travailler".
"J'ai la chance d'avoir une boulangerie de quartier, je connais mes clients", précise la boulangère qui, au fil du temps et des confidences, a identifié ceux qui peuvent y prétendre.
Si, dans les premiers jours de la mise en œuvre de cette action solidaire, quelques comportements inciviques ont été relevés, cette initiative rencontre un réel succès, marqué par de nombreux retours positifs. Depuis son lancement, une centaine de baguettes ont été distribuées. Pour Daniel Castaner, directeur du cinéma Le Palace et soutien actif du projet, la baguette suspendue est "une belle idée qui crée du lien et participe à la vie sociale et solidaire". Cet heideggérien souligne aussi un avantage non négligeable, à savoir que les bénéficiaires peuvent soit manger les baguettes qui leur sont offertes, soit "se les carrer dans le fondement de l'historialité du Dasein".
Ce premier pas pourrait entraîner d'autres gestes similaires dans le futur, en faisant toujours appel — sans bien sûr pousser à la charité ! — à la générosité de chacun. » (L'Hebdo du Vendredi, 3 décembre 2015)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Angst
L'homme du nihil, on le sait, éprouve en permanence la sensation de vivre isolé dans un univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort. Et voilà qu'un « ami » lui offre pour Noël un exemplaire de la nouvelle de Stefan Zweig La Peur, qu'il emporte avec lui dès le lendemain dans son voyage en train.
Aussitôt, il se trouve plongé dans un épisode angoissant, celui que vit Irène. Cette dernière, une femme de notable atteinte de bovarysme et se sentant perdue, comme l'homme du nihil, dans le « désert de Gobi de l'existence », s'est éprise d'un jeune pianiste un peu bohème. Mais elle rencontre une femme, dont elle ne connait ni le nom ni l'adresse, qui la menace, la fait chanter, la harcèle de toutes les façons.
L'homme du nihil, fasciné, ne peut s'empêcher de reconnaître dans cette bourrelle une image déformée de son Moi, et c'est à grand peine qu'il se retient de sauter du train pour anéantir le « sinistre polichinelle » qui le tourmente sans discontinuer depuis le jour de sa naissance.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Poils
L'effarante pilosité du gorille Ranko de L'Île Noire, et plus encore celle du Yéti — appelé aussi Migou — de Tintin au Tibet, produisent chez le lecteur un sentiment d'inconfort, qui peut même dégénérer en un malaise existentiel à la Kierkegaard chez les individus hantés par le spectre de l'alopécie.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Telos
Le suicidé philosophique est cet homme qui, un beau matin, las de s'agiter dans l'élément pur de la possibilité où il ne trouve qu'angoisse et vertige, décide de provoquer l'irruption de l'éternel en fracassant d'un coup d'espingole tout à la fois son crâne et le temps immanent de son Moi, affirmant ainsi la non-extensivité quantitative du concept exprimé par le verbe exister.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
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