jeudi 28 juin 2018

Interlude

          Jeune fille lisant Forcipressure d'Étienne-Marcel Dussap

Sphère antéprédicative


S'il est vrai que la phénoménologie de Husserl — qui prône, faut-il le rappeler, le « retour aux choses-mêmes » — ouvre dans « l'horizon poreux de la thèse prédicative » une sphère matérielle et sensorielle, la « sphère antéprédicative », et ce avec le défi de penser le sensible, alors il ne reste plus qu'à se pendre avec ses bretelles (les siennes propres, pas celles de Husserl).

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Erreur de raisonnement


Du drame survenu dans la nuit de mardi à mercredi, vers 3 h 45, il ne subsiste que des traces au marqueur sur la chaussée. « C'est d'ailleurs comme cela que j'ai compris qu'il s'était passé quelque chose », relate, interloquée, une commerçante de la rue Grande, à deux pas de la place de la République. En pleine nuit, une automobiliste de 27 ans a tué un Bellifontain de 51 ans, en lui roulant dessus, en plein centre-ville de Fontainebleau. Elle est ensuite rentrée directement chez elle.

Interpellée mercredi midi à son domicile de Vernou-la-Celle-sur-Seine, la jeune femme a nié avoir voulu fuir. « Elle a cru avoir heurté le trottoir, rapporte le procureur de la République de Fontainebleau, Guillaume Lescaux. La voiture s'est d'ailleurs arrêtée un peu plus tard au feu rouge avant de redémarrer au vert ».

En ce qui concerne la victime, la thèse du suicide semble privilégiée. « Sur les images de vidéosurveillance, on le voit s'installer sur la chaussée très calmement, sur le passage piéton, juste à côté du trottoir donnant sur la place de la République », détaille le magistrat.

Il s'agirait d'un homme dépressif, enfermé dans la solitude, qui, d'après ses voisins interrogés par les enquêteurs, ne trouvait plus de consolation que dans la lecture de Schopenhauer, la musique de Schumann, et les promenades solitaires dans la nature. Selon le médecin légiste, ce suicide serait un cas typique de « quête infructueuse et vaine d'un savoir sur la mort ». « Le suicide, précise-t-il, peut en effet être considéré comme une expérience, une question que l'homme pose à la Nature en essayant de la forcer à répondre, mais c'est une expérience maladroite, car elle implique la destruction même de la conscience qui pose la question et attend la réponse. » Le désespéré paraît donc avoir été victime d'une incroyable erreur de raisonnement. (Le Parisien, 11 janvier 2018)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Un aimable divertissement


« Je ne m'amuserai point, à l'exemple de l'auteur de l'Égide de Pallas, à prouver l'excellence de l'homicide de soi-même par son ancienneté ou par le rapport qu'il peut avoir avec quelques traits de l'histoire ancienne ; je n'en ferai point remonter l'origine au siège de Troie, et je n'en attribuerai point l'invention à Palamède ; je me contenterai donc simplement de dire que c'est un passe-temps des plus récréatifs et des plus amusants, par la variété des incidents qui s'y rencontrent — ainsi lorsque la corde casse ou que la mèche fait long feu —, et par la multitude des combinaisons qu'il permet. La découverte que l'on y fait tous les jours de nouvelles finesses prouve qu'il n'est point d'exercice plus étendu et plus intéressant que l'homicide de soi-même. » (Essai sur l'homicide de soi-même dit « à la Polonoise », par le Sieur Manoury, Bruxelles, Le Francq, 1796)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Un être porcin


Le conformisme et la grégarité du « monstre bipède » sont des phénomènes qui semblent se prêter idéalement à une analyse de type durkheimien ou néo-durkheimien. Il convient toutefois de veiller à ne pas perdre de vue l'interpénétration constante de l'individu et du social telle qu'elle a été mise en évidence par la sociologie interactionniste influencée par les travaux de George Herbert Mead et, dans un registre tout à fait différent, par Marcel Proust, très habile à représenter un soi multiple, d'une extrême sensibilité aux influences du milieu et à l'écoulement du temps.

Mais peut-on vraiment se figurer le « monstre bipède » en train de lire, entre deux parties de pétanque et deux tournées de « pastaga », les œuvres de George Herbert Mead et de Marcel Proust ? De nombreux indices rendent cette évocation peu plausible, entre autres la propension quasi irrépressible dudit « monstre bipède » à se promener en survêtement dans les couloirs méandreux de l'être.


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Interlude

         Beauté slave lisant l'Appel du nihil de Martial Pollosson

Un rebelle sans cause


Le chien Milou ne manque pas une occasion de faire des remarques caustiques. Il semble ne rien respecter, n'obéit à aucune autorité et sa tournure d'esprit est typique de ce mouvement que l'on appelle l'anarcho-syndicalisme, dont on sait qu'il procède pour l'essentiel de la « pensée » de Michel Bakounine.

(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Théorème d'unicité de Stokes


Le théorème d'unicité de Stokes, dû à George Stokes, trouve des applications en mécanique des fluides. Ce théorème d'unicité du potentiel gravifique extérieur est important pour qui envisage de se plonger dans un liquide jusqu'à ce que mort s'ensuive, autrement dit de se noyer. Il dit qu'une solution de l'équation de Laplace satisfaisant les conditions aux limites constitue la solution unique correspondant à l'équipotentielle. 

Cela constitue un avantage pour celui qui veut mettre fin à ses jours en se jetant dans un fleuve, comme fit le poëte Paul Celan dans la nuit du 19 au 20 avril 1970 (il se jeta dans la Seine, probablement du pont Mirabeau). Par contre, la connaissance du champ extérieur ne permet pas de déduire la distribution des masses qui produit l'équipotentielle, ce qui est incontestablement un inconvénient pour le suicidé philosophique qui aimerait bien savoir quelle posture adopter une fois dans l'eau.


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Validation expérimentale


Se tuer pour se prouver à soi-même la mortalité de l'être mortel.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Balsamique


Comme la momordique, l'idée du Rien est rafraîchissante, dessicative, et a la réputation d'être un excellent vulnéraire. L'homme du nihil en tire un baume qu'on vante comme un bon remède dans la piqûre des tendons, les hémorroïdes, les engelures, et l'angoisse d'exister. 

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)