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mardi 24 octobre 2023

Discussion impossible

 

Chestov a eu tort d'argumenter. Il aurait dû se contenter de traiter les Kant, Hegel, Husserl et consorts d'empapaoutés. On ne discute pas avec ces gens-là. Car quoi qu'on dise, ils ont la « raison » pour eux, les salops.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

jeudi 1 juin 2023

Un gars pas aidant

 

Si vous êtes dans la mouise, ce n'est pas la peine de vous adresser au gars Tchekhov. Tout ce qu'il vous répondra, c'est : « Je ne sais pas. » C'est en tout cas ce que prétend Léon Chestov (et en général il est bien informé).
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

mardi 8 octobre 2019

Tant d'eau si près de la maison (Raymond Carver)



Mon mari mange de bon appétit. Mais je ne pense pas qu'il ait vraiment faim. Il mâche, les bras sur la table, fixant un point au milieu de la pièce. De temps en temps, il me regarde, puis il détourne les yeux. Il s'essuie la bouche avec une serviette, hausse les épaules et se remet à manger.
— Pourquoi me dévisages-tu comme ça ? me demande-t-il. Hein ? Qu'est-ce qu'il y a ?
Et il repose sa fourchette. Moi, je réponds en secouant la tête :
— Moi, je te dévisageais ?
À ce moment, voilà le téléphone qui sonne.
— Ne réponds pas, m'ordonne mon mari.
— Ça pourrait être ta mère.
— On verra bien.
Je décroche et j'écoute. Mon mari cesse de manger.
— Alors ? Qu'est-ce que je te disais ? me lance-t-il lorsque j'ai raccroché.
Il se remet à mastiquer, puis brusquement jette sa serviette dans son assiette et se fâche.
— Nom de Dieu, pourquoi Husserl considère-t-il qu'il y a des vérités a priori, indépendantes des données de l'expérience empirique et applicables à toute chose rencontrée comme réalité factuelle ? On croirait avoir affaire à un connard d'idéaliste qui affirme l'autonomie fondamentale de la raison, avec sa validité et sa légalité propres, fondées sur ses propres vérités nécessaires et universelles !
— Tu as raison, Stuart, je dis. Quand j'ai lu ses Méditations cartésiennes, j'ai eu l'impression qu'il reconnaissait l'idéal comme condition de possibilité de la connaissance objective en général. Mais qu'est-ce que ça peut faire ?
— Qu'est-ce que ça peut faire ? Non mais tu ris, là, ou quoi ? Tu ne vois pas que l'approche de la vérité se situe au niveau existentiel ? Qu'elle se rencontre dans l'épreuve même de l'existence ? La vérité, à un niveau métaphysique, se présente au sujet comme une volonté de vivre et s'annonce dans ce qui entre en contradiction et en lutte avec ce que la raison reconnaît comme ses propres évidences ! Lis Chestov, bordel de merde ! Si quelqu'un a abordé le problème de la vérité chez Husserl à partir d'un clivage entre vérité logique et vérité subjective, c'est bien lui !
Je ferme les yeux et m'accroche à l'évier. Puis mon bras balaye la vaisselle rangée sur l'égouttoir. Tous les plats tombent sur le sol.
Il ne bronche pas. Je sais qu'il a entendu. Mais tout ce qui l'intéresse, c'est son sacré Husserl.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

lundi 23 juillet 2018

Les révélations de la mort


Haddock, dans sa cellule du Temple du Soleil, un jour avant la date prévue de son exécution sur le bûcher, se tient la tête entre les mains, effondré : « C'est fini !... Plus rien à espérer !... Jamais je n'ai touché à ce point le fond du désespoir ! »

Que peut-on dire à un homme qui touche le fond du désespoir ? « Ce n'est rien, il suffit de prendre de l'aspirine, de se frictionner avec du vinaigre, d'appliquer un sinapisme, et ça passera » ? C'est ainsi que parle la sagesse populaire, mais Haddock n'a cure de ce genre de consolation. Et à l'instar de l'« homme du souterrain » cher à Dostoïevski, il refuse de s'incliner devant le « mur de brique » de la nécessité.

Voici ce que dit de l'expérience haddockienne le philosophe Léon Chestov dans une lettre à sa fille datée du 13 avril 1921 : « Auparavant le whisky, la pipe, les cartes et les jurons semblaient être à Haddock le summum de ce que l'on pouvait atteindre. Il n'apercevait ni le soleil, ni le ciel, il ne voyait rien dans la vie, bien qu'il eût tout devant les yeux. Et lorsque arriva la mort, il comprit subitement qu'il n'avait rien vu, comme si dans la vie rien n'existait en dehors du whisky, de la pipe, des cartes et des jurons. Tout ce qu'il avait pu voir de vrai, il l'avait vu durant son enfance, sa jeunesse, puis l'avait oublié, employant toutes ses forces uniquement à ne pas être lui-même, mais à être comme "tout le monde". Aussi la révélation de la mort n'est pas une négation de la vie, mais, au contraire, plutôt une affirmation — mais une affirmation d'autre chose que de cet habituel remue-ménage de souris par lequel se laissent prendre les hommes. »


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

vendredi 20 juillet 2018

La chaîne (Tobias Wolff)


Brian Gold était en haut de la colline quand le chien attaqua. Une bête énorme, noire, semblable à un loup, attachée à une chaîne, surgie brusquement de derrière une véranda, qui franchit son jardin ventre à terre et pénétra dans le parc, courant aisément malgré la neige épaisse, la fille de Gold en point de mire.

Gold attendit que la chaîne stoppe le chien net ; le chien courait toujours. Gold plongea vers le pied de la colline, en criant. La neige et le vent étouffaient sa voix. La luge d'Anna était presque parvenue au bas de la pente. Gold avait relevé la capuche de sa parka pour la protéger des bourrasques cinglantes et il savait qu'elle ne pouvait ni l'entendre ni voir le chien se ruer sur elle. Il avait conscience de la vitesse du chien et du ralenti de ses propres enjambées, du poids de ses bottes en caoutchouc, de l'entrave que représentait la croûte collante sous la neige fraîche.

Surtout, il se souvenait avec angoisse que chez Hegel et Spinoza, le monde n'est qu'un système de nécessité. Certes, dans la doctrine de l'essence, Hegel montre que la nécessité logique se doit d'affronter la contingence du monde pour se rendre effective, mais cela ne le rassurait guère, et encore moins de savoir que chez Spinoza, la contingence est conçue comme un défaut imputable à l'ignorance des causes nécessaires, qu'elle n'a pas de statut ontologique, que son statut est seulement épistémique.

Il envisagea un moment de se tourner vers l'irrationalisme chestovien, mais il n'en avait plus le temps : le chien bondissait déjà, mordait Anna à l'épaule, la soulevait de la luge, la traînait derrière, la secouant comme une poupée.

Désespéré — le salut se trouvait peut-être chez Kierkegaard ? —, Gold se jeta au bas de la colline, puis la distance disparut et il se retrouva là.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

jeudi 21 juin 2018

Halte aux déchets dans la pièce d'eau des Suisses !


« Des bouteilles en plastique, des poissons morts, des transats... et même la carcasse d'une vieille Panhard. On trouve de tout dans la pièce d'eau des Suisses du château de Versailles. Ce bassin peu profond, creusé au XVII e siècle par un régiment de Gardes suisses et très fréquenté par les promeneurs, est régulièrement souillé par des détritus abandonnés au fond de l'eau ou en surface. Au grand dam de certains Versaillais, qui ont décidé de se mobiliser.

"J'ai l'habitude de me promener dans ce secteur. C'était très sale cet été. Au mois d'août, je me baladais avec une amie, nous discutions de la synthèse quintuple fichtéenne qui vise, comme on sait, à unifier en les égalisant les points de vue de l'être substantiel et du soi fini, lorsque j'ai vu des poissons morts et deux enfants en train de pêcher juste à côté. C'est révoltant", raconte Christine Schneider, dont on ne sait si elle fait référence aux poissons morts, aux enfants, ou à la synthèse quintuple fichtéenne. Toujours est-il que cette habitante de Versailles a décidé de lancer un appel sur les réseaux sociaux.

Elle a été entendue par Juliana. À la mi-novembre, celle-ci a décidé de mobiliser via Internet. Cette trentenaire a créé la liste "Versailles Royalement Propre" sur Facebook. A présent, elle compte 200 "amis" qui viennent de signer une pétition à l'attention des responsables du château de Versailles.

Elle réclame un nettoyage immédiat du bassin, l'assainissement de l'eau, la mise en place de poubelles, un entretien régulier du parc et du bassin, une surveillance pour éviter les incivilités, et "des comptes pour chacun de ceux que l'existence, l'histoire, le hasard, la superstition, l'inquisition de Philippe II, etc., ont rendu victimes : sans cela, je préfère me jeter la tête la première en bas de l'échelle ; même gratuitement, je ne veux pas accepter le bonheur : il faut encore qu'on me rassure au sujet de chacun de ceux qui sont mes frères par le sang" — et cetera, et cetera, on voit que la jeune écervelée répète la fameuse lettre de Bielinski citée par Chestov dans son Idée de bien chez Tolstoï et Nietzsche.

"L'objectif est de préserver la qualité de vie autour de cette pièce d'eau et de faire entrevoir à l'homme la possibilité d'une existence fondée sur l'éthique au sein même d'une vie soumise à la réalité du péché", souligne Juliana qui donne rendez-vous aux Versaillais, ce mardi à 14 h 30, Place du marché Notre-Dame, à proximité du café Le Chat qui pète. » (Le Parisien, 28 novembre 2016)


(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)