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dimanche 22 décembre 2024

Preuve par Bechet

 

On a longtemps cru que les personnes de couleur étaient insensibles au Bien et au Beau. Le poëte Jules Lemaître n'a-t-il pas écrit : « Chers primitifs, ô Bamboulas, benjamins de la terre antique, grands innocents qui n'avez pas de morale ni d'esthétique » ? Mais aujourdhui, on ne le croit plus ; tout simplement parce que trop d'indices contredisent ce postulat (à commencer par le clarinettiste Sidney Bechet).
 
(Gilbert Garistre, Aveux et anatropes)

lundi 23 juillet 2018

Stratagème inefficace


Quand la morale et l'esthétique se font trop oppressantes et ajoutent leur poids à celui déjà écrasant de l'haeccéité, l'homme du nihil boit jusqu'à en être noir, pensant trouver dans cette noirceur un remède à ses maux.  Le poëte Jules Lemaître n'a-t-il pas dit :

         « Chers primitifs, ô Bamboulas, 
         Benjamins de la terre antique, 
         Grands innocents qui n'avez pas 
         De morale ni d'esthétique. »

Mais cette ruse inepte ne donne rien. Le Moi y est, il y est toujours...

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

mardi 3 juillet 2018

Un puits solidaire au Sénégal


« Coordonnée par Éric Popu et Miguel Torres, professeurs au lycée Mariette de Boulogne, l'opération vise à récupérer des fonds pour installer un puits dans un village de la région de M'Bour au Sénégal.

Sans un accès direct à l'eau, la population doit couvrir un nombre effarant de kilomètres sous un soleil de plomb pour se procurer le précieux liquide — et les suicidés philosophiques désirant se jeter dans un puits busé doivent se rabattre sur le taupicide ou la traditionnelle "cravate de chanvre".

Pour réaliser ce projet, les responsables ont contacté Michel Gagniac, président de l'association "Un puits pour la vie" qui a déjà réalisé neuf puits dans les endroits les plus improbables. Pour récolter les fonds nécessaires, les lycéens recyclent des papiers et fabriquent des blocs qu'ils mettent en vente.

Après les puits, une deuxième étape devrait consister à apporter morale et esthétique aux Sénégalais, afin de faire mentir le poëte Jules Lemaître qui déclamait un peu pompeusement :

         "Chers primitifs, ô Bamboulas,
         Benjamins de la terre antique,
         Grands innocents qui n'avez pas
         De morale ni d'esthétique".

Une affaire à suivre, donc. » (La Voix du Nord, 18 octobre 2016)


(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)

vendredi 18 mai 2018

Quartier nègre (Georges Simenon)


— Je ne vois que des nègres, avait murmuré Germaine, alors que le navire manœuvrait encore et que, du haut du pont promenade, elle voyait se rapprocher lentement un quai où attendaient deux rangs de dockers noirs.
Et son mari avait murmuré sans conviction :
— Évidemment !
Pourquoi évidemment, puisqu'ils étaient à l'entrée du canal de Panama, c'est-à-dire en Amérique centrale ? N'auraient-ils pas dû apercevoir des Indiens ?
Il y avait deux heures de cela et ils avaient eu d'autres occasions d'étonnement. Ils étaient vêtus de toile blanche, tous les deux coiffés d'un casque colonial. Dupuche qui parlait l'anglais mieux que sa femme avait discuté avec un nègre qui, en échange de ses bagages, lui avait remis un bout de carton avec un numéro en grommelant :
Washington Hotel ?
Yes ! avait-il répliqué, stupéfait, car c'était là qu'il comptait descendre.
Ceux des passagers du Ville de Verdun qui continuaient le voyage jusqu'à Tahiti descendaient à terre en se bousculant, car le bateau n'escalait que trois heures avant de pénétrer dans le canal. On apostrophait les Dupuche.
— Vous restez longtemps à Cristobal ?
— Notre bateau arrive dans deux jours...
— Bonne chance !...
Le soleil aidait à vous dépayser, et aussi l'uniforme des douaniers, des agents, des soldats américains qui gardaient le port et les rues voisines. Des nègres vous happaient au passage, pour vous entraîner dans leur auto, mais Germaine préféra une voiture attelée d'un cheval et surmontée d'un petit taud blanc d'où pendaient des glands de rideau.
— Nous allons apporter à ces nègres la morale et l'esthétique, dit Dupuche. Le poète Jules Lemaître n'a-t-il pas écrit : « Chers primitifs, ô Bamboulas, benjamins de la terre antique, grands innocents qui n'avez pas de morale ni d'esthétique » ?
— Si, confirma Germaine. Mais comment allons-nous procéder ?
— Hum... Et si on organisait une lecture publique d'Art et scolastique de Maritain ? Le thomisme me paraît être un bon point de départ...
— Excellente idée, dit Germaine. Mais ces nègres pourront-ils comprendre que, chez Maritain, le fondement de la doctrine de l'être est le principe d'identité qui justifie en droit une « raison d'être » intelligible ?
— Ma foi, nous verrons bien.


(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)