« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mercredi 27 juin 2018
Il était une fois un festival du « vivre ensemble »
« Il y a quelques années, l'arrivée d'un cirque dans un bourg était synonyme d'évasion dans l'univers enchanté du rêve. Le chapiteau se montait devant les gamins imaginant déjà le spectacle, la magie de la piste, les clowns, les magiciens, les acrobates, représentants d'un monde éphémère qui aurait disparu au petit matin. C'est en jouant sur ce registre du chapiteau catalyseur de rêve que se tient, en cette première quinzaine d'avril, un festival réunissant une troupe et des associations locales "pour saupoudrer de rire, de joie et de vivre ensemble les bords de Vienne".
Créée en 2003 et installée aux portes de Chinon, la compagnie des FouxFeuxRieux entremêle poésie, cirque, musique et conte pour "chatouiller nos imaginaires". Et c'est logiquement au cœur de Chinon qu'elle a mis sur pied ce festival "Il était une fois un chapiteau".
Le week-end dernier, les FouxFeuxRieux ont donc posé caravane et chapiteaux sur les promenades des Docteurs Mattraits, où va se dérouler une série d'événements autour de la compagnie, dont le travail s'effectue main dans la main avec les associations culturelles locales.
Dès samedi, les FouxFeuxRieux ont monté leurs quatre chapiteaux avec l'aide de bénévoles. Jusqu'au 16 avril, les animations vont se succéder. L'école de cirque itinérante profitera des vacances scolaires pour initier enfants et adolescents aux arts du cirque, ce qui donnera lieu à un spectacle les deux samedis à venir. On pourra notamment y voir un philosophe sceptique suspendre son jugement pour parvenir à l'ataraxie. Un moment fort en perspective !
Point d'orgue du festival : une intervention de Jean-Pierre Georges, le fameux "athlète chinonais du Rien" qui lira certains de ses textes, entre autres celui où il
compare le monde aux "génitoires d'un âne".
Nul doute que le mélange des genres entraînera un mélange des publics, et l'on peut espérer que sortiront de leurs tanières les habitants du quartier voisin des Courances, peu enclins en général à fréquenter les spectacles culturels. Le chapiteau, par son côté frappant, devrait exciter la curiosité du voisinage et faciliter ce mélange, ce fameux "vivre ensemble", en le rendant concret. C'est tout ce qu'il faut souhaiter aux promoteurs de cette initiative originale. » (La Nouvelle République, 5 avril 2016)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Force
Par des trépidations désespérées, le constipé s'efforce de résoudre le problème que pose le concept mystérieux de « force » dans la physique newtonienne. Il n'essaie pas de répondre directement à la question « Qu'est-ce qu'une force ? », mais rêve d'atteindre son but sans faire appel à la notion de « force » en tant que concept fondamental.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Diététique du suicidé
Selon Aulu-Gelle, le candidat au suicide, avant de commettre son geste fatal, doit se préserver de toute lourdeur d'estomac et donc éviter absolument : le paon de l'île de Samos, le faisan de Phrygie, la grue de l'île de Mélos, le chevreau d'Ambracie, le thon de Chalcédoine, la murène de Tartèse, la morue de Pessinunte, l'huître de Tarente, le pétoncle de Chio, l'esturgeon de l'île de Rhodes et le poisson de Cilicie ; la noix grecque, le fruit des palmiers d'Égypte, et l'aveline d'Ibérie. (Nuits attiques, Livre VII, Chapitre XVI).
(Marcel banquine, Exercices de lypémanie)
Spinozisme exacerbé
« Un homme est soupçonné d'avoir tenté de tuer sa femme, à Valensole. Un geste qui aurait été prémédité. Il a été placé en garde à vue hier matin pour "tentative d'assassinat", garde à vue qui a été prolongée hier soir.
Alors qu'elle circulait en voiture, sa femme a remarqué un comportement inhabituel de son véhicule. Elle est aussitôt allée chez un garagiste, et celui-ci a découvert que les durites de frein de son automobile avaient été sectionnées. Elle s'est alors rendue à la gendarmerie pour déposer plainte. La procédure a entraîné une ouverture d'enquête par le parquet de Digne-les-Bains, menée par la brigade territoriale autonome de Manosque et la brigade de recherches de Forcalquier.
Les soupçons se sont rapidement tournés vers le conjoint de la plaignante, un homme qui a déjà eu affaire à la justice pour des faits d'exhibitionnisme spinozien (vêtu d'un imperméable et de bas de pantalon, il opposait à la conception transcendante du divin une philosophie matérialiste de l'immanence).
Selon nos informations, le suspect se défend bec et ongles et aurait déclaré aux enquêteurs que son épouse était une "carogne" qui avait "aussi peu à voir avec un être humain, que la constellation du Chien avec le chien, animal aboyant".
Sa garde à vue devrait être levée aujourd'hui. Il sera vraisemblablement déféré aussitôt devant le pôle criminel d'Aix-en-Provence. » (Le Dauphiné, 27 janvier 2018)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Répétitions angoissantes
Quoique bon élève, Heidegger n'aime pas aller à l'école. Chaque matin, devant son bol de cacao et sa tartine beurrée, il a la boule au ventre ou, comme il dit, « la barre » (ich habe die Bar).
Difficile de ne pas voir dans ces spasmes quotidiens comme des prémices des « répétitions angoissantes » analysées dans Sein und Zeit, à partir desquelles le Dasein s'ouvre à son être-vers-la-mort.
Heidegger apprendra plus tard qu'à peu près au même âge, Albert Einstein souffrait du même genre d'angoisse — mais devant un bol de ricoré.
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Malempin (Georges Simenon)
Même de sang-froid, je reste persuadé que cette journée a été plus rapide que les autres et le mot vertigineux me vient naturellement à l'esprit. J'ai, quelque part au fond de la mémoire, un vieux souvenir similaire. Je jouais dans la cour du lycée. Non, ce n'est pas possible, puisqu'il va être question d'un tramway. Peu importe ! Dans une rue. Ou sur une place. Plutôt sur une place, car je revois des arbres et je pourrais préciser qu'ils se découpaient sur un mur blanc. Je courais. Je courais à perdre haleine. Pourquoi ? Je l'ai oublié. Je courais comme en rêve, sans rien voir, que le sol qui fuyait sous mes pieds tel le remblai d'un chemin de fer. Et soudain, malgré la vitesse déjà anormale, il y eut accélération, un crescendo finissant par un arrêt brusque qui me laissait vibrant de la tête aux pieds, les tempes battantes, les lèvres humides, les yeux écarquillés sur un tramway qui, à un mètre de moi, tremblait lui aussi de toute sa ferraille.
Je ne cherche pas à prouver. Est-ce que, ce jour-là, je courais plus vite parce que j'avais une intuition, parce que je sentais la catastrophe ?
— Imbécile ! m'a crié le conducteur, aussi pâle que moi.
J'ai dû monter sur le trottoir. Puis, je me suis assis sur un seuil.
La journée dont je veux parler n'a aucun rapport apparent. Peut-être certaine allégresse des très beaux jours de juin ? Je me suis levé à six heures, avant que la bonne fût descendue.
Pendant que je me rasais dans la salle de bains, ma femme, de son lit, m'a rappelé :
— N'oublie pas que chez Husserl, la monade caractérise le rapport intersubjectif. Ce n'est pas du tout comme chez Leibniz ! Le mot monade, chez le fondateur de la phénoménologie, désigne la conscience individuelle, l'individualité en tant qu'elle représente à la fois un point de vue unique, original sur le monde et une totalité close, impénétrable aux autres consciences individuelles ou individualités. Pour Husserl, au moi est donné d'autres moi, non pas directement, mais au travers une série d'actes extérieurs, physiques, que le moi interprète par analogie à soi-même. Ainsi, à travers les actes d'interprétation, se forment des mondes intersubjectifs, régis par des structures qui leur sont propres et qui rendent possible la constitution de personnes supérieures, collectives. On aboutit à une pluralité de monades qui communiquent entre elles, à travers la sphère neutre du monde intersubjectif.
— Je sais, j'ai dit. Me fais pas chier !
La rue de Beaune était vide. J'ai pris un taxi quai d'Orsay et je me suis fait conduire à la gare Saint-Lazare, à travers un Paris doré comme une pêche.
(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)
Angoisse bifrons
Au dire de Karl Jaspers, « l'état de mort, qui consiste à ne plus être, et l'action de mourir, qui cesse avec la mort, provoquent chez le Dasein deux angoisses bien différentes » — et cela paraît indéniable.
Pour contenir ou apaiser la seconde, le suicidé philosophique chevronné privilégie les méthodes qui expédient promptement et il évite, s'il le peut, de se jeter du viaduc de Garabit (qui culmine à 122 mètres au-dessus des gorges de la Truyère — durée de la chute : 5 secondes en négligeant les forces de frottement dues à l'atmosphère). Mais quant à la première, comme le note fort justement Jaspers, « aucun artifice technique ne peut en délivrer l'étant existant, seule la philosophie le peut »
Et en particulier la philosophie nihilique, est-on tenté d'ajouter. Car peut-on imaginer patrie plus accueillante, plus propre à réjouir le cœur de l'homme que le Rien ?
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Un inadapté
Comment se faire à la finitude du Dasein ? L'écrivain uruguayen Horacio Quiroga ne s'y fit jamais. Atteint d'un dégoût prononcé de la vie, il met fin à ses jours en 1937 dans un hôpital de Buenos Aires, en avalant une pilule de cyanure.
Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis le dépeint comme « un dandy tourmenté, irrésistiblement attiré, comme ses personnages qui lui ressemblent tant, par la dangereuse beauté de cette grande forêt tropicale : le Rien ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
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