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samedi 2 décembre 2023

Solitude du clameçant

 

Vous pouvez souffrir tant que vous voulez, les gens n'en ont rien à foutre. Ils n'en ont pas plus à foutre que de la philosophie de Maritain. Vous allez clamecer, bientôt vous n'existerez plus — ô ecchymose de l'âme ! — et eux, ils vaquent à leurs petites affaires. On avait bien raison de les haïr depuis le début. Salops ! Euh... Pots de pisse !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

vendredi 13 octobre 2023

Les routiers

 

La vie est une suite presque ininterrompue de frustrations. Rien n'est comme on le voudrait. Les garagistes de la Bourboule sont des canailles et les femmes des vipères. Il y aurait de quoi désespérer, mais heureusement il y a aussi... la philosophie de Maritain ! Le thomisme ! Pas, Bébert ?
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

jeudi 7 septembre 2023

Extermination par le Maritain

 

Puisque « philosopher, c'est se préparer à mourir, c'est mourir », on aimerait conseiller à tous ces gens que l'on croise dans la rue ou dans les « transports en commun », à tous ces gens qui vous bloquent le passage, vous bousculent ou vous foncent dessus, de lire du Maritain ou de l'André Comte-Sponville et, oui, de mourir.
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

dimanche 13 août 2023

Trier et mettre en ordre

 

Effaré par le chaos qu'est devenu son cerveau après toutes ces années passées à lire — Heidegger, Wittgenstein, Bergson, Maritain — et à entendre — Michel Fugain, le chanteur Carlos — des inepties, le nihilique a décidé de faire comme le narrateur de Corrections : il va « trier et mettre en ordre » ; « trier et mettre en ordre ». Mais n'est-il pas déjà trop tard ?
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

dimanche 21 mai 2023

L'insoutenable silence des frères Grafouillères

 

Le nihilique est pleinement conscient qu'il est absurde de s'adresser à des personnages de fiction, des personnages de René Fallet en l'occurrence, pour avoir un avis sur un philosophe de la Grèce antique. Mais tout est tellement bête et absurde dans la vie, de toute façon... alors il y va. « Ô frères Grafouillères ! Et toi, Léon Dessertine, mandataire en viandes et ancien de l'Assistance ! Que vous semble de Parménide et de son non-être qui n'est pas ? » — Comme il fallait s'y attendre, ni les frères Grafouillères ni Léon Dessertine ne répondent. Parménide, il faut croire que c'est comme Maritain pour le vulgum pecus : ils n'en ont rien à foutre.
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

mardi 2 mai 2023

Maritain : une fausse bonne idée

 

Chez Maritain, le fondement de la doctrine de l'être est le principe d'identité qui justifie en droit une « raison d'être » intelligible. Du principe d'identité découle, selon lui, toutes les catégories de l'être d'où l'on déduit l'être même, l'être subsistant par soi (Dieu). Et l'on se dit : « Comme il serait doux de parler avec quelqu'un de cette merveilleuse philosophie maritainienne tout imprégnée de thomisme. Peut-être qu'on se ferait des amis, à discuter ainsi de Maritain ? » Puis aussitôt : « Mais non, ce n'est pas possible. Maritain, c'est clair, les gens n'en ont rien à foutre. »
 
(Rémi Tripatala, Pensées de Pascal)

vendredi 10 mars 2023

Impuissance du bouddhisme zen

 

Ni le bouddhisme zen, ni l'entreprise maritainienne placée sous le signe du thomisme, encore moins le merleau-pontisme, ne parviennent à donner un sens à la séquelle de minuscules anecdotes en quoi consiste une vie humaine (par exemple le remplacement d'un chauffe-eau). 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

mercredi 15 février 2023

Self-taught philosophy

 

On voudrait savoir comment vivre, alors on cherche chez Platon, chez Leibniz, chez Schopenhauer, chez Maritain, chez André Comte-Sponville, tout ça pour finalement découvrir — par soi-même ! — que la meilleure façon de vivre, c'est allongé sur un canapé en laine, la casquette rabattue sur le nez. 
 
(Samuel Slippensohn, Follicules palingénésiques)

mardi 27 septembre 2022

Presbytie philosophique

 

Le nihilique n'a pas la benoîte berlue de prendre le néant pour l'être ni, comme font Maritain et d'autres amis de la sagesse, de confondre les steppes velues du Grand Tout avec « le réel ». 

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

vendredi 15 juillet 2022

Raison de vivre

 

Celui que le « fétide et rébarbatif réel » fait s'embouquer en d'usuelles asphyxies, comment s'intéresserait-il au bergsonisme ou à la philosophie de Maritain ? Se moquer du monde — et de « l'être » en général — est la seule occupation qu'il trouve encore quelque peu exaltante, c'est son unique « raison de vivre ».

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

mercredi 30 octobre 2019

La machine à baiser (Charles Bukowski)


Il fait chaud, ce soir, chez Tony. On ne pense même pas à la baise. Une bière bien fraîche, c'est tout. Tony nous en envoie deux, à Mike l'Indien et à moi, et Mike sort son fric. À lui de payer le premier tour. Tony encaisse, glande, jette un œil sur les cinq ou six mecs qui regardent dans leurs bières. Des mous. Tony revient vers nous et je lui demande :
— Quoi de neuf, Tony ?
— Et merde !
— C'est pas nouveau.
— Merde, dit Tony.
— Merde, dit Mike l'Indien.
On sirote nos bières et je demande à Tony :
— Qu'est-ce que tu penses de Maritain ?
— Merde.
— Ouais, dit l'Indien. Aux chiottes le réalisme critique.
— Il paraît, dis-je, qu'il n'y a pas de vie sur Mars.
— Et alors ? demande Tony.
— Et merde, file-nous deux bières.
Tony envoie les bières, vient ramasser la monnaie, fait sonner sa caisse, revient :
— Putain de chaleur. J'aimerais être aussi mort qu'un tampax d'avant-hier.
— Maritain prétend que rien de sensible ou d'expérimental n'entre dans la définition de l'ellipse ou de la racine carrée. Qu'est-ce que tu en penses, Tony ?
— Merde. Qu'est-ce que ça fout ?
— Moi, je trouve ça difficile à accepter, dis-je. Si même on admet que le continu, et par conséquent la racine carrée, peuvent être conçus sans la matière sensible, on ne peut en dire autant de l'ellipse. Affirmer que x 2 + y 2 = r 2 représente un cercle, implique non seulement que x, y et r sont des grandeurs mais qu'ils sont des longueurs mesurées dans certaines directions. Et on ne voit pas comment on pourrait concevoir une direction sans impliquer du sensible.
— Un sac à merde !
— Quoi ? Le sensible ? Ou Maritain ?
— Sacs à merde !
On vide nos bières, en pensant à tout ça, puis je dis :
— Attendez, je vais pisser.
Je me dirige vers le pissoir. Plus j'y pense, plus je me dis qu'il y a quelque chose de vicié dans la doctrine des trois degrés d'abstraction sur laquelle s'appuie Maritain. Mais il fait trop chaud pour creuser la question. Je sors mon truc et je commence à pisser.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

samedi 12 octobre 2019

De l'autre côté du palier (Raymond Carver)



Bill et Arlène Miller formaient un couple heureux. Mais ils avaient parfois l'impression d'être passés à côté de quelque chose, qu'eux seuls avaient manqué parmi leurs relations et amis. C'était comme s'ils avaient raté le coche ; Bill demeurait rivé à ses devoirs de comptable, Arlène à ses travaux de secrétaire. Plus précisément, il avaient la désagréable sensation d'être passés à côté du concept d'être, sujet de la métaphysique. Il leur semblait, comme à Maritain, que le seul concept dans lequel l'existence est objectivée, c'est le concept quidditatif de l'étant, de provenance abstractive, mais enrichi et fécondé par l'acte judicatif qui l'ouvre ainsi sur la primauté absolue de l'esse au coeur de l'étant. Cela les amenait à comparer leur vie à celle de leurs voisins Harriet et Jim Stone. Les Miller avaient l'impression que les Stone menaient une existence plus pleine et plus brillante, qu'il possédaient en quelque sorte un supplément d'être. Ils dînaient tout le temps en ville, invitaient des gens chez eux, parcouraient le pays lors de voyages qui avaient un vague rapport avec le travail de Jim.
Les Stone habitaient sur le même palier que les Miller. Jim était représentant pour une entreprise de pièces mécaniques, ce qui lui permettait fréquemment de concilier les affaires et les plaisirs du vagabondage. Ainsi l'occasion se présenta-t-elle, une fois, de partir pour dix jours. Les Stone iraient d'abord à Cheyenne, puis à Saint Louis rendre visite à des parents. Durant leur absence, les Miller se chargeraient de leur appartement, nourriraient le chat et arroseraient les plantes.
Un matin, Bill et Jim se serrèrent la main à côté de la voiture, tandis qu'Arlène et Harriet, se tenant mutuellement par les coudes, échangeaient de légers baisers sur les lèvres.
— Amusez-vous bien, dit Bill à Harriet.
— Nous n'y manquerons pas, répondit-elle. Mais vous aussi, mes petits, payez-vous du bon temps.
— Oh, vous savez... fit Bill. Comme l'a dit Berdiaev — et Maritain a formulé une distinction très similaire —, toute la complexité de l'homme résulte du fait qu'il est un individu, c'est-à-dire une partie de l'espèce, et une personne, c'est-à-dire un être spirituel. Alors... se payer du bon temps, vous savez...
— Ah... Hum... fit Harriet. Tu viens, Jim, on y va ?
— Attends un instant, fit Jim. Si je ne m'abuse, la distinction de l'individu et de la personne ne se trouve pas avec une telle connotation politique dans la philosophie de saint Thomas. Pour saint Thomas, le vocable d'individu désigne « le mode de subsister d'une substance particulière » et c'est en ce sens qu'il prend place dans la définition de la personne proposée par Boèce. Mais ça n'a pas d'importance. Encore merci, les amis !
Les Stone agitèrent la main  en signe d'adieu, tandis que les Miller les imitaient.
— Que j'aimerais que nous soyons à leur place, soupira Bill.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

mardi 21 août 2018

Solitude effrayante de Maritain


La solitude qu'éprouve le suicidé philosophique face à son colt Frontier, à sa gazinière ou à son flacon de taupicide ne peut se comparer qu'à celle de l'« ami de la sagesse » Jacques Maritain à l'automne de sa vie quand, abandonné de tous, il vit la mort « marcher vers lui à grandes enjambées, tel un prophète hébreu ». Cette solitude de Maritain, pour Henri Massis, était la marque de l'infécondité intellectuelle de l'entreprise maritainienne placée sous le signe du thomisme !

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

mercredi 15 août 2018

Le diable était en chaleur (Charles Bukowski)


Voilà, je venais de m'engueuler avec Flo, mais je n'avais pas envie de me soûler ni d'aller dans un salon de massage. Je suis donc monté dans ma voiture et j'ai mis le cap vers l'ouest, direction la plage. Le soir tombait, je conduisais lentement. Je suis arrivé à la jetée, je me suis garé et je suis monté sur la jetée. J'ai fait une halte à la salle de jeux, ai fait quelques parties, mais l'endroit puait la pisse, si bien que je suis sorti. Comme j'étais trop vieux pour monter sur le manège, je suis passé devant sans m'arrêter. Les gens habituels arpentaient la jetée — une foule somnolente, indifférente au fait que, chez Maritain, le fondement de la doctrine de l'être est le principe d'identité qui justifie en droit une « raison d'être » intelligible. Du principe d'identité découle, selon lui, toutes les catégories de l'être d'où l'on déduit l'être même subsistant (Dieu).

Ce fut alors que je remarquai un rugissement sortant d'une baraque proche. Sans doute une bande enregistrée ou un disque. Il y avait un aboyeur devant le stand. « Allons, mesdames et messieurs, entrez, entrez donc... nous avons réellement capturé le diable ! Venez l'admirer en chair et en os ! Rendez-vous compte, pour vingt-cinq cents seulement, vous allez pouvoir contempler le diable... le plus grand perdant de tous les temps ! Le grand vaincu de l'unique révolution fomentée au ciel ! »


Soudainement, je compris ce que voulait dire Henri Massis quand il parlait de l'infécondité intellectuelle de l'entreprise maritainienne...


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

samedi 23 juin 2018

Noms (Stephen Dixon)


Je tourne en rond dans la chambre. Je m'allonge sur le lit. J'essaye de lire. J'essaye de dormir. Je regarde dans le réfrigérateur. Je bois. Je sors. Je marche dans les rues. Je regarde à l'intérieur des appartements à travers les vitres. Je vais voir un film. Je m'en vais à la moitié du film. Je vais dans un bar. Je m'assois et commande un verre. Je me lève, pose ma bière, et me dirige vers les toilettes alors que je n'ai rien à y faire. J'y vais parce que j'ai envie de passer au milieu des gens agglutinés au bar. J'ai envie qu'on me dise bonjour. « Tiens, comment ça va, quoi de neuf ? », voilà ce que j'ai envie qu'on me dise. Ou bien quelqu'un qui ne me connaît pas, mais a envie de discuter, par exemple de Maritain.

Selon ce dernier, toute forme universelle et nécessaire d'être, même comprise de façon très obscure, constitue une matière à laquelle l'esprit peut appliquer les principes de la pensée scientifique, c'est-à-dire des procédés explicatifs et causaux. Mais attention ! Dans Les degrés du savoir, Maritain prend soin de préciser que les idées et les principes causaux, lorsqu'ils sont appliqués dans les sciences empiriologiques, doivent être reconsidérés et remaniés. Le concept de cause efficiente, par exemple, est à l'origine un concept ontologique, c'est-à-dire un concept défini par référence à l'être : dans cet état originel il n'est pas directement applicable en dehors de l'ordre ontologique. Quand nous descendons au niveau empiriologique, l'être n'apparaît pas comme le centre lumineux dans la chose considérée mais seulement comme un principe caché d'ordre qui garantit la stabilité des phénomènes.


Mais on ne me dit rien, personne ne s'apprête à me parler de Maritain. Le thomisme, c'est clair, ils n'en ont rien à foutre. 


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

vendredi 1 juin 2018

Thomisme maritainien


« C'est un voisin qui a alerté les secours, mardi soir, intrigué de constater que les volets restaient ouverts la nuit. "Ordinairement, quand il s'absentait, il nous prévenait toujours pour qu'on surveille sa maison", explique-t-il en parlant de Claude Leroy, 88 ans, qui vivait seul au numéro 1 de la rue Étienne-Dolet, sur les hauteurs de Liancourt.

En forçant la porte, les sapeurs-pompiers vont faire une macabre découverte. Deux corps gisent en effet dans la maison : celui de l'octogénaire, mais aussi celui de l'un de ses fils, Nicolas, âgé de 51 ans, tailleur de pierre au chômage.

Dans un mot, Claude Leroy aurait expliqué avoir tué son fils d'un coup de couteau lors d'une dispute portant sur la possibilité de construire rationnellement la connaissance et l'ontologie sur les bases de la logique. Dépassé par son geste commis "dans un instant de colère", cet ancien clerc de notaire se serait ensuite suicidé en s'étouffant avec un sac en plastique.


Décrit comme un zélateur du philosophe Jacques Maritain, l'octogénaire n'était pas un grand bavard. "Il était discret ; on le voyait simplement aller chercher son pain en ville", assure un voisin. Un homme qui se présente comme un "ami de longue date" du de cujus renchérit : "Les seules fois où il s'animait un peu, c'est quand il promouvait une philosophie de l'être et de l'exister supérieure, d'après lui, aux philosophies de l'Un, du vrai, du bien, de la liberté, de la durée, de l'existence (coupée de l'essence). Le fondement de la doctrine de l'être telle qu'il la concevait était le principe d'identité qui, selon lui, justifiait en droit une « raison d'être » intelligible. Que Heidegger ait pu confondre l'être même subsistant avec un existant suprême, cela le courrouçait au plus haut point."

Malgré cette débauche de philosophie maritainienne, chacun s'accorde à dire que Claude Leroy avait bien "toute sa tête". Pour la famille, il aurait tué accidentellement Nicolas. L'enquête a été confiée à la brigade des recherches de Clermont. » (Le Courrier Picard, 17 novembre 2017)


(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

vendredi 25 mai 2018

Les sœurs Lacroix (Georges Simenon)


— ... pleine de grâce, le Seigneur est avec vous... pleine de grâce, le Seigneur est avec vous...
Les mots n'avaient plus de sens, n'étaient plus des mots. Est-ce que Geneviève remuait les lèvres ? Est-ce que sa voix allait rejoindre le sourd murmure qui s'élevait des coins les plus obscurs de l'église ?
Des syllabes semblaient revenir plus souvent que les autres, lourdes de signification cachée.
— pleine de grâce... pleine de grâce...
Puis la fin triste des ave :
— ... pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort, ainsi soit-il.
Quand elle était petite et qu'on disait le chapelet à voix haute, ces mots, qui renaissaient sans cesse, ne tardaient pas à l'envoûter et il lui arrivait d'éclater en sanglots.
— ... maintenant et à l'heure... à l'heure...
Alors elle s'écriait en regardant la Vierge à travers ses larmes :
— Faites que je meure la première !... Ou que nous mourions tous ensemble, mère, père et Jacques...
Quelque part dans l'obscurité, pas loin, du côté de la statue de saint Antoine, résonnait une voix grave comme un bourdon. C'était celle de Maritain qui expliquait que toute forme universelle et nécessaire d'être, même comprise de façon très obscure, constitue une matière à laquelle l'esprit peut appliquer les principes de la pensée scientifique, c'est-à-dire des procédés explicatifs et causaux. Mais il prenait aussitôt soin de préciser que les idées et les principes causaux, lorsqu'ils sont appliqués dans les sciences empiriologiques, doivent être reconsidérés et remaniés. Le concept de cause efficiente, par exemple, est à l'origine un concept ontologique, c'est-à-dire un concept défini par référence à l'être : dans cet état originel il n'est pas directement applicable en dehors de l'ordre ontologique. Quand nous descendons au niveau empiriologique, l'être n'apparaît pas comme le centre lumineux dans la chose considérée mais seulement comme un principe caché d'ordre qui garantit la stabilité des phénomènes.
Geneviève tressaillit, jeta un regard autour d'elle et murmura, toute sa volonté tendue, comme si ç'eût été une question de volonté :
— Sainte Vierge jolie... Il faut que vous fassiez quelque chose pour que cela change à la maison... Il faut que tante Poldine et maman appliquent les principes de la pensée scientifique, comme l'a suggéré Maritain, et cessent de détester papa et de se détester entre elles... Il faut que mon frère Jacques et papa arrivent à s'entendre... Sainte Vierge jolie et douce, il faut que chacun, chez nous, cesse de se haïr...


(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)

vendredi 18 mai 2018

Quartier nègre (Georges Simenon)


— Je ne vois que des nègres, avait murmuré Germaine, alors que le navire manœuvrait encore et que, du haut du pont promenade, elle voyait se rapprocher lentement un quai où attendaient deux rangs de dockers noirs.
Et son mari avait murmuré sans conviction :
— Évidemment !
Pourquoi évidemment, puisqu'ils étaient à l'entrée du canal de Panama, c'est-à-dire en Amérique centrale ? N'auraient-ils pas dû apercevoir des Indiens ?
Il y avait deux heures de cela et ils avaient eu d'autres occasions d'étonnement. Ils étaient vêtus de toile blanche, tous les deux coiffés d'un casque colonial. Dupuche qui parlait l'anglais mieux que sa femme avait discuté avec un nègre qui, en échange de ses bagages, lui avait remis un bout de carton avec un numéro en grommelant :
Washington Hotel ?
Yes ! avait-il répliqué, stupéfait, car c'était là qu'il comptait descendre.
Ceux des passagers du Ville de Verdun qui continuaient le voyage jusqu'à Tahiti descendaient à terre en se bousculant, car le bateau n'escalait que trois heures avant de pénétrer dans le canal. On apostrophait les Dupuche.
— Vous restez longtemps à Cristobal ?
— Notre bateau arrive dans deux jours...
— Bonne chance !...
Le soleil aidait à vous dépayser, et aussi l'uniforme des douaniers, des agents, des soldats américains qui gardaient le port et les rues voisines. Des nègres vous happaient au passage, pour vous entraîner dans leur auto, mais Germaine préféra une voiture attelée d'un cheval et surmontée d'un petit taud blanc d'où pendaient des glands de rideau.
— Nous allons apporter à ces nègres la morale et l'esthétique, dit Dupuche. Le poète Jules Lemaître n'a-t-il pas écrit : « Chers primitifs, ô Bamboulas, benjamins de la terre antique, grands innocents qui n'avez pas de morale ni d'esthétique » ?
— Si, confirma Germaine. Mais comment allons-nous procéder ?
— Hum... Et si on organisait une lecture publique d'Art et scolastique de Maritain ? Le thomisme me paraît être un bon point de départ...
— Excellente idée, dit Germaine. Mais ces nègres pourront-ils comprendre que, chez Maritain, le fondement de la doctrine de l'être est le principe d'identité qui justifie en droit une « raison d'être » intelligible ?
— Ma foi, nous verrons bien.


(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)