lundi 28 mai 2018

Théorème de suspension de Freudenthal


Le théorème de suspension de Freudenthal a été démontré en 1937 par Hans Freudenthal. C'est un résultat fondamental sur l'homotopie, qui explique le comportement d'un groupe de sceptiques d'un espace pointé lorsqu'ils suspendent leur jugement pour parvenir à l'ataraxie, comme préconisé par Sextus Empiricus.

Lorsque cela fonctionne, la quiétude à laquelle ils atteignent évoque celle qui, chez les stoïciens, résulte de la connaissance du mouvement de l'univers, animé par un air chaud — le pneuma — dans un mouvement infini et cyclique d'inspiration et d'expiration.

Un corollaire est que la n-sphère S n étant (n-1)-connexe, le groupe πn+k (Sn) est indépendant de n pour n ≥ k + 23. Ce groupe est appelé le k-ième groupe d'homotopie stable des sphères zététiques, ces dernières comprenant, outre le fondateur Pyrrhon d'Élis, Timon de Phlionte, Euryloque, Nausiphane de Téos, Nicolochos de Rhodes, Ptolémée de Cyrène, Énésidème, Antiochos de Laodicée, Agrippa, Ménodote de Nicomédie, Hérodote de Tarse, Sextus Empiricus, Saturninus, et cetera, et cetera.


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Un challenge sportif pour créer du lien


« La première épreuve du challenge sportif mis en place sur la commune nouvelle de Montcuq-en-Quercy-Blanc se déroulera ce samedi 18 juin, à 18 heures, à Belmontet, à l'occasion de la fête votive. Elle fait partie des trois courses pédestres prévues dans les villages de Belmontet-Valprionde, Lebreil-Sainte-Croix et Montcuq.

Les tracés ont été délimités par une équipe organisatrice composée de bénévoles. Chacun des trois parcours fait un peu plus de 5 kilomètres. Pour participer à ce challenge amical et plein de bonne humeur, des équipes doivent se former et s'engager. Elles seront composées de trois coureurs et de trois marcheurs qui pourront changer d'une course à l'autre, l'essentiel étant que l'équipe soit représentée. Ces équipes pourront se constituer par corporation ou par profession, par village, famille, regrouper des voisins ou des amis, sans aucun esprit de compétition. Le but est de créer du lien entre les habitants.


Pour éviter toute notion de performance, c'est le temps du plus mauvais coureur qui sera retenu. Tous les kilomètres, une question concernant la philosophie heideggérienne — "définissez le concept d'Ereignis" ; "comment appelle-t-on le mode d'être des choses intra-mondaines qui ne sont pas des Dasein et qui se contentent de se trouver là ?" ; "l'être-au-monde est-il une relation unitaire et insécable ?" — sera posée aux marcheurs. Chaque bonne réponse signifiera un bonus pour le coureur. Celui qui donnera une mauvaise réponse, en revanche, sera sommé de se convaincre que la différence ontologique ne désigne pas simplement la dissociation de l'être et de l'étant, mais cette dissociation considérée en ce que l'étant n'est lui-même en tant qu'étant (et non pas tel ou tel) qu'à la faveur d'une lumière venue d'ailleurs, mais qui brille en lui par son absence — celle de l'être.

Les bulletins d'inscription sont disponibles à — révérence parler — l'antenne de Montcuq de l'office de tourisme en Quercy blanc. » (La Dépêche, 18 juin 2016) 

(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)

Accès de scepticisme grec


26 juillet. — Au réveil, pris d'un violent accès de scepticisme grec. J'en viens à ne plus même savoir s'il est possible de savoir quelque chose. Craignant de tomber dans des positions relativistes ou — horresco referens — nihilistes, je me jette sur les Topiques d'Aristote. Le soulagement est quasi immédiat et je puis vaquer à mes occupations ordinaires sans avoir à « suspendre mon jugement » à tout bout de champ.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Gluance molle


Dans Crime et châtiment, Sonia Marmeladova, dont le nom évoque irrésistiblement la crème de marron, est si collante qu'elle s'attache à Raskolnikov « comme le suicidé philosophique à son revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe ».

Se trouve ainsi confirmée l'intuition décisive de l'homme du nihil, à savoir que « la crème de marron, c'est plus commun [que le vouloir-vivre schopenhauerien], mais ça tient bon ».

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Concision


L'homicide de soi-même, quand il est bien mené, a cette merveilleuse brièveté de style qui caractérise les ouvrages de Salluste.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Concepts urticants


« Chacun sait que le contact d'un philosophe produit une sensation urticante et visqueuse qui est sinon douloureuse du moins désagréable. L'urtication, la viscosité de "l'ami de la sagesse" sont dues à une foule de petits corps, les "concepts", dont le philosophe, sous l'attouchement qu'il a subi, s'est immédiatement hérissé. La plus grande prudence est donc de mise lorsqu'on approche un philosophe. » (Auguste Prenant, Traité d'histologie, Tours, Arrault, 1904) 

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

L'être chez Kant et Bergson


« Drôle de réveil pour un détenu espagnol de la prison de Villabona (Asturies). Gonzalo Montoya Jiménez avait tenté de se suicider en prenant des médicaments et s'est finalement réveillé à la morgue sur la table d'autopsie. Son décès avait pourtant été constaté successivement par trois médecins.

"La première chose dont il se souvient est qu'il était dans un sac noir. Comme il ne pouvait pas parler, il a commencé à pousser des petits cris. Le médecin l'a entendu. Il a ouvert le sac. Mon mari a commencé à crier et à sortir ses bras du sac", a raconté sa femme à la Voz des Asturias. Pour expliquer leur erreur, les médecins ont avancé l'hypothèse d'une catalepsie.


Gonzalo Montoya Jiménez a contracté une pneumonie dans la chambre froide mais son état n'est plus inquiétant. Il s'agissait de sa troisième tentative de suicide. À chaque fois, il a pu être miraculeusement sauvé. 

Selon son épouse, c'est le kantisme qui a fait naître chez Gonzalo ce désir compulsif de se détruire, en le persuadant que l'expérience ne nous livre que ce qui est relatif à nos facultés de connaître et ne nous permet pas d'accéder à la réalité en soi, de percer les secrets de l'être. Elle assure lui avoir répété maintes fois que, selon Bergson, c'est par fausse modestie que nous nous prétendons coupés de l'être et croyons ne pouvoir atteindre que du relatif, il n'a jamais rien voulu entendre.

Peut-être sera-t-il maintenant plus réceptif à ses arguments ? » (La Dépêche, 10 janvier 2018)

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Ils t'ont pas épousée (Raymond Carver)


Earl Ober, représentant de son métier, était momentanément sans emploi, mais Doreen, sa femme, avait trouvé une place de serveuse dans l'équipe du soir d'une cafétéria des faubourgs où l'on pratiquait les trois-huit. Un soir qu'il buvait, Earl décida de passer à la cafétéria pour manger un morceau. Il voulait voir l'endroit où Doreen travaillait, voir aussi s'il pourrait s'envoyer quelque chose aux frais de la princesse.
Il s'installa au comptoir et étudia la carte.
— Tiens, qu'est-ce que tu fais là ? dit Doreen en l'apercevant.
— J'essaie d'égaliser les points de vue de l'être substantiel et du soi fini, dit Earl. C'est ce que Fichte appelle la synthèse quintuple.
— Oh, je vois. Et qu'est-ce que tu vas prendre, Earl ? dit-elle.
— Donne-moi un café et un de ces sandwichs « numéro deux ».


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

Association d'idées


Juin flamboie. Étendu dans une prairie en fleur, le suicidé philosophique rêve au bord d'une eau charmante de lenteur où les brins d'herbe font des arches d'émeraude. Son regard observe l'araignée à l'affût dans ses fils et la ciguë avec sa blanche ombelle où bouge un insecte luisant et rond. 

La ciguë ! À peine ce mot s'est-il formé dans son « conscient intérieur » que la pensée de l'homicide de soi-même le poigne. Adieu ruisseau, argyronète, adieu insecte luisant et rond ! Seul subsiste en son esprit le sentiment de légèreté qui est la mort même ou, mieux dit, l'instant de sa mort désormais toujours en instance.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Période de doute


Mobilisé en 1917 malgré son « épilepsie transcendantale », Heidegger est affecté au service météorologique de l'armée à Verdun (il est chargé de surveiller l'anémomètre).

Pendant cette période où la routine de son service l'empêche de « créer des concepts », Heidegger se sent devenir hébéphrénique et cherche désespérément à se prouver à lui-même qu'il existe. Quand on l'interroge sur la réalité de son Dasein, il ne peut que répondre, avec défiance et en hésitant : « Il est probable que je suis ».

À partir de 1918, il s'éloigne du catholicisme, se met à lire Luther et affirme son indépendance, en tant que philosophe, par rapport à toute religion.

Il se voit toujours comme un phénoménologue et ne se déplace jamais sans sa loupe et son carnier.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)