samedi 13 octobre 2018

Interlude

Jeune femme lisant le Monocle du colonel Sponsz de Hermann von Trobben

Synthèse quintuple


Schleiermacher prétend que chez Fichte, l'usage immodéré de la « synthèse quintuple » 1 avait entraîné une folie érotique dont les accès s'allumaient à la vue d'une sœur hospitalière, d'une fille de basse-cour, et même d'une image grossière de femme. Il affirme que Fichte mourut en se livrant sans frein, comme un insensé qui se déchire, à la manie solitaire la plus salace. « Voilà ou mène l'idéalisme transcendantal chez des individus n'ayant rien à perdre au monde, ni sous le rapport de la fortune ni sous celui de la réputation, bien moins encore de la pudeur », note Gragerfis dans son Journal d'un cénobite mondain.

1. Rappelons que la synthèse quintuple fichtéenne vise à unifier en les égalisant les points de vue de l'être substantiel et du soi fini.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Dján kacháï


En Inde, à Kebberpour-Na-Djhil, on voit un immense canon qui a 213 pouces de long, 66 de circonférence à la culasse et 18 à la bouche. Cinq anneaux (il y en avait originairement six) placés à des distances égales servaient autrefois à le mouvoir. Chacun a 24 pouces de diamètre, sur huit d'épaisseur. Les gens du pays, comptant sans doute sur un afflux de suicidés philosophiques pour « faire marcher le commerce », appellent ce canon dján kacháï ou le destructeur de la vie.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Clairvoyance


Avec la bonne foi docile de celui qui veut trouver, l'homme du nihil reconnaît la vraie clarté là où des esprits casaniers ou rétifs ont peine à voir autre chose que bizarrerie : dans l'idée même, et suave, du Rien.

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Volonté de puissance


L'homme, qui n'est d'abord qu'un germe informe, emploie toutes ses forces à créer et à perfectionner les instruments de cette puissance qui — croit-il — est appelée à dominer la parcelle de réalité empirique où il trémousse son Moi. Mais le moment de son apogée touche de près celui de sa décadence ; l'inanité de l'existence l'empoigne à la gorge, l'idéalisme allemand lui ôte toute espérance, et bientôt, une cuillerée de taupicide restitue sa dépouille à l'empire des lois de la nature inanimée.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeune fille lisant l'Apothéose du décervellement de Francis Muflier

Moustérien stérile


La nature corrosive de l'idée du Rien a été confirmée par de nombreuses autopsies de suicidés philosophiques, dont la pachyméninge évoquait, selon les médecins légistes qui les ont pratiquées, un « niveau moustérien stérile » ne laissant apparaître que quelques restes de capra, de cervidés et de tortues, mais aucun vestige de « vouloir vivre ».

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Décadence


Le monde avait, sous les Romains, l'apparence d'un pittoresque port de mer, et l'on y trouvait alors d'excellentes huîtres vertes. Aujourd'hui, il est devenu un marais pestilentiel, rempli de joncs très élevés, de ronces, d'immondices, et d'anthropopithèques en survêtement. — Ô civilisation de l'infâme, du crétin triomphateur !

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Devoirs de l'homme du nihil


« L'homme du nihil, s'il veut être calme, il faut qu'il s'attache pleinement au Rien, qu'il y trouve toute sa suavité, toutes ses délectations et toutes ses joies. Si les divers fantômes de l'imagination, qui agite et qui amuse si souvent l'esprit, troublent sa sérénité ; si les occupations extérieures le divertissent quelque temps de la présence du Rien, il faut qu'il s'y remette avec ferveur et vitesse ; il faut qu'il rentre dans la lumière de la vérité qu'il sent au-dessus de son imagination, et qu'il élève aussitôt ses yeux vers l'astre noir du nihil, qui est la source de cette lumière et qui est son phare dans le ténébreux désert de Gobi de l'existence. » (Noël Courbon, Entretiens spirituels sur les principaux devoirs des personnes consacrées au Rien, Collombat, Paris, 1712)

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Manifeste


Rompant avec le logicisme et l'associationnisme de son temps, le suicidé philosophique refuse de voir dans l'homicide de soi-même un déchet de la rationalité, non plus qu'un « embryon » ou une survivance. Il y voit au contraire une ouverture sur l'infini infundibuliforme, et une restauration de la grandeur de son destin.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeune fille lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Un légume coriace


En mâchant les tubercules du renoncement.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Un puissant corroborant


Telle est la puissance de l'idée du Rien que le mot « nihil » prononcé sans conviction par des lèvres tremblantes peut armer l'âme contre le vertige du doute et l'angoisse de l'haeccéité.

(Johanne Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Œuf


Ce n'est que peu à peu et insensiblement que l'idée du Rien étend son empire sur le « conscient intérieur ». Au début, elle ressemble à un œuf nouvellement pondu. Son enveloppe molle, muqueuse et transparente contient une substance verdâtre, granuleuse, qu'on peut justement comparer à celle qui forme le cicatricule et le germe de tous les œufs, mais plus particulièrement de ceux du homard. Peu à peu, le germe se développe, l'idée du Rien envahit tout le champ de la conscience, et l'on reste seul sur son cheval-vélo à parcourir la route cahoteuse de l'existence, précédé d'un énorme camion bâché de bleu portant l'inscription Bulgaria. La fin est proche.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)