« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
lundi 11 juin 2018
Dynamique du « Suisse »
Une autre singularité signifiante s'attache à l'image du « Suisse » : le sens du mouvement. L'excrément, par essence, est une dynamique vivante. Ce refus de l'immobilité, qui le pousse continûment vers l'Ouvert, répond à une « psychologie de l'intensité », comme dirait Bachelard.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Absurde camusien
« "C'est une affaire exceptionnelle au vu des conclusions auxquelles on arrive aujourd'hui : il s'agit d'un double suicide !" C'est par ces mots que Gérard Zaug a entamé la conférence de presse destinée à éclaircir les circonstances entourant la disparition de deux jeunes marins.
Il était environ 19 h 15 quand Anthony Deveaux, 25 ans, et Alexandre Sébert, 27 ans, sont passés par-dessus bord, alors que le Neway, un chalutier hauturier basé à Saint-Quay-Portrieux, était à quelques milles nautiques des Îles Scilly.
Pour étayer son propos, le procureur s'est appuyé sur les témoignages des trois membres d'équipage. Au moment des faits, le patron était à la passerelle. Quant aux deux autres matelots, l'un était aux manettes et l'autre réparait un filet. Selon eux, leurs deux amis se seraient d'abord isolés pendant une vingtaine de minutes, avant de revenir sur le pont à la demande du capitaine qui jugeait qu'il y avait du travail à finir. C'est Anthony Deveaux qui se serait jeté le premier à l'eau, imité, "deux à trois minutes plus tard au maximum", par son ami Alexandre Sébert. L'un à bâbord, l'autre à tribord.
"Il ne s'agit donc ni de deux chutes accidentelles, ni d'un homme qui saute pour sauver son ami tombé à l'eau, a assuré le procureur. C'est un acte volontaire. Ils ont nagé à l'opposé du bateau malgré la bouée qui avait été jetée à la mer."
Les deux marins n'ont laissé aucune lettre expliquant leur geste, mais leur fin tragique ne semble pas avoir surpris leur entourage proche. "Les deux hommes étaient dans des situations assez semblables : ils prisaient la littérature du philosophe Albert Camus et avaient la pénible sensation de vivre isolés dans un univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort, a souligné Gérard Zaug. Ils avaient coutume de dire que ce n'est pas le monde qui est absurde, mais la confrontation de son caractère irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme."
"Tout a été tenté pour les sauver", a expliqué Gérard Zaug, pour qui l'équipage, "au sein duquel régnait une excellente ambiance", n'a absolument rien à se reprocher. Quant à l'hypothèse d'une consommation d'alcool ou de stupéfiants susceptible d'expliquer un passage à l'acte, aucun élément matériel ne permet de l'établir. "Tout vient de cet existentialisme camusien profondément délétère" a conclu le procureur. » (Marine et Pêche, 23 avril 2013)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Un maniaque de la persévérance dans l'être
« Même ceux d'entre nous qui vivent vieux, meurent trop jeunes », aurait déclaré Élie Metchnikoff un jour qu'il se sentait « gonflé à bloc ». Gragerfis, qui assistait à la scène, confie dans son Journal qu'une telle bêtise le laissa sans voix. « Il est heureux, ajoute-t-il, que le grand zoologiste ait mieux étudié le ténia de la grenouille que l'homme ».
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Nilpotence
On sait qu'en mathématiques, une algèbre de Lie, nommée en l'honneur du mathématicien Sophus Lie, est un espace vectoriel qui est muni d'un crochet de Lie, c'est-à-dire d'une loi de composition interne bilinéaire, antisymétrique et qui vérifie la relation de Jacobi. Une algèbre de Lie est un cas particulier d'algèbre sur un corps.
C'est sur la structure des algèbres de Lie que porte le théorème de Engel. Sommairement, il affirme que les deux notions de nilpotence que l'on peut définir pour une algèbre de Lie coïncident.
La nilpotence ! Le pouvoir du Rien ! N'y a-t-il pas là de quoi émouvoir au suprême l'homme du nihil et lui faire embrasser une carrière d'algébriste, quitte plus tard, si les résultats ne sont pas au rendez-vous, à se suspendre par le cou à un crochet de Lie ?
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Interprétations divergentes
Certains glossateurs louent d'abord en l'excrément la « clairvoyance », la « perspicacité », la force rare d'une créature qui sait esquiver les pièges du « boyau culier » et négocier avec adresse tous ses méandres (Roger Caillois). Mais d'autres, d'accord certes avec cette admiration, la justifient par des raisons tout opposées, voient dans la défécation la revanche de l'irrationnel, l'affirmation fulgurante des forces obscures, l'explosion volcanique de nappes souterraines, incandescentes (Julien Gracq).
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Patronymes inappropriés
Certaines personnes portent bien mal leur nom. C'est le cas de l'empereur romain Commode (161-192) qui, au dire des historiens Vopisque et Jules Capitolin, ne l'était pas tellement, mais aussi celui d'Ivan Ivanovitch Sakharine, le collectionneur de maquettes du Secret de la Licorne, dont l'apparence, qui évoque celle de Raspoutine — longue barbe noire, cheveux gras plaqués et petits yeux cruels —, est tout sauf sucrée !
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Penser contre soi-même
Accablé par la conscience de son propre néant, l'homme du nihil trouve insupportable de devoir subir par-dessus le marché la tyrannie d'un Moi hâbleur et présomptueux.
Si l'on excepte les expédients brutaux que sont l'homicide de soi-même et le muscadet, sa seule ressource, pour dompter le « sinistre polichinelle », est de retourner sa pensée contre lui-même.
Hélas ! Quand on s'engage dans cette voie, il est difficile de garder la mesure. Et c'est ainsi qu'entraîné sur la pente de l'ironie envers soi-même, l'homme du nihil va jusqu'à proclamer son affection pour les pigeons, alors qu'il a toujours trouvé ces volucres suprêmement importuns !
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Bipolarité du désespoir
Dans son essai sur Gabriel Marcel et Karl Jaspers, l'« ami de la sagesse » Paul Ricœur distingue deux types de désespoir : d'un côté « un désespoir de l'objectivité pure, qui est un désespoir de spectateur et s'étale sur le plan du problématique » — Ricœur fait sans doute ici allusion au désespoir du spectateur ulcéré de ne rien voir parce qu'une « grosse dondon » obstrue son champ visuel à la manière d'un glaucome ; de l'autre un désespoir de l'existence, « qui procède de la méditation même de l'haeccéité, étreint la mort avec sérieux et s'enfonce dans une métaproblématique du néant ».
Il y a sans doute du vrai là-dedans, mais à l'estime de l'homme du nihil, ce vaillant champion de l'enfoncement dans la « métaproblématique du néant », seule la seconde catégorie mérite le beau nom de désespoir.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
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