dimanche 16 septembre 2018

Franc parler (suite)


« Vous êtes bien heureuse d'aller chier quand vous voulez ; chiez donc tout votre chien de soûl. Nous n'en sommes pas de même ici, où je suis obligée de garder mon étron pour le soir ; il n'y a point de frottoir aux maisons du côté de la forêt. J'ai le malheur d'en habiter une, et par conséquent le chagrin d'aller chier dehors, ce qui me fâche, parce que j'aime chier à mon aise, et je ne chie pas à mon aise quand mon cul ne porte sur rien. Item, tout le monde nous voit chier ; il y passe des hommes, des femmes, des filles, des garçons, des abbés et des suisses. Vous voyez par là que nul plaisir sans peine, et que, si on ne chiait point, je serais à Fontainebleau comme le poisson dans l'eau. » (Lettre de la princesse Palatine à sa tante Sophie, datée du 9 octobre 1694)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Gorille


Le lendemain, nous attendîmes le soir avec impatience. Lorsque le Bohémien parut, nous étions rassemblés depuis longtemps. Heureux de l'intérêt que nous lui marquions, il ne se fit pas prier et continua sa narration en ces termes :

« Singe anthropoïde de l'Afrique équatoriale, le gorille est le plus grand de tous les primates ; sa taille dépasserait pour un peu celle de l'homme, mais il est plus massif, avec des bras énormes et des jambes courtes. Sa robe est noire. Il est craintif, peu intelligent ; il fuit l'homme, mais il se défend avec une énergie féroce quand il est blessé. On le dirait hanté par l'idée du Rien, tant les forêts où il vit sont humides et impénétrables. »

Le moment étant venu de s'occuper des affaires de sa horde, le Bohémien nous quitta, et remit la suite de sa narration au lendemain.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Un grandiose isolement


Parce qu'il trouve ses contemporains vomitifs, l'homme du nihil commerce exclusivement avec quelques grandes figures du passé, de celles qui ont laissé un nom dans les annales de l'homicide de soi-même : les Nerval, les Trakl, les Weininger, les Caraco, etc. Avec son temps, il ne communique pas — et personne ne se risque à franchir la pampa de dégoûtation au centre de laquelle il trône, guère plus engageante, il faut l'avouer, que « les espaces de sable autour des Bouddhas rupestres ou des statues de l'Égypte ».

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Métaplaque métallique


Le 9 février 1994, le poëte Ghérasim Luca met fin à sa pondéreuse existence en se jetant dans la Seine « puisqu'il n'y a plus de place pour les poètes dans ce monde » comme il l'écrit dans une lettre d'adieu. À vrai dire, son travail manifestait depuis le début une véritable « obsession de la mort sous toutes ses formes », au dire de Gragerfis qui ne se montra donc pas autrement étonné.

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Interlude

Sophia Loren lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

Fulgurance


« Il arrive qu'on interprète l'excrément comme une fatalité, au sens où la fatalité fulgure dans la mythologie grecque, n'est-ce pas ?
— Oui. Cela est vrai. La fatalité y fulgure. »


(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Comme ci et comme ça


Contraint et forcé par l'exécrable haeccéité, j'établis ma demeure dans la fange suspecte du particulier.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Mauvais coucheurs


Comme les empiristes logiques sont très susceptibles et délicats sur le fait des injures, il est bon d'éviter leur rencontre, et — s'il faut en croire Froude — les voyageurs qui fréquentent leur contrée allument de grands feux la nuit et battent de la caisse pour les empêcher d'approcher.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Échec


Le soir, le Bohémien reprit son récit en ces termes :

« Candidat toujours recalé au suicide compulsif... »

Lorsque le Bohémien eut dit ces mots et comme nous tendions tous l'oreille, curieux de ce qui allait arriver, un homme de sa horde vint l'entretenir des affaires de la journée. Le chef nous quitta et nous ne le revîmes plus de la soirée.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Interlude

Beauté slave lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Comédie larmoyante


On croyait avoir perdu toutes ses illusions, et voilà-t-il pas qu'un matin, au sortir d'un rêve agité, on s'éveille transformé en une véritable vermine ! Le temps a fait son œuvre et l'on se découvre, avec son mufle raviné, sa bedaine et son crâne déplumé, un objet d'horreur pour soi-même et de rigolade pour l'omnitude, cette omnitude que l'on a toujours méprisée, mais dont le regard ! le regard !... Ou pis encore le non-regard, car on est devenu un « vieux schnoque », autrement dit un homme transparent comme les habitants de Thulé (d'après Hérodote) !...

Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !


(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Franc parler (suite)


« Je le pardonne à des crocheteurs, à des soldats aux gardes, à des porteurs de chaise et à des gens de ce calibre-là. Mais les empereurs chient, les impératrices chient, les rois chient, les reines chient, le pape chie, les cardinaux chient, les princes chient, les archevêques et les évêques chient, les généraux d'ordre chient, les curés et les vicaires chient. Avouez donc que le monde est rempli de vilaines gens ! Car enfin, on chie en l'air, on chie sur la terre, on chie dans la mer. Tout l'univers est rempli de chieurs, et les rues de Fontainebleau de merde, principalement de la merde de suisse, car ils font des étrons gros comme vous, Madame. » (Lettre de la princesse Palatine à sa tante Sophie, datée du 9 octobre 1694)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)