samedi 22 septembre 2018

Interlude

Jeune femme lisant Prière d'incinérer. Dégoût de Luc Pulflop

L'individuation douloureuse


Encasematé dans le boyau culier, le « Suisse », encore à l'état de « magma analogique brut », aspire à une individuation qui mettrait fin à cet apeiron, à ce chaos au sein duquel il cherche en vain le moyen de « se concentrer en lui-même », de trouver sa limite et sa forme — d'affirmer son haeccéité.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Apocynacées


Alors qu'accablés par une chaleur effroyable nous faisions halte dans un vallon, Velasquez, voulant capter l'attention de Rébecca, reprit son histoire en ces termes :

« Selon Gragerfis, les apocynacées seraient des plantes fatales aux chiens. »

Mais comme la fausse Uzeda semblait ne l'écouter que d'une oreille distraite, il décida de s'en tenir là et passa le reste de la journée dans une ostensible morosité.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Règle numéro 1


Fuir l'atroce cannibalisme du banal.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Discipline


Le retour au Grand Rien suppose patience, modestie, humilité et maîtrise de soi, s'il faut en croire Marsile Ficin (De Vita Coelitus Comparanda) : « L'homicide de soi-même n'est pas le fait de celui qui mange trop ni de celui qui ne mange pas assez. Il n'est pas le fait de celui qui dort trop ni de celui qui fait de trop longues veilles. Il est le propre de l'homme qui est tempéré dans sa nourriture et sa récréation, qui est retenu dans toutes ses actions, qui a réglé son sommeil et ses veilles. L'homicide de soi-même met fin à toute peine. »

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Interlude

Jeune femme lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor

Un endroit lugubre


L'autre jour, pris d'une subite fringale d'introspection, je me suis faufilé en tapinois dans les profondeurs de mon impétueux in petto. Dès les premiers pas, je me suis dit « je n'ai jamais rien rencontré de pareil ; ici on ne peut que se pendre ».

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Tapis volant


Pour le suicidé philosophique, son colt Frontier est le tapis magique des contes orientaux, qui pourra l'emporter au pays merveilleux où tout est éternel, où il goûtera l'ivresse d'être hors du temps, dans cette contrée enchantée où rien ne rappelle la marche vers la mort des êtres et des choses, où l'haeccéité est inconnue — ce fascinant pays qu'on appelle le Rien.

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Aphasie volontaire


S'adonner à l'extirpation, en soi, du vocable.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Êtres utiles


« Archimède, Galilée, Torricelli, Newton, Papin, Volta, n'ont pas été seulement des mélancoliques, mais encore des êtres utiles. » (Paul-Ferdinand Gachet, Étude sur la mélancolie, Paris, 1864)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Interlude

Jeune femme lisant les Pensées rancies et cramoisies de J. Zimmerschmühl

Être spinal


Le monstre bipède — le fameux « autrui » du philosophe Levinas — n'est, comme l'a défini Virchow, qu'un « être spinal ». Son activité est purement réflexe. Elle se manifeste par une telle profusion de mouvements que l'observateur en attrape « du shimmy dans la vision ». Que ces réflexes soient conscients ou qu'ils éveillent un rudiment de conscience, en aucun cas ils ne représentent une activité volontaire ; ils n'expriment proprement que l'activité de l'espèce, ce qui a été acquis, organisé et fixé par l'hérédité. D'où vient le fait qu'autrui, au grand désespoir de l'homme du nihil qui n'en peut plus de voir sa trogne, ne se suicide jamais.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Mammouth


Vers le soir, à l'heure accoutumée, le chef bohémien, qui était de loisir, voyant que nous étions curieux de la suite de son histoire, reprit son récit en ces termes :

« Le mammouth, de l'ostiaque mamout, est un éléphant fossile, qui a vécu en Europe et en Asie à l'époque quaternaire : le mammouth était couvert de long poils. »

Sur ce, il fut pris d'une effroyable quinte de toux et, devant l'impossibilité où il était de continuer, il alla se reposer sous sa tente et nous ne le revîmes plus.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Réclusion volontaire


Sous la diversité des formes dont ils sont susceptibles, les constipés ont en commun le génie de se torturer eux-mêmes sans bénéfice pour personne, en vue d'un mystérieux accomplissement dont ils ne peuvent pas parler. Refusant de se laisser distraire de leur unique obsession, ils se retranchent du monde et mènent volontairement dans des cabinets dérisoires festonnés de toiles d'araignée une existence misérable figée dans le parasitisme et la rétention.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)