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lundi 1 avril 2019

Le cri déchirant du Dasein


Si le cri de l'homme est radicalement différent des voix de la nature, c'est qu'il provient d'un être qui, ayant lu Gabriel Marcel, a pris conscience de sa finitude et ressent toute l'horreur de l'haeccéité.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

mercredi 20 mars 2019

Paniers d'osier


Selon Gragerfis — qui l'a sûrement lu dans Cassien —, le travail manuel est le seul moyen que les Pères de l'Église aient trouvé pour lutter contre la mélancolie de la vie solitaire. De son côté, l'homme du nihil est parvenu à la même conclusion ; et c'est en tressant des paniers d'osier qu'il tente de se soustraire au harcèlement de l'ennui, au vertige du temps vide. Ces paniers d'osier sont pour lui un moyen de se cramponner aux lieux que l'acédie l'invite à quitter pour les lointains séduisants du pachynihil. Mais c'est en vain : il arrive un moment où il envoie au diable la vannerie pour presser la queue de détente d'un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe. — Adieu paniers d'osier ! Adieu gravelle et rhumatismes ! Adieu Bourboule aimée, dont la tête hardie défie les hauteurs des cieux ! Adieu philosophie marcellienne !

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

lundi 31 décembre 2018

Page de journal


16 octobre. — Gabriel Marcel dit — mais peut-on croire tout ce qu'il dit — que l'existence humaine « s'apparente, en première approximation, à une microdiorite quartzique injectée en laccolites dans la série sédimentaire permienne. »

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

samedi 20 octobre 2018

De l'existant marcellien


Qu'est-ce donc qui peut être considéré comme existant ? À cette question, la philosophie marcellienne répond sans ambiguïté : « Rien ne peut être dit exister que ce qui peut entrer en relations de contact, en relations spatiales avec, révérence parler, mon corps. Il est illusoire que je m'oppose en tant que moi pensant, à la réalité spatiale dans laquelle je plonge et à ce moi étendu que je suis. »

— « Oui, eh bien, c'est ce qu'on va voir », rétorque le suicidé philosophique en empoignant son colt Frontier au canon de dix centimètres, à la merveilleuse précision.


(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

mardi 28 août 2018

Menuiserie ontologique


Selon la philosophie marcellienne, le passage de l'haeccéité de l'arbre à l'haeccéité des planches ne peut se faire qu'au moyen d'une scie à chantourner et au prix d'une refonte du schème hylémorphique laissant, entre forme et matière, une place centrale à la singularité de l'étant existant.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

samedi 18 août 2018

Fumeurs (Tobias Wolff)


Je remarquai Eugène avant de faire positivement sa connaissance. Il aurait été impossible de ne pas le remarquer. Alors que notre train quittait New York, Eugène, en passant d'un autre wagon à celui où je me trouvais, s'arrangea pour rester coincé dans la porte, entre ses deux énormes valises. Je le regardai se débattre pour se dégager, fasciné par le chapeau qu'il portait, un tyrolien vert avec un toupet de plumes piqué sur le côté. Je me demandais s'il espérait réduire le ridicule de sa situation en souriant tous azimuts comme il le faisait. Finalement, quelque chose dut céder quelque part, le propulsant à l'intérieur du wagon. Je n'avais guère envie de le voir s'installer à côté de moi, ce qu'il fit.

Il s'assit donc et se mit à parler presque simultanément, pour ne plus se taire jusqu'à Wallingford. Il entreprit sur-le-champ de m'initier à la distinction du problème et du mystère, qui permet à Gabriel Marcel, tout en surmontant l'idéalisme, de s'introduire par une voie purement concrète et réaliste dans l'ontologie même de l'existence. Dans la philosophie marcellienne, me révéla Eugène, le problème appartient à la sphère du « devant moi », et révèle la scission du sujet et de l'objet qu'une technique abstraite appropriée essaie d'atténuer scientifiquement par un système d'équivalences. Dans le « je suis », au contraire, le « je » est inséparable du « suis », affirmation initiale d'un tout indécomposable qui se confond avec ce tout lui-même et se présente comme une expérience de l'engagement du « je » dans l'existence. En m'interrogeant sur moi-même, il m'est impossible, en effet, de me maintenir en dehors du problème de mon être ; il m'est par suite impossible de me traiter comme objet d'une affirmation qui m'accorderait l'existence. Il faut donc que je sois en quelque façon mon affirmation elle-même et que je participe, d'une certaine manière, à l'affirmation de l'être se posant par elle-même et en vertu de la dialectique concrète immanente à l'être. Et cetera, et cetera.

J'arrivai à Wallingford complètement lessivé. Cette ontologie existentielle marcellienne m'avait littéralement anéanti. On ne m'y reprendrait plus à voyager en train.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

mercredi 25 juillet 2018

Une nuit en ville (Charles Bukowski)


Il était minuit passé. Les verres arrivaient, sans que je sache vraiment d'où, de même que des cigarettes. Le juke-box gueulait. Des heures de fumées froides de cigarettes avaient donné une teinte gris-bleu à l'atmosphère. Les mouches et les cafards étaient abrutis, malades et soûls, et les clients aussi. C'était un endroit où nul être sensé n'aurait souhaité se trouver, mais n'étant pas un être sensé, je m'y trouvais. Le genre d'endroit où il est difficile de se représenter que l'espérance, chez Gabriel Marcel, est vue comme l'expérience d'un avenir qui n'a pas été encore vécu et qui se donne comme inobjectivable.

Les urinoirs étaient impossibles : en entrant, on recevait une bouffée mortelle d'odeur de pisse et de dégueulis accumulés depuis un siècle. Et personne n'utilisait les chiottes qui étaient sombres et recouvertes d'une croûte marron ; en plus, il n'y avait pas d'eau. Le couvercle avait depuis longtemps disparu, de même que celui de la chasse d'eau, et les araignées friandes de whisky et de bière régnaient sur les lieux, tissant leurs toiles et attendant que quelque chose vienne s'y prendre. Il fallait être un marcellien convaincu pour se risquer à caguer dans un tel endroit. Je baissai mon froc et me mis à l'ouvrage.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

mercredi 18 juillet 2018

Le lait, c'est très bon pour vous (S. Dixon)


Il commençait à se faire tard ce soir-là. Je demandai donc à ma femme si elle était d'accord pour qu'on s'en aille. « Encore quelques minutes, chéri », dit-elle, « je m'amuse tellement ». Je ne pouvais pas en dire autant. Cette soirée avait été depuis le début d'un ennui mortel.
Je me retrouvais tout seul, n'ayant envie de draguer personne, ni de boire un autre verre, ni d'emmener la femme de quelqu'un d'autre « prendre l'air » pour échanger des caresses. 
Je voulais rentrer à la maison pour lire du Gabriel Marcel. J'avais été obligé de laisser en plan De l'existence à l'être pour venir à cette soirée, et je brûlais de connaître la suite. Le fil conducteur de l'ouvrage était que l'existence désigne une participation au réel antérieure même à la conscience qu'on en prend, tandis que le terme d'être ne convient qu'à une participation dans laquelle s'engage librement le sujet. Mais que comporte exactement le passage de l'existence à l'être et comment le réaliser ? Par quelle voie prendre contact avec l'être personnel que nous sommes ? Si j'avais bien compris, d'après Marcel, l'homme ne peut y accéder que par une activité personnelle, qui l'engage dans l'être.
Mais j'avais beau me creuser les méninges, je n'arrivais pas à concevoir le genre d'activité qui aurait pu me révéler mon être personnel. Faute de mieux, je décidai de laisser Cindy s'amuser seule ici, de rentrer chez moi et de tenter un rapprochement avec la baby-sitter. Cette forme d'« engagement dans l'être » était sans doute assez peu marcellienne, mais pour ce soir ça ferait l'affaire.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

mardi 17 juillet 2018

Participation en acte


Admirateur passionné de la philosophie de Gabriel Marcel, le suicidé philosophique, tout en combinant minutieusement l'annihilation de son Moi, se fixe pour but secondaire une pénétration des thèmes marcelliens qui permette d'en découvrir toute la signification métaphysique.

Après avoir mesuré une fois de plus combien la méthode marcellienne de prise de conscience humble de la présence concrète de notre Dasein est loin d'un processus de déduction rationnelle, il s'attache aux principaux thèmes de la pensée du « métaphysicien de l'espérance » : le sujet pensant en situation dans le « désert de Gobi de l'existence » ; le mystère d'être ceci ou cela ; l'exigence ontologique qui est « ce au nom de quoi nous mettons à l'épreuve tout ce qui se propose comme susceptible de donner un sens à la vie humaine ».

En suivant cette pente, on arrive vite à la question de savoir s'il y a, au sein de notre expérience, quelque chose sur quoi nous puissions fonder notre espérance. Le suicidé philosophique, après quelques instants de réflexion, répond par la négative. Et comme la pensée de Gabriel Marcel apparaît, au terme de ses analyses, comme centrée sur la participation en acte, il ne lui reste qu'à presser la queue de détente d'un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe. Adieu rhumatismes ! Adieu scrofules et rachitisme ! Adieu Bourboule aimée, dont la tête hardie défie les hauteurs des cieux ! Adieu philosophie marcellienne !

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

mardi 10 juillet 2018

Coprésence marcellienne


« Un Anglais, dit le Dr. Perfect (Annals of Insanity), avoit acquis à cinquante-huit ans une fortune immense par le commerce ; il résolut alors de se retirer à la campagne et de jouir dans toute son étendue de ce qu'on appelle otium cum dignitate.

Vers le quatrième mois de cet heureux changement, il commence à ressentir de l'accablement et une contraction spasmodique dans la région de l'estomac ; plus d'appétit ; les idées confuses, et les battements des carotides devenus irréguliers et tumultueux ; l'abdomen paroît resserré et tendu ; la tête est douloureuse ainsi que l'hypochondre gauche.

Un ami le persuade de consulter les Prolégomènes à une métaphysique de l'espérance de Gabriel Marcel. Sa lecture de l'ouvrage à peine terminée, le malade se met à critiquer le cogito cartésien, exaltant au contraire la "coprésence" marcellienne. Pour lui, Descartes enferme le Moi dans sa propre coquille : le "je pense" est un carcan dont nous ne saurions nous défaire ; si nous suivons Descartes nous ne ferons que représenter autrui ou monologuer sur lui, et cetera, et cetera.

Dès lors, sentiment d'une chaleur fugace, soif fébrile, digestions imparfaites, conduite, propos, actes bizarres et pleins d'extravagance, et vrai délire mélancolique. La mort, qui le guettait depuis longtemps au centre des marais Pontins, vient fermer quelque temps plus tard cette carrière de souffrances. » (Philippe Pinel, Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale, Paris, Brosson, 1809)


(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

lundi 9 juillet 2018

Une terrible coïncidence


Le choc du drame passé, l'heure est aux interrogations pour l'ensemble des proches.

« Il a affirmé à plusieurs reprises qu'il allait mettre fin à ses jours, car il n'en pouvait plus de ce scepticisme existentiel qui le suffoquait. L'équipe médicale a-t-elle vraiment tout fait pour éviter une chose pareille ? S'est-elle donné la peine de lui faire lire du Gabriel Marcel ? », demande Claude, le père du défunt. « Son Dasein a-t-il été assez surveillé ? Des dysfonctionnements se sont-ils produits ? »

Des doutes entretenus par une terrible coïncidence : la semaine précédente, le lundi 20 mai, dans la même chambre, un autre patient, 46 ans également, se donnait la mort en s'étranglant avec un lacet. (Le Républicain lorrain, 8 juin 2013)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

vendredi 6 juillet 2018

Un terrible aveu d'impuissance


Émotion et incompréhension. Ces deux mots résonnaient, hier encore, dans les escaliers des immeubles de la résidence HLM Montviguier, à Figeac. C'est là que, dimanche, les pompiers ont découvert les corps sans vie de Céline et de Stéphane, un jeune couple qui semble s'être ôté la vie par absorption pléthorique de médicaments.

« Une enquête est en cours, aucune autopsie n'a été pratiquée, indiquait le parquet hier soir. La thèse privilégiée est celle du suicide. » Un suicide, donc, et une lettre laissée en évidence, comme chez Edgar Poe. Explique-t-elle les raisons de leur acte ? Elle évoquerait un mal être, des idées noires, la pénible sensation « de vivre isolé dans un univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort ».

Le docteur Michel Grinfeder, psychiatre et psychanalyste qui a exercé durant plus de quinze ans à l'hôpital de Cahors, parle d'un suicide singulier. « Il semblerait qu'elle soit morte avant lui. Il l'a donc rejointe. Cet appartement bien rangé, avec des photos du couple, du linge qui sèche, etc., c'est comme une mise en scène du suicide. Elle donne une image d'ordre et d'organisation. Un intérieur qui respire la tranquillité. »

Les pompiers eux-mêmes ont été surpris. Car, s'ils interviennent environ deux fois par an pour des suicides, l'acte est toujours individuel. À Figeac, c'était la première fois que les secours étaient confrontés à un double suicide.

Ce couple aurait-il pu être aidé ? Pour le docteur Grinfeder : « on peut aider quelqu'un qui ne va pas bien, il existe même des hospitalisations à la demande d'un tiers, mais dans les cas d'allergie aiguë à l'existence, il n'y a pour ainsi dire rien à faire : même l'existentialisme chrétien d'un Gabriel Marcel ou d'un Karl Jaspers n'est d'aucun secours. » — Voilà qui est rassurant, vraiment ! (La Dépêche, 25 mars 2009)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

vendredi 8 juin 2018

Vivre ensemble dans une laverie


« La laverie associative Couleurs café a ouvert il y a trois ans dans le quartier du Clou-Bouchet, à Niort. Elle compte une cinquantaine d'adhérents qui ne font pas qu'y laver leur linge. Des ateliers y sont organisés, et une fois par mois, les membres de l'association se retrouvent autour d'un repas convivial. Un moyen de favoriser le vivre ensemble.

Aujourd'hui, au menu, c'est humitas, une sorte de purée de maïs, et salade chilienne avec tomates et oignons. Margarita est aux fourneaux. Parmi les convives, Catherine, une habituée de la laverie. "J'ai fait la connaissance de gens avec qui j'aime bien bavarder. Nous critiquons le cogito cartésien et exaltons au contraire la coprésence marcellienne. Pour Gabriel Marcel comme pour nous, Descartes enferme le Moi dans sa propre coquille : le
« je pense » est un carcan dont nous ne saurions nous défaire", explique cette retraitée qui habite depuis vingt-sept ans le quartier du Clou-Bouchet.

Favoriser la discussion, c'est exactement l'objectif que vise l'association, selon Nathalie, sa trésorière. "On essaie d'inciter les gens à sortir de chez eux. Pas forcément pour faire une lessive mais pour prendre un café, faire un jeu de société, discuter d'ontologie", détaille-t-elle. Pétanque, couture, empirisme logique, bricolage, les activités sont variées.

Le Clou-Bouchet est né dans les années 60, mais récemment, des travaux ont été réalisés. "Les immeubles ont été isolés à l'extérieur", indique Pascale Picard, coordinatrice de Couleurs café. "Mais à l'intérieur, il peut y avoir des conflits, un peu comme dans le Moi, où le vouloir-vivre combat sans cesse le désir compulsif de se détruire", poursuit-elle.

"A 18 heures, tout le monde est chez soi car certains ont peur de se balader le soir. Le crépuscule est en effet propice à l'homicide de soi-même", regrette Nathalie. Elle déplore le manque d'établissements ouverts le soir. "Pour ça, il faut aller en centre-ville, et c'est un effort que l'on ne peut raisonnablement attendre de personnes que tenaille l'idée du Rien". » (France Bleu, 22 juin 2016)


(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)

lundi 4 juin 2018

Quiproquo embarrassant


À l'automne 1928, Heidegger prend la suite, à l'Université de Fribourg, de son maître Husserl parti à la retraite. Il revient à Fribourg en triomphateur et règle ses comptes avec ses ennemis qui, en 1916, l'avaient empêché d'obtenir le poste qu'il convoitait (il les accuse publiquement d'être les représentants du On, ce magma gluant « qui décharge le Dasein de sa quotidienneté », et « se porte au-devant de la tendance au moindre effort que le Dasein a foncièrement en lui »).

Il commence à entretenir une liaison épistolaire avec l'existentialiste chrétien Gabriel Marcel, avec lequel il flirte, pensant qu'il s'agit d'une femme. Après des demandes insistantes, il reçoit une photographie du philosophe français dont la moustache à la gauloise le dessille et le refroidit aussitôt. 


Une fois de plus, il a été victime de ce qu'il nomme dans Sein und Zeit la « résolution devançante » qui se caractérise comme le fait de « se projeter en silence et en s'exposant à l'angoisse sur l'être-en-faute le plus propre » !

(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

jeudi 31 mai 2018

Totalisation impossible de l'infini


En février 1964, Gabriel Marcel accompagne Emmanuel Levinas dans un voyage en ballon au-dessus de la Belgique. L'imagination la plus habile doit renoncer à se figurer ces deux philosophes, l'un existentialiste chrétien, l'autre métaphysicien d'autrui, perdus au milieu d'un épais brouillard, rendu d'autant plus triste par le silence de mort qui l'accompagne. Le froid est si considérable que, pénétrés par l'humidité, leurs vêtements sont gelés ; les cheveux et la barbe sont blanchis par le givre qui tombe en abondance et dont il faut constamment débarrasser la nacelle.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

samedi 26 mai 2018

Espérance marcellienne


« Plonger en pleine nuit dans la Manche, tout habillé et équipé d'un gilet pare-balles, pour sauver un homme à la dérive : c'est ce qu'a vécu un gendarme normand lundi soir, tard, sur une plage de Pirou (Manche).

Il est presque minuit, ce soir-là, lorsque Stéphane Durieux et David Lepreux patrouillent sur la côte. Les sapeurs-pompiers leur signalent un homme à la mer, "désespéré, agressif et alcoolisé, voulant mettre fin à ses jours". Quand ils arrivent sur place, les forces de l'ordre découvrent les pompiers en train de scruter la mer avec des lampes de poche. Les sauveteurs en mer ne sont toujours pas là.

"Quand les sapeurs-pompiers m'ont dit qu'ils avaient la sensation que plus ils criaient, plus l'homme s'éloignait, je n'ai pas réfléchi", a raconté le héros d'une nuit, Stéphane Durieux, 51 ans. Il se débarrasse de son arme, de son ceinturon et de son téléphone portable et se jette à l'eau, malgré ses lourdes chaussures et son gilet pare-balles. "Ça s'est fait comme ça, à l'instinct. Je me suis dit qu'il fallait que j'y aille, je ne pouvais pas laisser un homme se noyer sous mes yeux."

Un instinct qui aura permis de sauver une vie. À environ cent mètres du bord, le gendarme attrape le désespéré bien décidé à en finir et parvient à le ramener sur la terre ferme. "Je lui ai dit mon prénom, j'ai tenté de le rassurer, de lui parler, je lui ai rappelé que l'espérance, chez Gabriel Marcel, se présente comme l'expérience d'un avenir qui n'a pas été encore vécu et qui se donne comme inobjectivable", confie-t-il.

Le jeune homme, âgé de 27 ans, sera pris en charge par les pompiers et transporté à l'hôpital de Coutances.

"Je suis fier de ce que j'ai fait, glisse Stéphane Durieux. J'espère que, comme Gabriel Marcel, l'homme que j'ai sauvé sera désormais habité par une assurance invincible : fondée sur l'amour, l'espérance doit triompher du désespoir". » (Le Parisien, 9 août 2017)


(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

vendredi 18 mai 2018

Deux « amis de la sagesse »


En 1964, Gabriel Marcel rencontre Emmanuel Levinas à l'Université Libre de Bruxelles et lui parle de la mort :

« C'est ma compagne la plus fidèle ; elle ne me quitte pas depuis l'enfance, elle est à l'intérieur de moi. La mort fonctionne en moi, sans repos, comme le sable coule dans un sablier. » 

Il confesse ensuite sa phobie des insectes, qui menacent de dévorer son corps, exprime sa peur du morcellement et de la décomposition, évoque l'abîme qui le regarde « avec ses yeux », et sa sensation qu'on le « martyrise avec des couteaux empoisonnés ». 

Levinas, pris de court et passablement embarrassé, lui conseille alors de « prendre un peu d'aspirine et un léger purgatif », de se faire « quelques frictions avec du vinaigre » et « ça passera ».

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

mercredi 16 mai 2018

Marionnettes solidaires


« Une marionnette pour reprendre contact avec la "réalité empirique", voilà, en substance, l'objet d'Électron Libre, jeune projet en incubation dans la pépinière Cocoshaker, promoteur de l'économie sociale et solidaire clermontoise.

À sa tête, Marine Peinchaud propose des ateliers artistiques en direction des publics stigmatisés, et notamment les suicidés philosophiques. "Je me sers de l'outil marionnettique pour travailler avec des personnes qui ont des difficultés sociales, émotionnelles, et surtout existentielles", explique l'intéressée. Selon elle, grâce à cet "outil de dissociation", les "naufragés de l'existence" peuvent s'exprimer avec confiance car ils sont dissimulés derrière un personnage. 


Voilà donc un projet atypique et innovant, qui s'inscrit dans un parcours professionnel dense et riche. Après avoir suivi un cursus dédié aux arts du spectacle et avoir fréquenté le conservatoire de Paris pendant dix ans, la jeune femme a mené, en parallèle, une formation de marionnettiste.

Double voire triple casquette, donc, pour la Riomoise, car Marine Peinchaud a ensuite travaillé dans le domaine de l'urgence sociale et existentielle. À Lyon notamment, auprès des personnes de plus de cinquante ans traumatisées par la lecture de Gabriel Marcel.

Pour cette jeune femme à l'engagement artistique et solidaire chevillé au corps, il est nécessaire de passer par l'art pour lutter contre l'angoisse d'exister et le dégoût de l'haeccéité. "Au travers de la performance marionnettique, je souhaite travailler l'estime de soi, le corps et la voix dans l'espace. Il me semble en effet que le fait de bouger et de produire des sons constitue une alternative intéressante à l'homicide de soi-même." — Peut-être, après tout... Pourquoi pas ? Tout n'est-il pas louable, en un sens ? » (La Montagne, 11 mars 2018)


(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)