vendredi 20 juillet 2018

Interlude

         Jeune femme lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Comparaison culinaire


Tous les pistolets, flacons de taupicide et cordes de violoncelle du monde ne servent de rien à un homme qui ignore l'art d'en faire usage dans l'occasion. Il en est de l'homicide de soi-même comme des bonnes légumes : si on ne les sait pas bien apprêter, elles sont, malgré leur saveur, une nourriture crue, pesante, indigeste, qui renvoie souvent des vapeurs qui incommodent et troublent le cerveau.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Sancta simplicitas


Bienheureux Thalès, qui résolvait tout en eau !

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

jeudi 19 juillet 2018

Résurrection


Le philosophe-bibliothécaire Fiodorov, qui a inspiré à Tolstoï le personnage central de sa pièce Le Cadavre vivant, pensait que le devoir universel de l'humanité était de maîtriser la puissance de la science afin d'abolir la mort et de faire revenir les défunts à la vie. Il s'attira, comme on s'en doute, les foudres des suicidés philosophiques de tout poil.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Théorème de Donsker


En théorie des probabilités, le théorème de Donsker établit que la marche aléatoire du Dasein dans ce que Monroe David Donsker appelle le « désert de Gobi de l'existence » converge vers la mort, vue comme un processus stochastique gaussien. Sa preuve utilise l'inégalité de Bienaymé-Tchebychev pour montrer que ψn,t converge en probabilité vers zéro.

Les adversaires de Donsker au sein de la Mathematical Association of America lui ont reproché d'énoncer là une « vérité triviale », mais son théorème a tout de même eu une riche postérité puisque de nombreux théorèmes de probabilité portant sur des sujets scabreux sont dits « de type Donsker ».


(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Interlude

    Jeune Asiatique lisant le Monocle du colonel Sponsz (et n'y comprenant rien)

Un maître de l'ironie


Fatigué des agressions sonores dont le monstre bipède — le fameux « autrui » —, se rend continuellement coupable à son endroit, le professeur Tournesol a trouvé la parade : il « fait le sourd ». Son rêve, qu'il partage avec l'homme du nihil, est qu'on le laisse tranquille une bonne fois pour toutes. Authentique pince-sans-rire, il multiplie les sorties incongrues sans montrer le moindre signe d'exhilaration. Mais le faux malentendant est aussi un vrai maître de l'ironie : il emprunte « en loucedé » nombre de ses répliques à d'autres sourds illustres, comme le théoricien du nationalisme intégral Charles Maurras : « Non, merci... Jamais entre les repas... » — ou encore le compositeur Ludwig van Beethoven : « Oh ! moi, vous savez, la politique... »

Le comble du grinçant est atteint quand Haddock, le voyant porter une valise, lui demande : « Eh bien, Tryphon, vous partez en voyage ? », et que Tournesol lui répond : « Non, non, car je pars en voyage ».

Après un tel chef-d'œuvre, on aimerait dire au professeur, comme le prince Potemkine fit à Denis Fonvizine après la première de sa pièce Le Mineur : « Maintenant tu peux crever, Denis, tu ne feras jamais rien de mieux ! »


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Don inestimable


La nature, dit Pline l'Ancien, n'a rien donné à l'homme de plus précieux que la brièveté de la vie : « Natura vero nihil hominibus brevitate vitæ præstitis melius. » Une brièveté toute relative, mais heureusement pour le suicidé philosophique, dont la première des qualités n'est pas la patience, la nature a aussi donné à l'homme le colt Frontier au canon de dix centimètres, à la merveilleuse précision.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

45° à l'ombre (Georges Simenon)


Le steward frappa trois ou quatre petits coups, de son doigt replié, approcha l'oreille de la porte de la cabine et, après quelques instants d'attente, murmura doucement :
— Il est quatre heures et demie.
Dans la cabine du docteur Donadieu, le ventilateur ronronnait, le hublot était ouvert, mais le docteur, couché nu sur les draps, n'en était pas moins moite des pieds à la tête.


Il se leva avec paresse et, sans un coup d'œil au paysage, pénétra dans l'espace à peine plus grand qu'un placard où sa douche était installée.


Il était calme, indifférent. Ses gestes étaient mesurés comme ceux d'un homme qui, chaque jour, aux mêmes heures, accomplit les mêmes rites. La sieste qu'il venait de faire en était un, le plus sacré ; la douche et le gant de crin devaient suivre, puis une série de menus soins qui, invariablement, le conduisaient jusqu'à cinq heures.


Par exemple, il regarda le thermomètre, qui marquait 48 degrés centigrades. D'autres que lui, des officiers du bord, des passagers pourtant habitués à l'équateur, geignaient, protestaient, se mettaient en nage. Donadieu, au contraire, regardait monter la colonne d'alcool rosé avec un détachement olympien. Depuis quelques jours déjà, il avait décidé de suspendre son jugement pour parvenir à l'ataraxie, comme préconisé par Sextus Empiricus dans ses Hypotyposes. Par ce moyen simple, il espérait atteindre à une quiétude semblable à celle qui, chez les stoïciens, résulte de la connaissance du mouvement de l'univers, animé par un air chaud — le pneuma — dans un mouvement infini et cyclique d'inspiration et d'expiration.


Au moment où il mettait des chaussettes de fil blanc, la sirène vrombit au-dessus de sa tête et les allées et venues, sur le pont, devinrent plus précipitées et plus bruyantes.


L'Aquitaine, qui venait de Bordeaux, en était au point extrême de son voyage, à Matadi, dans l'embouchure du Congo qui roulait des eaux d'un jaune malsain. À la vue du grand fleuve, le scepticisme de Donadieu redoubla d'intensité. « Max Weber a bien raison de dire que seule une partie finie de la multitude infinie des phénomènes possède une signification », bougonna-t-il entre ses dents.


(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)

Médiation fromagère


Chef de file de l'existentialisme bourboulien, Edmond Chassagnol pose une question majeure à laquelle il revient de façon obsessionnelle dans son œuvre, à savoir la capacité de l'homme à atteindre ce qu'il appelle l'authenticité. Il entend par là une vision juste et objective des émotions que nous éprouvons, ainsi que des faits provenant de la prétendue « réalité empirique ». Dans son ouvrage le plus connu, Théorie du trop-plein, le philosophe puydômois aborde la question du Rien, compris comme transcendance jamais totalement accessible sauf, prétend-il, par le truchement du saint-nectaire mais « il faut en manger une bonne quantité ».

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

Interlude

      Jeune femme lisant l'Apothéose du décervellement de Francis Muflier

Fini de rire


L'insigne vulnérabilité du monstre bipède devrait l'inciter à la retenue en toute chose. Au lieu de quoi il court, il saute, il conduit des automobiles, il tourne en orbite autour de la terre à bord de son vaisseau Vostok, il « fait le zouave » de toutes les façons... Jusqu'au jour où la douleur s'impose, lancinante, violente, involontaire et insensée.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Le suicide dans les Hautes-Pyrénées


Bien qu'en baisse depuis plusieurs années, le nombre de morts par suicide reste préoccupant, principalement dans les départements ruraux.

« Il existe de multiples facteurs qui peuvent mener au passage à l'acte. » Le docteur David Zambelli, médecin psychiatre à Bagnères-de-Bigorre, est quotidiennement confronté à l'une des principales causes de mortalité en France.

Un rapport récent de l'Observatoire national du suicide (ONS) pointe du doigt le problème et met, c'est nouveau, l'accent sur la prévention.

« Sur le plan médical, continue le docteur Zambelli, on sait que plus de la moitié des gens qui ont mis fin à leurs jours souffraient d'une dépression due à l'haeccéité, c'est-à-dire qu'ils ne supportaient plus d'être pourvus de caractéristiques, matérielles et immatérielles, faisant d'eux des "choses particulières". Or contre cela, il n'existe aucune prévention possible. Ces gens de l'ONS ne sont donc qu'un ramassis de couillonnauds. »

On le voit, le docteur Zambelli ne mâche pas ses mots ! (La Dépêche, 9 mars 2016)


(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)

Discrépance


En mathématiques, on appelle discrépance la propriété qui caractérise le fait d'emplir l'espace dans toutes les directions envisageables. — « La discrépance du Moi me suffoque continûment. » (Rosemonde Gérard)

(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

Un faiseur de simagrées


En 1862, Eugène Boudin, contre les conseils de ses amis, se met en tête de « peindre le vent lorsqu'il éclaircit ou assombrit à son gré l'horizon marin ou dans une même bouffée gonfle les vagues, les voiles et les jupons des femmes ». Il échoue, comme c'était à prévoir, mais cela n'entame aucunement son « vouloir-vivre ». Les années passent, et en 1898, alors qu'il est à Paris, il se sent défaillir. L'issue fatale est proche, mais le « peintre des beautés météorologiques » fait des manières et demande à mourir « face à la mer ». On le transporte à Deauville où il décède le 8 août au matin dans la villa Breloque au numéro 8, rue Oliffe. Il est enterré le 12 août au cimetière Saint-Vincent, à Montmartre.

« Mourir face à la mer » ! Non, vraiment !


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Interlude

         Jeune fille lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Tenailles incisives


L'idée première des tenailles incisives pour l'amputation du Moi revient sans nul doute à Ambroise Paré. Ainsi, dès 1552, il écrivait dans la seconde édition de ses Playes d'hacquebutes et d'haecceité, fol. 43 : « Et si l'alteration et carie est au Moy, et que raison vous persuade n'y auoir autre remede que d'amputer ledit Moy (pour ce qui ne se peult faire en tel endroit auec scie) sera necessaire user de tenailles incisiues, ainsi qu'il appert par ceste figure suyuante. » Et cette figure représentait le Moi de Marsile Ficin, ce représentant majeur du néoplatonisme médicéen, pris dans une tenaille.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

mercredi 18 juillet 2018

Mer de la tranquillité


Le phénoménologue Eugen Fink, après avoir tenté longtemps de percer le caractère secret du Dasein — qui selon lui possède « la forme d'un labyrinthe avec une multitude de relations contradictoires » —, finit par jeter l'éponge pour se consacrer plutôt à la mort, avec son cortège de mouches bleues de la viande (Calliphora vomitoria) et de mouches grises (Sarcophaga carnaria).

Pour Fink comme pour l'homme du nihil, la mort est le phénomène fondamental. Mais contrairement à Heidegger qui ne pense la mort que par rapport à l'existence individuelle, Fink la voit comme un retour à une unité primordiale : « La mort dénoue les fils de l'haeccéité, elle casse la prison étroite de l'encapsulement dans le Moi : elle devient un sauveur, non pas parce qu'elle nous libère de la souffrance terrestre, de l'angoisse et du souci, mais parce qu'elle brise notre "finitude", et laisse entrer notre existence dans la mer de l'unité totale ».

C'est bien ainsi que l'envisage l'homme du nihil qui, plus hardi que Fink, ose nommer cette « mer de l'unité totale » : il s'agit selon lui... du Rien. Mais oui !


(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

La liberté chez Duns Scot


« Un retraité d'Amiens, âgé de 74 ans, soupçonné d'avoir mortellement blessé sa compagne de 87 ans en la poussant dans un escalier, a été mis en examen et incarcéré. Le suspect a expliqué, durant sa garde à vue, que le fait qu'il eût une maîtresse avait été à l'origine de la dispute qui l'a finalement conduit à commettre son geste fatal. Il en avait "soupé" de ces reproches incessants, dit-il, et voulait simplement "retrouver sa liberté".

Heidegger a montré à propos de Kant que le problème de la liberté pouvait suivre deux chemins : celui d'une interrogation sur le mode de causalité de la volonté libre, et celui de la liberté morale, ou pratique, qui oriente la question de la liberté vers celle de la dignité humaine.

Mais ces deux chemins, c'est en réalité Duns Scot qui les a ouverts. D'une part, Duns Scot a vu dans la volonté "une puissance des contraires" agissant par mode de contingence ; d'autre part, il a reconnu dans la volonté un pouvoir de se donner au bien, ce qui définissait ultimement à ses yeux la volonté comme puissance libre. Avec Duns Scot, l'essence de l'homme n'est plus la raison mais la liberté — et c'est bien ainsi que l'entend également, semble-t-il, le retraité amiennois. » (Le Télégramme, 23 février 2011)

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un destin tragique


Igor Wagner, le pianiste de la Castafiore, accompagne la cantatrice dans tous ses déplacements. Les pénibles gammes qu'il inflige aux habitants de Moulinsart dans Les Bijoux de la Castafiore en font l'archétype du gêneur — le fameux « autrui » du philosophe Levinas — et donnent au capitaine Haddock une puissante envie de l'assommer.

Comble de dépravation, il joue aux courses et use d'un subterfuge — un magnétophone sur lequel il a enregistré ses obsédantes gammes — pour aller téléphoner ses pronostics durant ses heures de travail : « Je répète : Sarah... Oriane... Sémiramis... ».

Sa passion pour les « bourrineaux » lui sera fatale : il finira complètement ruiné, sans domicile, et sera obligé de fréquenter des bouillons à prix fixe pour sustenter sa misérable carcasse jusqu'à ce que la mort, qui le guettait depuis longtemps au centre des marais Pontins, vienne fermer cette carrière de souffrances.


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)

Interlude

         Beauté un peu vulgaire lisant les Scènes de la vie de Heidegger

Nietzsche


À la fin des années trente, Heidegger se prend de passion pour Nietzsche et rédige deux épais volumes sur le « penseur paradoxal ».

Il se plaît à constater que, comme lui, Nietzsche attaque la métaphysique et ses illusions. Mais les deux penseurs partagent d'autres hobbies. Déjà en 1935, avec l'Introduction à la métaphysique, on avait pu noter leur intérêt commun pour les présocratiques et pour une « vie libre et volontaire dans les glaces et la haute montagne » (Heidegger possède en effet un un piolet et des chaussures à crampons, souvenirs de ses années de jeunesse où il allait à la découverte de la « spatialité existentiale »). Un autre terrain d'affinité est la mise en question de l'humanisme et de l'anthropocentrisme.

Par contre, avec l'« Éternel retour du même », Nietzsche ne fait, pour Heidegger, que reprendre dans une formule plus obscure le thème constant de la métaphysique depuis l'origine, à savoir celui de l'être comme présence permanente, cet être placé au fondement de l'étant comme subjectum sous-jacent, ou subjectité.

Aussi bien la métaphysique de la substance (celle d'Aristote), que celle de la subjectité (celle de Nietzsche), manifestent l'oubli de la phusis, du monde et de l'histoire du dévoilement. L'être au sens propre ne peut pas être pensé à partir de l'étant, « ce serait tout de même, s'exclame Heidegger, un peu fort de café ! »


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Moscouade


M. Achard, de Berlin, a publié un procédé par lequel il prétend retirer du « fétide et rébarbatif réel » une quantité de sucre assez considérable. Ce procédé consiste à faire cuire le réel, à en exprimer le suc et à l'évaporer jusqu'à la consistance de sirop. On place ensuite ce sirop dans une étuve, et l'évaporation achevée, on trouve un sucre cristallisé dans l'état de moscouade.

Hélas! cette moscouade s'est trouvée brune et d'un goût peu agréable. Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !


(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Vision de cauchemar


Théocrite l'avait déjà remarqué : il n'est rien dans l'univers qui provoque une terreur plus oppressante que ce mystérieux automate, cet appareil mouvant et complexe que la nature nous offre sous tant de formes, et que nous désignons sous ce nom général : l'organisme vivant.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Le lait, c'est très bon pour vous (S. Dixon)


Il commençait à se faire tard ce soir-là. Je demandai donc à ma femme si elle était d'accord pour qu'on s'en aille. « Encore quelques minutes, chéri », dit-elle, « je m'amuse tellement ». Je ne pouvais pas en dire autant. Cette soirée avait été depuis le début d'un ennui mortel.
Je me retrouvais tout seul, n'ayant envie de draguer personne, ni de boire un autre verre, ni d'emmener la femme de quelqu'un d'autre « prendre l'air » pour échanger des caresses. 
Je voulais rentrer à la maison pour lire du Gabriel Marcel. J'avais été obligé de laisser en plan De l'existence à l'être pour venir à cette soirée, et je brûlais de connaître la suite. Le fil conducteur de l'ouvrage était que l'existence désigne une participation au réel antérieure même à la conscience qu'on en prend, tandis que le terme d'être ne convient qu'à une participation dans laquelle s'engage librement le sujet. Mais que comporte exactement le passage de l'existence à l'être et comment le réaliser ? Par quelle voie prendre contact avec l'être personnel que nous sommes ? Si j'avais bien compris, d'après Marcel, l'homme ne peut y accéder que par une activité personnelle, qui l'engage dans l'être.
Mais j'avais beau me creuser les méninges, je n'arrivais pas à concevoir le genre d'activité qui aurait pu me révéler mon être personnel. Faute de mieux, je décidai de laisser Cindy s'amuser seule ici, de rentrer chez moi et de tenter un rapprochement avec la baby-sitter. Cette forme d'« engagement dans l'être » était sans doute assez peu marcellienne, mais pour ce soir ça ferait l'affaire.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

Interlude

       Jeune fille lisant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Temps sphérique


On sait que les cyclothymiques sont sujets à des revirements d'humeur qui apparaissent par périodes et vont de l'excitation à la dépression. Le compositeur allemand Bernd Alois Zimmermann en est un exemple typique. Obsédé par la question du temps, et s'inspirant du livre XI des Confessions de saint Augustin, il imagine tout d'abord d'opposer le temps mesurable des horloges et le temps subjectif de notre conscience intérieure où les différences entre passé, présent et avenir s'abolissent. Il est alors « gonflé à bloc », mais réalise vite l'impossibilité où se trouve l'étant existant d'appréhender le temps sous ces deux formes à la fois. Il sombre dans la mélancolie, décide d'en finir et se donne la mort le 10 août 1970 à Königsdorf près de Cologne.

Il n'a pas laissé de lettre expliquant son geste, mais selon Gragerfis, c'est bien sa « conception sphérique du temps » — que l'auteur du Journal d'un cénobite mondain juge « profondément viciée »
qui l'aurait poussé à cette pénible extrémité. 

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Un héroïque missionnaire du Rien


Nul ne peut s'empêcher d'admirer l'activité incessante, l'ardeur infatigable, l'abnégation à toute épreuve de l'homme du nihil, exilé sur une terre de douleurs où la perspective d'une mort violente par révolvérisation est la seule récompense qu'il puisse espérer au terme d'une vie rongée par les privations et les souffrances ; et cela pour répandre dans les cerveaux obtus de l'omnitude une doctrine dont l'avenir réside dans l'amour de la beauté immatérielle, infinie et absolue du Rien !

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Sur la scène du Music-Hall Palace


La relation qui unit le mage Ragdalam et la femme qui lui sert de comparse, Madame Yamilah, n'est pas sans évoquer le rapport équivoque qu'entretient l'étant existant — le fameux « Dasein », des existentialistes — avec son Moi.

Le Moi a d'ailleurs plusieurs traits en commun avec la voyante des Sept boules de cristal : il dégage une aura inquiétante et l'exotisme oriental qui entoure chacune de ses apparitions ne fait que souligner sa foncière étrangeté.

Mais le Moi est aussi une créature terrifiante car il révèle au Dasein une terrible malédiction : non celle du dieu Soleil comme fait Madame Yamilah, mais celle de
l'haeccéité qui le condamne à n'être qu'une chose particulière.


(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)