jeudi 9 janvier 2020

Armée belge


« Dans l'armée belge, on n'avance guère que par le suicide. » (Charles Baudelaire, La Belgique déshabillée) — « Comme dans l'intelligence métaphysique du monde ! », s'exclame l'homme du nihil.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

lundi 6 janvier 2020

Disqualification


Par sa bassesse et sa trivialité, le vocable gloméruleux disqualifie le monde et son créateur.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

vendredi 3 janvier 2020

Les vrais durs ne respirent pas


Celui qui fuit le ridicule, s'il est un tant soit peu conséquent, c'est la vie même qu'il doit fuir (au moyen, par exemple, de l'homicide de soi-même). — Alright ?

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

mercredi 1 janvier 2020

La femme (toujours elle)


« La femme est naturelle, c'est-à-dire abominable », a dit Baudelaire. Et elle l'est, en effet !

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

dimanche 29 décembre 2019

Un être pascalien


L'homme du nihil n'est pas de marbre : le silence éternel des espaces infinis fait naître en lui un « traczir à tout casser ».

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

vendredi 27 décembre 2019

Bien


L'homme du nihil trouve que la pièce Macbeth de Shakespeare est « bien », certes, mais tout de même pas aussi bien que de se pendre.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

lundi 23 décembre 2019

dimanche 22 décembre 2019

À la manière de Charles Millon


« Pas d'accord secret, pas d'accord discret » avec la réalité empirique !

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

jeudi 19 décembre 2019

Dialogue platonicien


M. Bouboule : D'après Héraclite, la vie est dans le mouvement.
L'homme du nihil : Je l'emmerde.
M. Bouboule : Qui ça ? Héraclite ou le mouvement ?
L'homme du nihil : Les deux.
M. Bouboule : Je ne m'en mêle plus.


(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

mardi 17 décembre 2019

Un peu de bienveillance


L'homme du nihil conseille de faire preuve de bienveillance en toute chose et de ne pas juger l'humanité à partir des disciples de Derrida.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

dimanche 15 décembre 2019

Amour


Dans le « magazine féminin » que l'homme du nihil parcourt d'un œil distrait chez le coiffeur, cette révélation : pour être aimé, il est nécessaire de s'aimer d'abord soi-même. — « Oh, bon Dieu ! soupire-t-il. Me voilà bien ! »

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

vendredi 13 décembre 2019

Femme


« La femme est la désolation du juste », a dit Proudhon. Et elle l'est, en effet !

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

lundi 9 décembre 2019

Du beau


Comparée à celles de Kant, de Hegel et de Schopenhauer, l'esthétique de l'homme du nihil possède au moins le mérite de la concision : « Est beau, affirme-t-il, ce qui nous rappelle une (belle) femme nue. » — Tout n'est-il pas dit, et en peu de mots ?

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

jeudi 5 décembre 2019

Mots


Selon Gragerfis, l'intérêt passionné que l'homme du nihil portait au logos entraînait une recrudescence spectaculaire de ses troubles, à tel point qu'il lui suffisait d'entendre le vocable reginglette pour tomber en proie à un « chaos de paralysies, de trémulations et de spasmes ».

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

dimanche 1 décembre 2019

Objectification du Moi chez l'homme du nihil


L'autodétermination de la subjectivité coupée du monde, le solipsisme cartésien, nous les retrouvons chez l'homme du nihil. Son Rien ne fait que perpétuer l'objectification d'un Moi qui se représente lui-même comme une chose et, par suite, ce Rien lui-même participe en quelque sorte de cette chose. — Verstanden ?

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

vendredi 29 novembre 2019

L'amour de son néant


« Mon centre est le néant, c'est un vrai lieu de paix, l'imposture et l'erreur ne s'y trouvent jamais. » (François Malaval, Poésies spirituelles) Et encore : « Qui sort de son néant sort de son origine, il se croit quelque chose et penche à sa ruine. » — Comme cela est beau et nous émeut au suprême !

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

lundi 25 novembre 2019

Ordures (Stephen Dixon)


Deux types entrent et s'assoient au bar. « Messieurs, bonjour, dis-je, qu'est-ce que je vous sers ?
— Deux bières. Ce que vous avez.
— J'ai à la pression et en bouteille. Bière du pays ou bière étrangère.
— Deux pression de ce que vous voulez. On n'est pas pressés.
— C'est parti. »
Je tire les bières, je les sers, je tape la note et la dépose entre les deux verres sur le comptoir.
« Shaney, c'est vous ? me demande le petit trapu.
— Tout juste.
— C'est vous le patron ?
— Patron et barman, les deux.
— Eh bien, Shaney, ça c'est une bière bien servie. Avec une belle mousse. Les bières avec une belle mousse comme ça, on n'en trouve plus si souvent dans les bars, et vous, vous arrivez à en faire une de toute beauté. C'est drôlement bien.
— Pour la mousse, tout dépend de la manière dont on tire la bière. Je peux pratiquement faire une mousse de la taille que je veux. À propos, comment ça se fait que vous connaissiez mon nom ?
— Oh, c'est un de nos potes qui est déjà venu, il nous a dit que c'était un endroit sympa pour manger un morceau, écluser une mousse et créer des concepts. Il a dit aussi que vous vous appeliez Shaney, c'est tout.
— Et lui, comment il s'appelle ?
— Bergson, hein, c'est ça ? demande-t-il au petit maigrichon.
— Bergson. Mais je connais pas son prénom.
— Bergson ? Je ne crois pas connaître de Bergson, du moins pas au point de mettre un visage sur ce nom. Il est dans quelle branche ?
— Je ne sais pas trop ce qu'il bricole, il dit qu'il crée des concepts.
— Bergson, Bergson... Ah oui, ça me revient maintenant. Il est passé l'autre soir et il soutenait que la continuité et l'indivisibilité étaient constitutives du temps. D'après lui, la continuité est la forme spécifique de la vie consciente, la nature véritable de la conscience de soi. Vous imaginez un peu ? J'ai cru que j'allais être obligé de le mettre dehors.
— Oui, parfois il déconne grave, dit le petit trapu. Quand il est en train, il raconte que la durée est une donnée immédiate de la conscience. Et quand on lui demande ce qu'il entend par durée, il répond que c'est la pénétration mutuelle d'états de conscience hétérogènes, ainsi que leurs apparitions continues sans ordre ni interruption.
— Ouais, bon... Enfin, les clients bizarres, j'ai l'habitude... Allez, à la vôtre, les gars. »


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

dimanche 24 novembre 2019

Le sauveteur (Stephen Dixon)


Il entend des gens hurler, les regarde, regarde la direction dans laquelle eux-mêmes regardent et pointent le doigt, et voit un enfant debout sur une chaise près de la balustrade d'un balcon situé environ au dixième étage. L'enfant essaie de quitter la chaise pour grimper sur la balustrade. Il avance un pied, le ramène. Il tient la balustrade d'une main et avance l'autre pied, puis le ramène. Les gens hurlent : « Rentre. Petite fille... Bébé... Petit garçon... Descends de la chaise. Va voir ta maman. Va voir ton papa. Rentre. Retourne dans ton appartement. »
L'enfant descend de la chaise, la pousse contre la balustrade, remonte dessus, se met debout, et pose ses mains sur la balustrade. Il lève une jambe. Henry a envie de lui hurler de descendre de la chaise et de rentrer dans l'appartement, mais il semble que tous les gens dans la rue soient déjà en train de hurler. Il s'écrie : « Silence, tout le monde. Laissez-moi parler. Je suis celui qui possède la voix la plus forte. Petit ! Écoute-moi, petit ! Gabriel Marcel voit dans le suicide la "radiation de soi" ! Tu m'entends ? » Mais l'enfant ne répond pas et commence à se pencher par-dessus la balustrade. Henry reprend : « Halbwachs définit le suicide "tout cas de mort qui résulte d'un acte accompli par la victime elle-même, avec l'intention ou en vue de se tuer, et qui n'est pas un sacrifice". Le Dr Blondel, dans son opuscule Le Suicide, pp. 6-26, approuve cette définition. Ne fais pas l'andouille ! »
À ce moment, le bébé bascule et plonge tout droit, de côté, puis les pieds les premiers. Henry essaie de rester au-dessous de lui, mais l'enfant vient s'écraser sur le sol à un mètre ou deux sur sa droite.
Il ne le regarde pas. Il met ses mains sur ses oreilles pour empêcher qu'elles s'imprègnent du bruit qu'il a entendu. Il tombe à genoux et se met à pleurer, les mains couvrant toujours ses oreilles. Il s'allonge sur le trottoir, face contre terre, et se met à labourer le sol avec ses ongles. Il replie ses jambes sous lui et se couvre la tête avec ses bras. On lui tapote le dos. Il entend une sirène. Quelqu'un lui frotte la tête. Il entend une autre sirène, différente de la première, puis le moteur d'une voiture de pompiers qui se gare tout près. Quelqu'un retire son bras d'une de ses oreilles et dit :
— Vous devriez vous lever, monsieur. Ça m'ennuie de vous dire cela, mais vous bloquez le passage.
Ses yeux sont complètement fermés. Il dit :
— Laissez-moi rester encore un peu ici. L'enfant ?
— L'enfant est mort, évidemment.
Henry gémit :
— Juste au moment où j'allais lui dire que, selon Karl Jaspers, il faut rejeter le terme Freitod et adopter Selbstmord, seul mot, d'après lui, capable d'exprimer la gravité du problème que pose l'anéantissement de soi-même !


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

samedi 23 novembre 2019

Le dernier recours (Stephen Dixon)


Je la quitte. Je ne pouvais plus rester avec elle. Elle est méchante. Elle me traite mal, elle est injuste. Elle me témoigne plus d'irrespect que de respect, et j'ai tout bonnement le sentiment que je ne mérite pas ça.
Puis elle me manque. Je reviens vers elle. Elle m'accueille chaleureusement, me dit des gentillesses, nous prépare à dîner, me verse elle-même à boire et dit :
— Veux-tu dormir seul dans le salon cette nuit, ou avec moi dans la chambre ?
— Je vais te répondre, mais d'abord, je voudrais signaler le rôle décisif que jouent dans l'œuvre de Levinas les notions de temporalité et de temporalisation. Avec toi si tu veux.
— Te l'aurais-je demandé si je ne voulais pas?
— Tu ne me l'as pas vraiment demandé. Tu m'as donné le choix. Eh bien, je veux dormir avec toi dans la chambre — voilà mon choix. Mais j'aimerais que tu commences par reconnaître ce fait selon moi indéniable que la philosophie de Levinas est une philosophie du sujet.
— Tu n'écoutes pas. Je te l'ai demandé. Ou peut-être n'entends-tu pas ? Tes facultés auditives se sont-elles détériorées pendant cette semaine d'absence ? Quoi qu'il en soit, cesse de dire que je mens.
— Bien entendu, le sujet dont parle Levinas n'est ni un pôle d'intentionnalité, ni un ego transcendantal ; il n'est même pas un individu dans le sens logique du terme, puisqu'il n'est pas l'individuation d'un concept d'espèce.
— N'essaie pas de me faire croire que je deviens folle.
— Mais non. Je le jure. C'est juste que, selon Levinas, l'unicité du sujet ne consiste pas en une combinaison unique de qualités physiques, psychiques ou caractérielles. « Le moi n'est pas unique comme la Tour Eiffel », remarque-t-il sur un ton ironique. « Il est unique parce qu'il se tient dans une dimension d'intériorité. »
— Tu as prononcé le nom de Levinas une fois de trop. Je pense qu'il vaut mieux que tu t'en ailles.
— Très bien. Je vois que, comme Husserl, tu mets l'accent sur l'immanence, tandis que Levinas et moi le mettons sur la transcendance de l'esprit. Buh-bye.
Je mets dans une valise les quelques affaires que j'ai rapportées et je retourne à l'hôtel où j'ai passé la semaine précédente.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

Interlude

Jeune femme cherchant le Monocle du colonel Sponsz de Hermann von Trobben

Changer (Stephen Dixon)


Bon, il faut que je change. Elle a dit qu'il fallait que je change. « Assez de ton cynisme, de ton mépris, et de ton manque de sociabilité plein d'arrogance. » Alors je vais changer. J'ai réfléchi à la façon dont je pourrais m'y prendre. Commencer par me conformer aux principes les plus élémentaires de la communication avec autrui pour en arriver progressivement à intégrer les plus complexes. En premier lieu, plus de regards désapprobateurs ni de commentaires sous cape à l'encontre de gens que je ne connais même pas. Et cesse de marcher les yeux baissés quand tu te trouves dans la rue à côté d'un voisin ou d'une voisine envers qui tu aurais l'occasion de te montrer civil, et avec qui tu pourrais même finir par faire connaissance. La prochaine fois, lève la tête, parle, et quoi que tu dises, abandonne définitivement cet air supérieur. Voilà justement un voisin.
— Bonjour, dis-je.
— Bonjour.
Dis autre chose.
— Et passez une agréable matinée.
— Oui, vous avez raison, c'est une agréable matinée, encore que la radio ait prévu de la pluie.
— D'après Cioran, c'est un crime de transmettre ses tares à une progéniture, et de l'obliger ainsi à passer par les mêmes épreuves que vous. Il dit que les parents sont tous des irresponsables ou des assassins.
— Ah oui ?
— Oui. Dans De l'inconvénient d'être né, je crois.
— Très intéressant.
— Il dit aussi que dans l'échelle des créatures il n'y a que l'homme pour inspirer un dégoût soutenu.
— Je vois.
— Et vous, vous pensez aussi que la grande erreur, c'est la naissance ?
Mais il était déjà parti. Je ne crois pas que je me sois très bien débrouillé. La tête qu'il faisait et ce petit signe irrité qu'il m'a adressé en partant. Quel cinglé, a-t-il dû penser. Mais qu'attendait-il donc que je lui raconte ? Ces banalités abrutissantes qu'il se complaît à entendre ? Non, voilà que reviennent cynisme et arrogance. Montre-toi plus tolérant envers d'autres styles de vie et des valeurs différentes, et même, reconnais leurs mérites. — Oh, et puis merde ! Qu'ils aillent tous se faire foutre !


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

vendredi 22 novembre 2019

La lettre (Stephen Dixon)


Il s'installe dans un coin de la pièce et lit la lettre. « Cher Stanley, ça ne sera plus jamais pareil. D'ailleurs, ça n'a jamais vraiment marché. Autrefois. C'est tout ce que je peux dire. Assez. Au revoir. Louisa. »
    Il plie la lettre en deux, la met dans la poche de sa veste, lève les yeux vers le plafond, brandit dans sa direction un poing menaçant, enfonce ses mains dans ses poches. Ses doigts rencontrent la lettre. Il la tire de sa poche, s'assoit dans le fauteuil, allume le lampadaire et lit la lettre. « Cher Stanley. Je ne sais pas. Qui peut dire pourquoi ? Toi ? Moi ? Certaines choses doivent arriver, c'est tout. Cela nous est arrivé — nous le savons l'un comme l'autre —, c'est pourquoi je suis obligée d'écrire ceci. Mais je n'ai plus la force de continuer. C'est trop pénible. Au revoir. Louisa. »
    Il fait une boule avec la lettre, la lance à l'autre bout de la pièce, se lève, tape du pied par terre, tape encore, va à la fenêtre simplement pour faire autre chose que penser à la lettre. Au passage, son pied heurte la boule de papier. Il la regarde, la ramasse, s'assoit sur le sofa, allume la lampe de chevet, lit la lettre. « Cher Stanley. L'unité de l'analytique existentiale est permise par une saturation sémantique des modes d'être du Dasein, c'est-à-dire qu'en existant toujours en vue de lui-même, celui-ci se trouve pris dans un réseau où les structures du renvoi, de la significativité et de la compréhension le clôturent dans sa sphère d'ipséité. Au revoir. Louisa. » « Ah, tout de même ! » s'exclame-t-il. Puis il place un coin de la lettre entre ses dents et la déchire en deux. Il déchire les deux moitiés en d'autres moitiés. Il ouvre la fenêtre, tend au dehors sa main pleine des morceaux de la lettre, ouvre sa main et regarde virevolter les confettis.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)

jeudi 21 novembre 2019

Ma chérie (Stephen Dixon)


On frappe à la porte.
« Entre. »
C'est Kant. Il entre et me regarde, je suis installé au bureau. Il continue à me regarder, je demande : « Oui ? Tu veux quoi ? »
Il s'assied dans un fauteuil près de moi, croise les mains et regarde vers la gauche, là où se trouve le placard qui me sert de bar.
« C'est un peu tôt, non ? Tu veux boire quelque chose ? »
Il décroise les mains, les regarde, fixe ses souliers, puis le sol. Je regarde à mon tour mais ne vois rien que ses souliers et le tapis sur lequel ils sont posés.
« C'est à quel sujet ? »
Il me regarde droit dans les yeux.
« Le vin des Canaries est agréable, dis-je pour dire quelque chose. Tu en veux un verre ?
— Non, cher ami, répond-il, ce n'est pas le vin des Canaries qui est agréable. Ce qui est agréable, c'est l'expérience que tu en fais. Agréable ne caractérise pas un objet mais une sensation. Or, la sensation est un vécu subjectif. Tu dois donc dire : "Mon expérience du vin des Canaries est agréable."
— Non mais tu me fais chier, mon vieux ! Quand je dis "Le vin des Canaries est agréable", c'est évidemment une manière elliptique de parler. Je veux dire qu'il est agréable pour moi. Tu es bouché à l'émeri ou quoi ? »
Il fixe le sol.
« Ne me parle pas comme ça ou je te synthétise a priori. »
Il se lève, quitte la pièce, claque la porte derrière lui.


(Étienne-Marcel Dussap, Forcipressure)