dimanche 16 octobre 2022

Sortir de l'inaction

 

Une fois pris dans la spirale de l'inaction, on ne peut plus en sortir, sauf survenue d'un événement exceptionnel qui vous force à agir « et plus vite que ça ». Cela peut être par exemple un cabiai — un « capybara » — entré par effraction dans votre intérieur frit.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

samedi 15 octobre 2022

Nourrir les bêtes

 

La physique moderne ayant démontré le caractère illusoire du « monde réel », le nihilique ne voit pas pourquoi il devrait sortir de son lit. S'il le fait, c'est uniquement pour nourrir ses bêtes, un peu à la manière d'un valet de ferme gombrowiczien.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Un paria du gingembre

 

Placez le sens de la vie dans le vocable zingibéracé, et vous n'avez plus de place dans la société des hommes normaux. Vous êtes un homme singulier, « tombé du général » comme le dit Kierkegaard à propos du chevalier de la foi, ou comme le dit Dostoïevski à propos de Raskolnikov, un homme « qui a tranché d'un coup de ciseaux les liens qui le rattachaient aux autres hommes ».

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Double vue

 

Tel un puissant solvant, l'idée du Rien désagrège les certitudes engendrées par la raison pure et fait accéder l'esprit à cette « deuxième dimension de la pensée » dont parle Raymond Doppelchor. Ça ne fonctionne pas à tous les coups, mais quand ça marche, c'est « aux pommes ».

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Mesure

 

La distance entre l'homme et la béatitude ne se mesure pas en kilomètres mais en grammes (de vodka ou de taupicide).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

vendredi 14 octobre 2022

Jeu de langage

 

« Qui sait, dit Euripide, il se peut que la vie soit la mort et que la mort soit la vie. » Et en effet, cela se peut — mais ne nous avance guère. Surtout si les deux se réduisent à « une longue suite d'emmerdes ».

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Grenouilles

 

Ses collègues du Contemporain pensaient que Biélinski avait des grenouilles, mais ce n'était pas ça. Du tréfonds de son être montait une clameur prépotente : celle poussée par les victimes de l'histoire, du hasard, de la superstition et de l'inquisition de Philippe II. Rien autre chose.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Passage secret

 

Lorsque Tintin s'exclame : « Mon vieux Milou, nous sommes perdus », Milou lui répond aussitôt : « Suis-moi, Tintin, je connais un passage secret qui va nous permettre de nous échapper ». Or il se trouve que ce passage secret, le nihilique le connaît aussi. Il s'appelle... l'homicide de soi-même.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

À dormir debout

 

Mircea Eliade dit que certains hommes dépassent en médiocrité même les femmes. De façon encore plus énigmatique, il dit que la femme du vigneron dont le meursault évolue présente un cru tout blanc, mais qu'elle aura du mal à faire coter ce vieux meursault, déjà pris au piège d'une terrible sécheresse.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

jeudi 13 octobre 2022

Bon esprit

 

Kafka se doutait sûrement que son ami Max Brod n'allait pas brûler les manuscrits qu'il lui avait confiés. Mais il lui a tout de même demandé de le faire et cela plaide en sa faveur — cela témoigne d'un « bon esprit ».

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Sarcopte poltron

 

« Entraîner avec soi dans la mort le sarcopte poltron qui vous tue... Ah, quel délice ! » (Les trente-trois délices de Louis Ribémont, Trad. de Simon Leys)

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Sot métier

 

Les écrivains devraient avoir honte d'écrire et ne se livrer à cette occupation puérile qu'en cachette. Au lieu de quoi ils paradent (sauf peut-être Joachim du Bellay mais il est comme on dit « décédé »).

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Courte trêve

 

Rassasié de sardines piquantes, gorgé d'aïrag, on serait presque disposé à signer un armistice avec la vie. Et puis ça recommence, le temps vous épluche à nouveau comme une pomme de terre...

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

mercredi 12 octobre 2022

Drilles

 

Kafka était un drille ; Cioran était un drille ; Thomas Bernhard, lui aussi un drille... Que des drilles ! — Terrible déception.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Coolie de hasard

 

On s'enlise, on glisse, on se casse la ieule, le réel vous donne des bourrades... et il faut continuer à porter son fardeau.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Un croisement

 

Le difficile est de réunir en soi deux sortes d'inquiétude : celle du ver de terre — qui attend que l'écrase le pied du voyageur — et celle du poëte portugais Fernando Pessoa — « Ô roues, ô engrenages, r-r-r-r-r-r-r éternel ! Violent spasme retenu des mécanismes en furie ! ». C'est difficile, mais avec un peu de persévérance, on y arrive.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Name-calling

 

Le nihilique accepte à la rigueur qu'on l'appelle un pascalien sans gouffre, un illuminé des parchemins ou un monstre géologique persécuté par les libellules, mais quand on le traite de zérumbet zététique ou de rutabaga, il voit rouge.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

mardi 11 octobre 2022

Fatalisme


Les mégères difformes au faciès d'hippopotame, le mieux n'est-il pas de prendre leur existence comme une donnée de la Création ?

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Angoisse phénoménologique

 

Vous lisez du Husserl ou du Merleau-Ponty, et les objets qui jusque là vous avaient regardé avec une placidité quasi bovine vous transpercent soudain de leurs arêtes aiguës !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Metaphysics in times of suffering

 

Pourquoi y a-t-il en général de l'étant et non pas plutôt rien ? C'est la grande question. Ou plutôt ce serait elle si l'on pouvait penser à autre chose qu'à une articulation temporo-mandibulaire.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Navigation

 

Le yawl du nihilique est mû par la même force que la barque du chasseur Gracchus : le vent qui souffle dans les plus profondes régions de la mort. Comme ce vent est très instable, le zélateur du Rien utilise, pour équilibrer la poussée vélique, un tapecul dont l'écoute est fixée sur une queue de malet.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

lundi 10 octobre 2022

Inexplicable rocher

 

La science fourre son nez partout et prétend tout élucider : les mouvements des astres, la structure du benzène, la transmission des caractères biologiques chez les petits pois... Le monde serait devenu tout à fait transparent s'il n'y avait... l'inexplicable rocher.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Des symboles

 

Nombre vont se plaignant que les paroles du nihilique ne soient jamais que des figures, inemployables dans la vie de tous les jours. Mais en réalité ce ne sont pas des figures, ce sont les éléments d'une mosaïque représentant une tête de chien couché.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Longue distance

 

Il y a loin de la coupe aux lèvres (à peu près autant que de Paris à Clermont-Ferrand) mais il y a encore plus loin du nihilique à la satisfaction de posséder un Moi.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Vestiges

 

De l'homme, il faudrait qu'il ne restât que des vestiges composés essentiellement de phosphate de calcium (par exemple un fémur ou une côte), mais pas d'œuvres telles que romans, poëmes, sonates, tableaux de peinture, etc. — ou ça va barder.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

dimanche 9 octobre 2022

Un féroce lapin

 

Les gens « normaux » n'aiment personne qu'eux-mêmes. Mais le nihilique est encore plus revêche : il n'aime personne du tout.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Radiance hurluberlue

 

Les objets ne sont pas seulement embêtants parce que l'on s'y cogne, ils ont en plus une sorte de radiance hurluberlue qui fait mal aux yeux — et à l'âme, quand on en possède une.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Apothéose du renoncement

 

Quand on meurt, on ne doit pas seulement renoncer à la vie, on doit aussi renoncer — et c'est peut-être le plus dur — à la philosophie marcellienne. Mais « quand il faut y aller, il faut y aller », n'est-ce pas ? Alors adieu, philosophie marcellienne !

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)

Poids du désespoir

 

L'angoisse, le désespoir, le malheur d'exister écrasent le sujet pensant « comme une mouche sur laquelle se serait assis un éléphant ». Leur poids est si monstrueux que, pour les déplacer, il faudrait, selon toute probabilité, les hisser au moyen de caliornes et de grues.

(Louis Ribémont, Mémoires d'un gluon)