Un compositeur costaud

 

Fatigué d'être vu comme un gringalet, le compositeur du Temps restitué se mit aux poids et haltères, il prit des stéroïdes anabolisants, et le résultat ne se fit pas attendre. Après deux mois, Pierre Boulez et Olivier Messiaen ne le reconnaissaient plus. Quels muscles ! Grâce à ses impressionnants biscoteaux, le compositeur put bientôt développer la technique des « séries proliférantes », que le musicologue François Nicolas a décrit comme un « mécanisme onirique » où les intervalles s'imbriquent et se désagrègent, engendrant une musique « qui s'invente elle-même et se détruit à mesure ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Valéry et le pet-en-l'air

 

Paul Valéry portait un pet-en-l'air que lui avait offert la princesse de Polignac et qui ne lui allait pas du tout. Malgré sa lucidité presque surhumaine, il était le seul à ne pas s'en apercevoir. Vêtu de son pet-en-l'air, il écrivait des aphorismes tels que : « Le sentiment d'être tout et l'évidence de n'être rien ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Éric Rohmer et l'existentialisme

 

Dans La Collectionneuse, Adrien s'intéresse à la philosophie, mais Haydée guère.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Absence de regrets chez les bouddhistes

 

Comme la chanteuse Édith Piaf, les bouddhistes ne regrettent rien. Ni le bien qu'on leur a fait, ni le mal. Tout ça leur est bien égal (disent-ils). Ils ne s'intéressent qu'à leur karma. Ils ne voudraient pas qu'il soit maculé, par des regrets ou par autre chose. Leur karma, ils ne vivent plus, à force d'en être soigneux.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Celan cortège d'aubes

 

Quand on apprend que Paul Celan a dédié un poëme à l'insupportable pot de pisse qu'est René Char, on est tellement déçu qu'on a envie de l'imiter et de se jeter dans la Seine du pont Mirabeau pour n'être repêché qu'à Courbevoie dix jours plus tard en état de décomposition avancée. Qu'est-ce qu'il lui a pris ? Qu'est-ce qu'il t'a pris, Paulo ?

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Un « pète »

 

Dans son fastidieux Usage du monde, l'écrivain Nicolas Bouvier raconte qu'il a eu un « pète » avec sa Fiat Topolino. Il a embouti un zébu au Pakistan et il a cassé son phare avant gauche. « Ça lui apprendra à voyager », se dit-on en lisant la relation détaillée que l'écrivain fait de ce « pète ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Hé, Ponge !

 

Nous nous sommes toujours demandé qui pouvait bien avoir envie de lire des descriptions de cageot, de cigarette, de bougie, d'orange, de galet et de savon. Peut-être des phénoménologues anxieux de retourner aux choses mêmes ? Peut-être des historiens qui collectionnent les dates ou à défaut les cherchent ? Si c'est le cas, grand bien leur fasse. Mais nous, ce que nous voulons, c'est des méchants, comme chez Dostoïevski. On s'en fout, des cageots ! Merde, Ponge, alors quoi ! Qu'est-ce tu fous, merde ! Des méchants, qu'on te dit !

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Misanthropie et vachophilie

 

Si vous trouvez que telle personne est sympathique, c'est que vous ne la connaissez pas suffisamment. Mais les vaches, c'est différent. Elles sont réellement sympathiques. Elles sont d'une douceur, d'une bonté, d'une placidité que l'on pourrait — avec peut-être quelque exagération— qualifier de « bovines ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Vain pur

 

Le gars Poulot dit Perros a tout de même écrit une bonne phrase, « le vain pur me monte à la tête », mais c'est une astuce à la portée de n'importe qui, guère plus subtile que « comment allez-vous, yau de poêle ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Assaisonnement de Perros

 

On peut dire que le négateur universel a drôlement réglé son compte au gars Poulot dit Perros, dans ses Cahiers. « Parler de soi, quand on n'est rien », qu'il dit, courroucé par les écrits dudit Perros. Et de fait, Perros n'est rien. Qu'un insupportable phraseur qui s'écoute parler et essaie désespérément d'être original, et qui par-dessus le marché lèche le fiak à l'imbuvable André Breton, à un point que c'en est « malaisant ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Délices du nirvana

 

Le Hinayana affirme que dans le nirvana disparaîtront la vue, le toucher, l'odorat, le goût et l'ouïe, et il compare l'élu à une lampe éteinte. Tout cela est extraordinairement attirant, il faut l'avouer.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Situation inconfortable de l'étant existant

 

Du fait même qu'il existe, le Dasein est perpétuellement « en situation de gênance ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Mélinée

 

Nous pensions avoir tout entendu en matière de bêtise mais il nous manquait le prénom Mélinée.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Film de Zapruder

 

Nous sommes les héros — ou les antihéros — d'une histoire qui nous dépasse. Notre vie est un film de Zapruder.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Kitsch universel

 

Dans la vie, tout est kitsch. Tout est bête à pleurer. Ainsi quand le chanteur Jacques Brel se propose d'offrir à l'odieuse bourrelle qui veut le quitter « des perles de pluie venues de pays où il ne pleut pas ». On ne sait si on doit en rire ou en pleurer.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Tædium vitæ

 

On est parfois si fatigué de soi-même qu'on accepterait d'être Jean-Pierre Georges pour une journée — ou un céphalopode.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Jules Renard dépassé

 

Il y a des gens qui sont si pleins d'eux-mêmes que rien ne saurait les intéresser. Ceci est un aphorisme.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Immodestie des aphoristes

 

Il y a des gens — les faiseurs d'aphorismes — qui sont si pleins d'eux-mêmes qu'ils croient que leurs « pensées » ne peuvent que nous intéresser. Hélas pour eux, il n'est pas le cas que phi — où phi désigne la proposition « leurs pensées nous intéressent ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Voix intérieure

 

« Arrête de parler du Rien ! Si tu veux être utile, fais comme Bobin, écris des livres qui redonnent espoir à la ménagère ! Qui expliquent que la vie est un magnifique cadeau qu'on ouvre chaque matin au réveil ! Ce n'est pas difficile, quand même ! »

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Une cruche

 

Madame Bovary est une vraie cruche. Elle n'a pas compris que le monde, ce monde, est un « monde de néant » dans lequel « tout pue ». Elle vit dans ses rêves, mais elle ne rêve pas au Grand Indéfini d'Anaximandre, non, elle fait des rêves de cruche : prince charmant, danse endiablée, dos d'esturgeon, etc. On a envie de la gifler. À la réflexion, le dos d'esturgeon, c'est dans Gogol — mais ça ne change rien à l'affaire.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Imprudence des critiques

 

Rapprocher, comme le font certains critiques, le Feu de Barbusse des Croix de bois de Dorgelès, cela nous semble contrevenir au « principe de précaution ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Vie sans l'Aleph

 

Blessé à la tête par un volet fraîchement repeint, l'écrivain Borges faillit mourir d'une septicémie. S'il était mort, nous n'aurions pas eu l'Aleph. Il nous aurait fallu vivre sans l'Aleph — et ç'aurait été dur, oh, bien dur. C'est déjà dur de vivre, mais ç'eût été pis.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Énorme

 

S'entendre traiter de « bossu de Recanati » alors qu'on n'y a seulement jamais mis les pieds !

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Indisposition de l'étant existant

 

Quand un Polacre vous demande : « Ile ma lat ? », il faut répondre : « Non, il n'est pas malat'. Il est seulement indisposé. »

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

L'attente du pire

 

Le pessimiste est un être profondément « malheuleux ». Tout ce qu'il entreprend, il sait que ça va échouer. Dès qu'il tombe malade, il sait qu'il va clamecer. Alors il n'entreprend plus rien, il reste allongé et gémit. Et même ça... il lui semble que ça va mal se terminer.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Bègles

 

On s'habitue aux noms des villes et l'on finit par ne plus voir à quel point certains sont d'un absurde camusien, beckettien, ionesquien et adamovien, au premier rang desquels... Bègles ! Il faudrait refuser de dire Bègles, et alors on verrait. Bègles ! Bègles !

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Prends ça

 

Une façon (peut-être dérisoire) de se venger du réel est de dire arbustre et Ennio Morricorne.

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Dodécaphonisme et homicide de soi-même

 

Dans une lettre à Schönberg, Anton Webern définit l'homicide de soi-même « un moyen de clarification de la pensée et des interrelations ». Pour l'accompagnement musical, il préconise un orchestre de solistes formé de bois et de cuivres (flûte, hautbois, cor anglais, clarinette, clarinette basse, basson, cor, trompette, trombone), des cordes « utilisées dans une subtile alternance de tutti et de solos », ainsi que des timbales « dont les roulements pianissimo accompagneront les articulations cadentielles du désespéré ».

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)

Limites à la crédulité

 

« Il est plus facile à un chameau de passer par le chas d'une aiguille qu'à ce même chameau de croire à la thèse du suicide de de Grossouvre — même en prenant un chameau de bonne composition. » (Matt. 19:16-26)

 

(Henri-Marcel Chissant, Hippocastanacées)