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mardi 28 août 2018

Adieux à l'Être


Heidegger meurt le 26 mai 1976 à Meßkirch, où il est enterré. Ses dernières paroles, fidèlement consignées par Elfriede, sont, sans surprise, une réflexion sur la mort : « Dans le Dasein, aussi longtemps qu'il est, quelque chose qu'il peut être et qu'il sera est à chaque fois encore en excédent. Or à cet excédent appartient la "fin" elle-même. La "fin" de l'être-au-monde est la mort. Cette fin appartenant au pouvoir-être, c'est-à-dire à l'existence, délimite et détermine la totalité à chaque fois possible du Dasein. Cependant, l'être-en-fin du Dasein dans la mort — et, avec lui, l'être-tout de cet étant — ne pourra être inclus de manière phénoménalement adéquate dans l'élucidation de son être-tout possible que si est conquis un concept ontologiquement suffisant, c'est-à-dire existential, de la mort ».

Quand, sur ce dernier mot, s'éteint la voix de Heidegger, tous les assistants ont les larmes aux yeux.

La même année est publié le premier volume des Œuvres complètes, qui comprendront environ cent-dix tomes, la Gesamtausgabe.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

lundi 27 août 2018

Épouvante bergsonienne


Au printemps 1969, Heidegger est victime d'une crise de panique au cours de laquelle il est vu éructant et gesticulant dans les rues de Meßkirch. Il hurle que, « selon Bergson, un néant opéré par l'intellect ne peut être que "plein" ». Il doit être hospitalisé durant quelques semaines dans une « clinique spécialisée ».

(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

dimanche 26 août 2018

Engorgement ontologique


Les dernières années de Heidegger sont assombries par une rétention fécale tenace. À cette occasion, il se convainc que c'est dans l'expérience la plus pragmatique et la plus naïve du monde — celle de la constipation — que « l'homme prend conscience de lui-même et de ce qui l'entoure, que le vécu du monde ambiant n'est pas à concevoir théoriquement, mais que la primauté revient à la quotidienneté ordinaire. Le Dasein y reçoit la première expérience concrète de l'être, de "ce qui est", mais aussi de "ce qui ne veut pas sortir" ».

Comme le jus de pruneaux est sans effet, Heidegger cherche le salut dans l'« auto-interprétation » de la vie factive. Mais c'est finalement la rhubarbe qui débloquera l'« engorgement ontologique » dont il souffre.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

samedi 25 août 2018

Avoir été


Arrivé au soir de sa vie, Heidegger fait un douloureux retour sur lui-même. Il ne le sait que trop : « le Dasein ne peut se libérer de ce qu'il a été, il a son passé positivement en charge. La question qui taraude le Dasein, c'est d'être lui-même à partir de lui-même. N'est-ce pas là la définition même de l'existence ? Et cela, il ne le peut qu'à la condition d'assumer à chaque fois ce qu'il a déjà été : cet "avoir été" est partie intégrante de l'existence du Dasein venant à soi. » — Mais c'est dur, oh, c'est bien dur !

(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

vendredi 24 août 2018

Célébrité planétaire


En 1958, Heidegger prend sa retraite de l'Université, mais il continue d'animer des séminaires et de participer à des colloques jusqu'en 1973, et notamment le séminaire tenu à Fribourg avec Eugen Fink sur Héraclite en 1966-1967, et trois séminaires au Thor — une commune du Vaucluse — avec Jean Beaufret. Il est désormais considéré comme une star et pose en couverture de Life avec Jane Fonda dont la proximité, confiera-t-il à Hans-Georg Gadamer, lui a procuré de piquantes sensations « au niveau du Dasein » et lui a même donné « des frissons presque partout ».

(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Interlude

Jeune femme lisant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

jeudi 23 août 2018

Rencontre avec Lacan


En 1955, Heidegger est invité en France par Maurice de Gandillac et Jean Beaufret, pour donner une conférence à Cerisy. Il séjourne chez Jacques Lacan qui s'attache à l'ontologue comme une sangsue, espérant par là obtenir un certain crédit intellectuel auprès du vulgum pecus. Mais quand Lacan, pour faire l'intéressant, lui dit que « ce qui est forclos du symbolique resurgit dans le réel », Heidegger ne peut rétorquer que « Was ? »

(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

mercredi 22 août 2018

Misanthropie


Au début des années cinquante, le pessimisme et la misanthropie de Heidegger progressent « à grands pas, pétulants ». Il estime que « nous n'avons plus besoin de bombe atomique, le déracinement de l'homme est déjà là ». Il soupçonne par ailleurs Elfriede d'entretenir une liaison avec un garagiste de La Bourboule (où elle fait des cures étrangement fréquentes).

(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

mardi 21 août 2018

Conférences


Malgré l'interdiction qui lui a été signifiée, Heidegger se lance dans une série de conférences. Après Pourquoi des poètes de 1946, suivent quatre causeries intitulées Regard dans ce qui est : La chose, Le dispositif, Le danger, et Le tournant, qu'il prononce à Brême en 1949.

Heidegger justifie cette activité effrénée en disant que « le repos n'est que mouvement se retenant en soi, souvent plus inquiétant que le mouvement même ».

Lui qui fondait de grands espoirs sur ce contact direct avec son public n'est que médiocrement satisfait du résultat. Il ne voit dans son auditoire que des « intellectuels mal dégrossis ». Selon lui, « les paysans sont beaucoup plus agréables et même plus intéressants ».


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

lundi 20 août 2018

Pan sur le bec de l'odieux Sartre


À la fin de la guerre, les autorités alliées ont interdit à Heidegger d'enseigner jusqu'en 1951. Cela n'empêche pas sa pensée d'influencer grandement la vie intellectuelle, notamment via L'Être et le Néant (publié en 1943) du pénible Jean-Paul Sartre, qui se présente comme un « essai d'ontologie phénoménologique » dans la veine de Husserl mais dont l'inspiration est en réalité nettement heideggerienne.

Le principal objectif du hideux Sartre — qui a toujours jalousé les conquêtes féminines d'Albert Camus — est d'acquérir l'image d'un séducteur auprès des personnes du sexe en affirmant que « l'existence précède l'essence ». Accessoirement, sans doute pour dissimuler l'influence qu'exerce sur lui la terrifiante Beauvoir, il prétend démontrer que le libre arbitre existe !

Dès 1946, le maître de Fribourg a pris ses distances avec l'existentialisme sartrien dans sa Lettre sur l'humanisme où il déclare que « l'essence de l'homme n'est rien d'humain » et appelle Sartre un « pignouf » (ein Holzkopf). Il profite aussi de cette Lettre pour préciser son concept de Dasein et « remettre les pendules à l'heure » : « Le Dasein est l'étant que nous sommes et qui est destiné par l'être à séjourner dans l'éclaircie de l'être ».


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

samedi 18 août 2018

Rencontre avec l'assommant Char


Fin 1945, le journaliste et traducteur Frédéric de Towarnicki apporte à Heidegger une série de quatre articles de Jean Beaufret intitulée « À propos de l'existentialisme », parue dans la revue Confluences (n° 2 à 6). Heidegger voit dans ces textes une lecture pleine de finesse de Sein und Zeit.

Les deux hommes se rencontrent pour la première fois en septembre 1946. À dater de ce jour, outre son enseignement, Beaufret se consacre à faire connaître la pensée du philosophe allemand en France. À Paris, après guerre, il habite 9 passage Stendhal dans le XX e arrondissement où passent de nombreux élèves et amis 1. Un soir d'été, Beaufret reçoit René Char et Martin Heidegger, qui se rencontrent pour la première fois. Le perspicace ontologue déclarera plus tard que Char lui a fait l'effet d'un « sentencieux imbécile » et qu'il a trouvé ses poèmes « assommants ».


1. Dont le poète Paul Celan, qui se jettera dans la Seine quelques années plus tard après avoir lu le passage de Sein und Zeit disant qu'« avec la mort, le Dasein a rendez-vous avec lui-même dans son pouvoir-être le plus propre, indépassable ».

(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

vendredi 17 août 2018

Autre commencement


Pour oublier ses « soucis de santé », Heidegger  se tourne à nouveau vers son cher Hölderlin et en particulier vers ses « poésies fluviales », c'est-à-dire la Germanie et le Rhin. Selon lui, ces poèmes tendus vers l'origine font signe vers l'« autre commencement », celui qui nous projette en deçà de la métaphysique. Mais Heidegger se sent désormais trop ankylosé pour se laisser projeter où que ce soit.

Assise, quand le temps s'y prête, sur un petit banc devant leur maison de la Forêt-Noire, Elfriede lui tricote des mi-bas, ce qui suscitera plus tard la dérision du grinçant écrivain Thomas Bernhard.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

jeudi 16 août 2018

Cyclothymie


Après l'échec de son cours sur Parménide, Heidegger est sujet à des revirements d'humeur qui apparaissent par périodes et vont de l'excitation à la dépression. Le docteur Scheißkerl, maintenant à la retraite mais qui continue à voir l'ontologue, lui déclare qu'il est « cyclothymique ». Effectivement, un jour il exalte son propre génie et appelle les philosophes depuis Héraclite « une tribu de pygmées », et le lendemain, il décrit son œuvre « un amas de matière excrémentitielle ».

Sa femme lui dit qu'il est simplement angoissé et essaie de lui faire boire de la tisane, mais il lui rétorque hargneusement que l'angoisse est l'une des « dispositions » insignes du Dasein, que le « pour-quoi » le Dasein s'angoisse, c'est l'« être-au-monde » lui-même, que le Dasein est confronté à la nudité de son être, et par contrecoup à cela seul qui lui appartient en propre c'est-à-dire à son être « authentique », et cetera, et cetera.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

mercredi 15 août 2018

Parménide


Lors du semestre d'hiver 1942-1943, Heidegger fait un cours sur Parménide à l'Université de Fribourg-en-Brisgau, qui ne sera publié qu'en 1982 dans l'édition Klostermann de ses œuvres complètes. C'est donc au moment où la catastrophe mondiale est à son comble que le toujours pétulant ontologue décide de traduire et de commenter le Poème didactique du philosophe grec, et d'empoigner son alpenstock pour aller à la rencontre de la « déesse Vérité en personne ».

Heidegger se concentre principalement sur le célèbre fragment qui affirme que « le même est penser et être ». On pourrait croire que cette sentence fait de Parménide un précurseur de Descartes en posant l'identité de l'« être » et de la « pensée », mais point du tout. Pour Heidegger, qui n'aime rien tant qu'embrouiller les choses, cet aphorisme, loin de parler d'identité, désigne une « co-appartenance » ; et la co-appartenance n'est pas une identité mais, dans la mentalité grecque, un mode selon lequel chacun est ce qu'il est, parce qu'il procède du « Même ». Sauf que ce « Même » n'est pas un prédicat auquel se référeraient l'être et la pensée, mais une parfaite énigme !

Ses amis réalisent que l'ontologue commence à « dérailler », et lui font comprendre avec diplomatie qu'il serait temps pour lui de se consacrer à autre chose qu'à la philosophie, par exemple à la culture des betteraves ou à l'élevage des vers à soie.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

mardi 14 août 2018

Vivre et travailler au pays


En 1931, un poste à l'Université de Berlin est proposé à Heidegger, poste qu'il refuse après une discussion avec un de ses amis paysans qui lui affirme qu'un « gars de la campagne » comme lui ne se sentira jamais à l'aise dans la « grande ville » 1.

Heidegger resta à l'Université de Fribourg-en-Brisgau pour le restant de sa vie enseignante, déclinant de nombreuses offres, ce qui eut le don de courroucer son épouse qui voyait dans la vie à Fribourg un « processus mortel ». Parmi ses étudiants les plus illustres, on compte, outre son ex-maîtresse Hannah Arendt, le « coco » Herbert Marcuse, l'historien Ernst Nolte, et le « métaphysicien d'autrui » Emmanuel Levinas qui, sans doute influencé par sa lecture de Freud, tentera dans les années soixante de pratiquer sur Heidegger le « meurtre du père symbolique ».

1. Ce paysan aurait ponctué sa phrase d'un « cré bon diousse », au dire de Gragerfis qui rapporte cette anecdote dans son Journal d'un cénobite mondain.

(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

Interlude

Jeune femme lisant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

lundi 13 août 2018

Souci


Il s'agit désormais, pour Heidegger, de mettre en évidence l'enracinement de la theoria et de la praxis dans le nouveau concept de « souci » (die Sorge) que lui ont fait découvrir sa fréquentation du Livre X des Confessions de Saint Augustin et ses travaux sur les premiers chrétiens (qui avaient le souci permanent d'éviter de se faire dévorer par les lions).

Il va s'acharner à trouver les linéaments de ce « souci » dans l'œuvre du Stagirite et il y dénichera finalement quelque chose qui peut faire office de cousin présentable, une fois paré d'une requimpette dialectique idoine, le concept de « prudence », la Phronesis.

Ce « souci » va devenir progressivement l'essence même de l'« être » de l'homme dans Sein und Zeit, en même temps qu'il va envahir la vie de Heidegger du fait du caractère de plus en plus acariâtre de sa femme et du comportement de plus en plus écervelé de la fille Arendt.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

dimanche 12 août 2018

Existenz über alles


Quand il ne fait pas la « bête à deux dos » avec Hannah Arendt, Heidegger lit Aristote. Il commence à développer sa vision personnelle du sens de l'être, que son épouse Elfriede trouve « lugubre et biscornue ».

En fait, Heidegger tente d'arracher l'être au régime de détermination univoque où l'enferment les sciences de la nature et qui consiste à faire de l'être un objet de représentation pour un sujet (ce qui revient en somme à réduire l'être à l'étant, ou encore à reconduire le domaine ontologique à la seule sphère ontique). Ses travaux sur la phénoménologie de la vie religieuse, nourris de l'étude de Saint Augustin, de Paul et de Luther, l'orientent vers une conception de l'être humain qui va privilégier l'existence sur l'essence. Une existence, hélas, faite « d'ennuyeuse monotonie, de paroles superflues et de solitude », comme celle que décrira plus tard le « romancier de l'absurde » Albert Camus.

Sa femme, qui sent que sa passion pour le  Dasein l'éloigne d'elle, tente de noyer son amertume dans le schnaps mais n'y gagne qu'un sévère « mal aux cheveux ».


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)