jeudi 28 mai 2020

Paradoxe du crocodile


Un crocodile s'empare d'un bébé et dit à la mère : « Si tu devines ce que je vais faire, je te rends le bébé, sinon je le dévore. » En supposant que le reptile soit digne de confiance, que doit dire la mère pour qu'il lui rende l'enfant ? La réponse usuelle fournie par les individus de tendance « nihilique » est : « rien n'est ». Le crocodile se trouve alors dans l'impossibilité de dévorer quoi que ce soit — puisque lui-même n'est pas. Mais une réponse plus subtile est : « reginglette ». Le saurien, complètement dérouté, perd ses moyens et prend ses jambes à son cou.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

jeudi 21 mai 2020

Vivant


L'homme se croit « vivant » parce qu'il parle, écrit, crée des concepts, manie la brouette, charroie des cailloux et fait des plates-bandes... Mais un tel mode d'existence est larvaire car terriblement limité. Ce n'est qu'après qu'il a vu le pachynihil que les énergies transfiguratrices qu'il porte en lui jaillissent et deviennent opérantes. De nouveaux sens se forment ainsi que des organes subtils. L'homme retrouve son unité primordiale et s'équilibre dans son corps, son âme et son esprit. Le voici, grâce à l'idée du Rien, affranchi de la morsure des événements provenant de la « réalité empirique », qui auparavant le rendaient comparable à une épave ballottée par les flots.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

mercredi 20 mai 2020

Désert


Le désert est un symbole cher aux nihiliques : il représente le renoncement (au « fétide et rébarbatif réel ») et la pureté (du pachynihil). Le sol du désert résulte d'une usure. Ayant perdu en quelque sorte sa substance, il échappe à toute corruption. Situé à la cime du dépouillement, il peut être à la fois stérile ou fécond, tout comme l'idée du Rien.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

dimanche 17 mai 2020

Sanctuaire


Il existe des « lieux saints » où l'on ne peut pénétrer sans préparation, et qui ne sont accessibles qu'à certaines personnes. A. J. Festugière cite le cas de Thoas qui, n'osant pénétrer dans l'adyton du temple de Tauride, appelle Iphigénie de l'extérieur en lui demandant de s'avancer vers la porte. Le pachynihil est l'un de ces lieux saints. Pour avoir le droit d'y entrer, il faut d'abord passer avec succès l'épreuve dite « du taupicide ». Quant à ceux qui échouent, on leur fait subir — pour leur apprendre à vivre ? — une deuxième épreuve dite « du lavage d'estomac ».

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

samedi 16 mai 2020

Surdité


Dans son De ædificio Dei, Gerhoch von Reichersberg écrit que « la structure de l'univers est ordonnée comme il convient » (tota universatis structura convenienter ornatur). Interrogé à ce sujet par Georges Charbonnier, l'homme du nihil lui répondit qu'il préférait « entendre ça que d'être sourd ».

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

vendredi 15 mai 2020

Cogito


Son sens aigu du ridicule conduisit très tôt l'homme du nihil à mettre une certaine distance entre lui-même et ses « pensées ».

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

jeudi 14 mai 2020

Interlude


Jeune femme s'apprêtant à lire l'Appel du nihil de Martial Pollosson

Comme tout


M. Bouboule : Alors, ça boume ?
L'homme du nihil : J'expérimente une solitude au sein de laquelle on ne peut plus qu'aller et venir à l'intérieur de son propre cerveau.
M. Bouboule : Ah ? Ça ne doit pas être drôle.
L'homme du nihil : Non, mais... c'est comme tout.
M. Bouboule : Eh oui... c'est comme tout...

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

mercredi 13 mai 2020

Au théâtre ce soir


La vie de l'homme du nihil n'est pas un mélodrame à la Pixérécourt ; c'est une comédie larmoyante à la Nivelle de la Chaussée.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

mardi 12 mai 2020

Biguá


Quand l'homme du nihil aperçoit des cormorans perchés en haut des arbres, ça ne fait ni une ni deux, il pense à leur nom en tupi : biguá.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

Interlude

Jeune fille lisant les Exercices de lypémanie de Marcel Banquine

lundi 11 mai 2020

Justification


« L'homme du nihil se méprisait tellement lui-même et tout ce qu'il faisait, que jamais il n'aurait mis au jour aucun de ses ouvrages, s'il n'eût consulté que l'humble opinion de son cœur. Plein de la pensée et du sentiment de son néant, qui ne le quittaient point, il redoutait tout ce qui pouvait le faire estimer des hommes et lui attirer de la considération. S'il prit la plume pour composer quelques ouvrages baroques, ce fut uniquement dans le désir de répandre les flammes du pur dégoût qui le dévorait intérieurement. » (Stylus Gragerfis, Une vie dans le Rien)

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

dimanche 10 mai 2020

À Amsterdam


De passage à Amsterdam et confronté au choix de visiter le musée Van Gogh, celui de la maison de Rembrandt, les deux, ou rien, l'homme du nihil choisit... — rien.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

samedi 9 mai 2020

Adieux à Gand


Dans un beau passage, Ménandre compare la vie à une foire : partout foule, bruits, voleurs, joueurs de dés, divertissements de toute sorte. Plus tôt on s'en va, mieux cela vaut. Si l'on tarde et s'obstine, on se condamne à subir les affres du vieillissement, et à passer d'ennuyeuses soirées auprès du feu, face à une « mégère difforme au faciès d'hippopotame ». Pour s'en aller, Ménandre préconise l'emploi du taupicide ou d'un revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

Interlude

Jeune fille s'apprêtant à lire les œuvres complètes de Robert Férillet

vendredi 8 mai 2020

Mousserons


« J'ai passé ma vie à faire le mort, déclara l'homme du nihil. Allongé sur mon matelas-tombeau, un torchon sur les yeux, les mains croisées sur la poitrine...
— Et les mousserons ? » demanda le père Théraponte.


(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

jeudi 7 mai 2020

Paradoxe de Liem


Le paradoxe de Liem réside dans la divergence constatée entre le régime alimentaire de certains vertébrés et celui auquel leur denture paraît adaptée. Il a d'abord été observé par le biologiste américain Karel F. Liem chez un poisson d'eau douce mexicain, Herichthys minckleyi. L'une des variétés de ce poisson, un cichlidé endémique de Cuatro Ciénegas (nord du Mexique), a des dents pharyngiennes plates, qui semblent adaptées à l'écrasement d'objets durs tels que des coquilles. Pourtant, ces poissons négligent les escargots et consomment essentiellement des aliments tendres. Autre exemple : les gorilles de la forêt de Bai Hokou (réserve de Dzanga-Sangha, Centrafrique), qui ont des molaires aiguisées propres à broyer des végétaux durs (tiges, feuilles) et un système digestif capable d'assimiler la cellulose, mais recherchent pourtant les fruits tendres et sucrés. Enfin, les mangabeys à joues blanches du parc de Kibale (sud-ouest de l'Ouganda) ont des molaires plates et recouvertes d'un émail épais adaptées à la fracturation d'aliments durs et cassants comme des noix et des graines. Malgré cela, ils mangent surtout des fruits charnus et des feuilles jeunes.

Une explication possible de ce paradoxe, avancée par le biologiste « nihilique » Alvin J. Merriwether, met en jeu l'idée du Rien : la denture est en fait adaptée à des conditions difficiles, rares mais cruciales pour la survie de l'espèce, celles où la « réalité empirique » perd son sens. Et de fait, il a été observé que les gorilles et les mangabeys à joues blanches se rabattent sur des végétaux ou des graines durs quand les poigne la pensée que « rien n'est ».


(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

mercredi 6 mai 2020

Paradoxe de l'amitié


Le paradoxe de l'amitié est un phénomène découvert par le sociologue Scott L. Feld, qui consiste en ceci qu'un individu possède en moyenne moins d'amis que ses amis. Il ne s'agit d'un paradoxe qu'en apparence, car ce phénomène bien réel peut s'expliquer par certaines propriétés mathématiques des « réseaux sociaux » (l'inégalité de Cauchy-Schwarz notamment). Fait remarquable, l'homme du nihil constitue un cas d'inapplicabilité de la règle car il n'a pas d'amis : il est ce qu'on appelle vulgairement un « rémi ».

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

Interlude

Jeune femme lisant Prière d'incinérer. Dégoût de Luc Pulflop

mardi 5 mai 2020

Déplaisir


Après qu'il eut été comme qui dirait « mis au monde », l'homme du nihil se trouva fort marri (il eut un extrême déplaisir) de se voir affublé d'un Moi.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

lundi 4 mai 2020

Source


Dans le recueillement et la concentration, l'homme se saisit dans son écrasante solitude. Qu'il persévère, qu'il pénètre plus avant dans le mystère de son intériorité, le voici animé, s'abreuvant à la source d'eau vive qui ruisselle en lui : le pachynihil.

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

dimanche 3 mai 2020

Paradoxe de Moravec


Le paradoxe de Moravec tient en ceci que « le plus difficile en robotique est souvent ce qui est le plus facile pour l'homme ». Énoncé par le roboticien Hans Moravec, ce paradoxe indique qu'il est beaucoup plus facile de faire simuler par un programme informatique le raisonnement de haut niveau que les aptitudes sensorimotrices humaines. Selon Marvin Minsky, cette situation paradoxale peut s'expliquer par le fait que, lorsque le cerveau humain maîtrise parfaitement une tâche, celle-ci ne s'exécute pas consciemment et n'est donc pas reconnue comme difficile. Il n'en va pas de même des tâches faisant intervenir des notions complexes telles que celle de pachynihil. Et il est exact qu'attraper un tournevis dans une boîte à outil paraît — à tort s'il faut en croire Minsky — plus facile que de concevoir que « rien n'est » !

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

samedi 2 mai 2020

Interlude

Jeune fille lisant l'Océanographie du Rien de Raymond Doppelchor

Paradoxe du barbier


Le conseil municipal d'un village vote un arrêté qui enjoint à son barbier de raser tous les habitants masculins du village qui ne se rasent pas eux-mêmes. Comment le barbier va-t-il échapper au désespoir, si ce n'est par la pensée que « rien n'est » et qu'il peut, grâce au taupicide, quitter à tout instant ce « monde de néant » ?

(Lucien Pellepan, Énantioses profectives)

vendredi 1 mai 2020

Théorème de Stark-Heegner


En théorie des nombres, le théorème de Stark-Heegner indique précisément, parmi les corps quadratiques imaginaires, lesquels possèdent un anneau d'entiers factoriel. Une condition nécessaire est que le corps possède un idéal principal. Ce n'est évidemment pas le cas de l'homme du nihil — qui n'a d'idéal ni principal ni secondaire puisqu'il est convaincu que « tout pue » — et le malheureux est donc condamné à cheminer dans le sinistre « désert de Gobi de l'existence » sans le secours d'un quelconque anneau d'entiers factoriel.

(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)

jeudi 30 avril 2020

Rejoindre l'infini


En analyse complexe, le lemme de Hartogs, dû au mathématicien allemand Friedrich Moritz Hartogs, est un résultat fondamental portant sur les fonctions de plusieurs variables complexes. Il dit que les concepts de singularité isolée et de singularité supprimable coïncident pour les fonctions analytiques avec n > 1 variables complexes. Ce lemme a pour conséquence que l'« étant existant » — le fameux « Dasein » des existentialistes —, vu comme un point singulier d'une fonction de plusieurs variables complexes, est toujours voué à « rejoindre l'infini » dans une certaine direction. Et d'après Hartogs — qui lui-même se suicida en 1943 —, il le rejoint d'autant plus vite que sa singularité est grande (s'il est, par exemple, un « nihilique »).

(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)