L'art
imite la nature, qui elle-même imite l'art, et ainsi de suite, on n'en
sort pas. Le résultat c'est qu'au final, il n'y a plus ni art ni nature,
il n'y a que de la révérence parler merde !
Quand
on est de tendance « nihilique », on est enclin à penser que le syntagme
nominal « un faldistoire falciforme » constitue un parfait résumé de la
vie sur Terre. Rappelons que l'adjectif falciforme signifie « en forme de
croissant ou de faucille ».
Le « négateur universel » Émile Cioran disait que pour entrevoir
l'essentiel, il ne fallait exercer aucun métier, mais juste « rester
allongé et gémir ». C'est assez tentant, mais à force d'entrevoir
l'essentiel, ne risque-t-on pas d'attraper des escarres ? Ou quelque
chose d'encore pis ?
Comme
le poëte Baudelaire, le nihilique pense parfois à la négresse amaigrie
et phtisique, mais en général, ça ne dure pas longtemps. Il faut dire
qu'il n'a pas que ça à faire. Le Rien l'appelle. Et s'il n'y avait que
le Rien... Mais il y a aussi la philosophie de Husserl, avec son
terrible cortège de « phénomènes » !
Hannah
Arendt raconte que Heidegger fut catastrophé quand il vit que sa
créature, le fameux « Dasein », sans doute accablée par sa condition
d'être-pour-la-mort, s'était mise à fumer de la « beuh ». Il avait donné
naissance à un monstre !
Job
dit que s'il était possible de peser sa souffrance et ses calamités,
elles se révéleraient plus lourdes que le sable de la mer. Mais il ne
précise pas si, dans les arbres, il inclut aussi les « arbustres » (par
exemple le cornouiller).
À
Venise, en plein centre du Campo Santo Stefano, se trouve une statue de
l'écrivain Niccolò Tommaseo. Cette statue, assez imposante, a été
baptisée par les Vénitiens « il Cagalibri » (le « chieur de livres ») à
cause des volumes reliés devant lesquels se tient l'écrivain, qui
semblent sortir de son fondement à la manière d'un flot diarrhéique. Le
pauvre Niccolò se retrouve donc la risée de l'univers, et ce de façon
assez injuste. Il paie pour les autres. Car tout écrivain n'est-il pas
un « chieur de livres » ?
Les
foudroyés du destin, ceux pour qui l'irréparable — le vrai, pas celui
d'Émile Cioran — est devenu réalité, on se détourne d'eux. Ils ne
sont pas festifs.
Le
nihilique veut bien accepter un certain nombre de bizarreries de la
part du monstre bipède, mais qu'il forme des projets, alors là, ça passe
les bornes.
La libellule
déprimée est un insecte odonate appartenant à
la famille des libellulidés. Très commune en Europe, on la rencontre
jusqu'en Asie centrale. Ce qui la distingue des libellules « normales »,
c'est le sentiment camusien qu'elle éprouve de vivre isolée dans un
univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort.
Les symptômes qui l'affectent — tristesse pathologique ; perte
d'intérêt pour les activités professionnelles, sociales et familiales ;
sentiment de culpabilité et d'échec ; diminution de l'estime de soi ;
difficultés à se concentrer sur une tâche et à prendre des décisions —, ont un retentissement majeur sur sa vie, notamment sur le plan
socioprofessionnel. Le risque de suicide est particulièrement élevé et
concerne dix à vingt pour cent de ces petits insectes.
Parfois,
quand la tristesse de vivre le poigne, le nihilique se dit qu'il
devrait peut-être aller voir les comédiens, voir les musiciens, voir les
magiciens qui arrivent viens. Histoire de se distraire un peu et
d'oublier pour un instant qu'il est un être-pour-la-mort. Mais il les
connaît trop, ces comédiens, ces musiciens, ces magiciens. Ce sont des
pauvres cons. Ils ne sont même pas distrayants.
« Le
père mort, les fils vous retournent le champ. Deçà, delà, partout ; si
bien qu'au (Francis) bout de l'an, il en rapporta davantage. » Dans cet
extrait du Laboureur et ses enfants, on remarque une allusion à la
Milice française, certainement involontaire de la part de La Fontaine
mais qui fait un peu tache. Ne vaudrait-il pas mieux remplacer le
passage scabreux par « à la (Francis) fin de l'année » ? Par respect pour
les victimes ? Quitte à sacrifier la métrique ?
Ludwig
Wittgenstein est le Robert Dacier de la philosophie. Comme le célèbre
et paraplégique détective, il se livre à des investigations, et d'une.
Et de deux, même s'il ne pourchasse pas les brigands en fauteuil
roulant, il traque les « limites du sens », et on peut dire que c'est à
peu près la même chose (en étant coulant).
Mircea
Eliade était féru de mythes, c'était chez lui une véritable obsession.
Il parlait même de mythes à l'abbesse. Et quand son ami le négateur lui
en faisait le reproche, il répondait que ce n'était pas grave, qu'il
s'agissait seulement de mythes abolis.
Dans
Mon voisin le Totoro, le Totoro est une sorte de gros patapouf qui joue
de l'ocarina. Il y a aussi des créatures qui ressemblent à des boules
de suie et qui portent le nom de susuwatari. En général, l'histoire est « à dormir debout ». Mais la vie du nihilique ? N'est-elle pas, elle
aussi, « à dormir debout » ? Et le nihilique n'a pas même l'excuse d'avoir
été créé dans les studios Ghibli ! Puisqu'il est de Bezons !
Le
nihilique n'aime pas trop qu'on lui demande s'il a « un projet dans
l'artisanat ». Par politesse, il répond quand même (il dit que non).
Jusqu'à preuve du contraire, pense-t-il, l'homicide de soi-même, ce
n'est pas de l'artisanat.
Le
pire qu'il puisse arriver à un écrivain, c'est d'être lu. Surtout par
des pochetées qui s'amusent à lui saper le moral en lui disant que ce
qu'il écrit est « très beau et très fort », « d'une beauté transcendante »,
ou encore « lucide, sublime et bouleversant ». S'il n'arrête pas d'écrire
après ça, c'est qu'il en tient une bonne couche.
Plus
véloce qu'un pouillot, plus fascié — et plus pupulant ! — qu'une
huppe, plus proyer qu'un bruant, plus à gorge blanche qu'un rougequeue,
le nihilique est la quintessence des oiseaux de nos campagnes. Dans ses
rêveries d'un promeneur solitaire, tout au moins.
Il
faudrait pouvoir vivre machinalement. Sans y penser. Comme Henri
Michaux dans ses bons jours. Mais lui était belge. Quand on est de
Bezons, c'est une autre histoire.
Que
reste-t-il des billets doux ? Hein ? Et des mois d'avril ? Et des
rendez-vous ? Quand on est un « vieux jeton » ? C'est simple : il en reste
peau de révérence parler zob. L'impression malaisante d'avoir été pris
pour un couillon. C'est tout.