samedi 21 octobre 2023

Caisse vide

 

Le nihilique a souvent l'impression qu'il est la seule personne raisonnable ici-bas. Il lui semble aussi qu'il possède des idées — « rien n'est » — et des mots — zingibéracé, lagéniforme, strapontin — qui sont inconnus à tout autre. Pourtant, quand il s'ouvre, il ne trouve en soi-même que le vide ! Comme Sophocle avec sa boîte de cannellonis !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

vendredi 20 octobre 2023

Tragédie du quotidien

 

Dans ses mémoires, Sophocle raconte qu'un jour, il a ouvert une boîte de conserve censée contenir des cannellonis à la sicilienne, mais il n'y a trouvé que le vide ! Dans la boîte, il y avait que tchi ! Le dramaturge s'était fait avoir ! Il dit qu'il était « drôlement furax » et qu'il l'a signalé à la DGCCRF mais « tu parles si ça a donné quelque chose ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Vestiges

 

Dans nos conversations, subsistent de nombreuses références au limes rhénan (palissades, barbares menaçants, Bratwürste mit Kartoffelsalat, etc.). Mais cela ne change rien à l'affection que nous nous portons mutuellement. Et encore heureux, il ne manquerait plus que ça !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Un spécialiste des collisions

 

Sur le permis de conduire du nihilique, sous la mention « Signature du préfet », on peut, en y regardant d'un peu près, déchiffrer le nom « Jean Boutitout ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Anamnèse

 

Le passé est une illusion. Il n'y a pas plus de passé que de beurre au prose. Nous inventons tout au fur et à mesure. La terre est creuse et nous vivons à l'intérieur.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

jeudi 19 octobre 2023

Insuffisance de la chose

 

Fin mars 1916, l'écrivain portugais Mário de Sá-Carneiro envoie une lettre à Fernando Pessoa pour lui annoncer qu'il va bientôt se suicider. Quelques jours après, il « fait la chose » avec une « jeune Parisienne » (il semble que ce soit la seule fois de sa vie où il ait « fait la chose »). Le 26 avril, dans la chambre d'un hôtel du 9e arrondissement de Paris, il revêt son smoking, avale de la strychnine et attend la mort. « La chose » n'avait pas suffi à raviver son vouloir-vivre schopenhauerien.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Empiffrez-vous

 

Quand on pense à la masse énorme de bêtises qu'on a dû ingurgiter depuis sa naissance... Les espaces de Banach, les enceintes adiabatiques, les poëmes du gars Rimbaud, la philosophie d'Alain Badiou, les « joints spi » et tout le reste... Et tout ça pour quoi ? Tout ça pour en arriver à être un « vieux jeton » ! Quand on y pense, on a envie de se pendre. Ce n'est pas humain, cette affaire.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Corde à sauter

 

Marc Aurèle dit que « la perfection du caractère consiste à passer chaque journée comme si c'était la dernière, à éviter l'agitation, la torpeur et l'hypocrisie. » À première vue, c'est un programme qui paraît alléchant, mais éviter la torpeur, il en a de bonnes ! Pourquoi pas faire de la corde à sauter, tant qu'il y est ? Ou encore mieux, s'étrangler avec une corde à sauter ?
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Un philosophe pétillant

 

Malgré ses concepts parfois un peu fumeux — dont celui de « mathème » repris de Lacan et censé capter « l'impasse du réel » —, Alain Badiou apparaît comme un philosophe non seulement minéral et naturel, mais encore pétillant. Il contient calcium et bicarbonates, est idéal pour les repas, et permet à chacun de s'hydrater à tout moment de la journée. Selon lui — c'est le troisième énoncé du système badiousien —, l'événement échappe à l'être. Il est imprévisible. Rien ne permet d'en prévoir la survenue  et ceci facilite la digestion du sujet pensant.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

mercredi 18 octobre 2023

Systématique badiousienne

 

« Qui aurait cru que la vie, ce serait cela ? » demande Pessoa. « Peut-être Alain Badiou, lui répond le nihilique. Car il est drôlement ficelle, pour un philosophe. Il a conçu un système philosophique complet couvrant tant la politique que l'éthique, l'esthétique, la métaphysique et l'ontologie. Alors, hein, ce ne serait pas étonnant. »
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

À vérifier

 

Est-il vrai, comme le disent Schopenhauer et Folantin, que seul le pire arrive ? Ce serait une chose à vérifier, si on avait le temps et les pépettes.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Fatalisme des morts

 

Les morts ne voient plus. Mais ils paraissent s'en moquer complètement. Ils ne consultent même pas Poulard (l'oculiste). Les tableaux de peinture et le spectacle du monde ont perdu pour eux tout intérêt.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Bouché à l'émeri

 

Dans la pièce de Shakespeare, les sorcières mettent en garde Macbeth contre Macduff — ce dernier est le « thane de Fife », quoi que cela puisse vouloir dire — mais Macbeth est trop con pour comprendre de quoi il retourne. Il est bouché à l'émeri, le gusse !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

mardi 17 octobre 2023

Interférence

 

À cause du personnage de Banquo, il est difficile de lire Macbeth sans penser à Lucien Jeunesse et au Jeu des mille francs.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Beauté du non-agir

 

Si, pour une raison ou pour une autre, vous ne désirez pas jouer de jazz à la guitare, n'en jouez pas. C'est aussi simple que cela. L'univers, sûrement, ne s'en portera que mieux.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Test infaillible

 

« Gros poisson du genre gade, atteignant jusqu'à 1 m 50, la morue est très vorace. Elle vit dans les mers arctiques, surtout entre Terre-Neuve et l'Islande, où l'on va la pêcher en été, dès le mois de mai. Sa chair fraîche constitue le cabillaud ; salée, c'est la morue verte ; sèche, c'est la merluche, et l'on tire de son foie une huile employée comme reconstituant. » — Pour pénétrer quelqu'un, pour le connaître vraiment, il suffit de voir comment il réagit à cet aveu de Luc Pulflop. S'il ne comprend pas tout de suite, inutile de continuer : c'est un pot de pisse doublé d'un imbécile. Peut-être même — on frémit rien qu'à en formuler l'hypothèse — un lecteur de René Char.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Comment réussir quand on est guez et calvitié

 

Le nihilique en est persuadé : la renommée mondiale lui apporterait un confort de vie supérieur (en termes de personnes du sexe notamment). Très bien, mais comment acquérir cette renommée quand on n'a aucun talent et qu'on est partiellement calvitié ? Il a beau réfléchir, il ne voit pas. Non, vraiment, il n'a rien de remarquable, si ce n'est peut-être la taille de son armoire à pharmacie qui pourrait, sans trop d'exagération, être qualifiée de « gouldienne ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

lundi 16 octobre 2023

Suicide vs. ville la nuit

 

L'homicide de soi-même est presque aussi beau qu'une ville la nuit — presque, mais pas tout à fait car il y manque les guirlandes de lumière.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Gros dégoûtant

 

Il y a chez le monstre bipède un goût de l'excrémentitiel et une volupté du sale. Ainsi de l'historien Michelet.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Angulosité du réel perçu

 

Dans la réalité empirique, presque tout est rigide et anguleux. Il faut faire attention de ne pas se cogner si on ne veut pas attraper des hématomes (de Savoie ou autre). Quant à s'asseoir, il ne faut même pas y songer, ça pique trop boufigue.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Désespérante robustesse de la raison pure

 

En détournant le sens des mots — et notamment de ceux reginglette et zingibéracé —, le nihilique voulait mettre à bas la muraille de la raison pure, mais c'est à peine s'il a disjoint quelques blocs. Juste assez pour créer quelque fente, une cassure ça et là — « dont profitent le fraisier pendant et le dur pissenlit », comme dirait l'autre.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

dimanche 15 octobre 2023

Frage nach dem Ding

 

Martin Heidegger se posait la question « Qu'est-ce qu'une chose ? » Le voyant se casser la tête, Hannah Arendt fut assez charitable pour lui dire qu'il s'agissait tout simplement d'un objet.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Le raté se parfume à la dynamite

 

Quand on a raté sa vie, on essaie de se convaincre que les autres aussi ont raté la leur ; que sa vie, on ne peut que la rater. Mais au fond de soi-même on sait que ce n'est pas vrai, on sait qu'il y a des gens dont la vie fut en tout point parfaite, par exemple l'animateur de télévision Michel Drucker (on pourrait citer aussi le comédien Roger Hanin).
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Salut par le piccolo

 

Si Fernando Pessoa, au lieu de broyer du noir et d'être intranquille, avait appris à jouer du piccolo, il aurait pu agrémenter sa morne existence de quelques soli de piccolo. Ça l'aurait peut-être aidé à voir la vie en beau ? C'est joli, le son du piccolo.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Les gentils et les méchants

 

Le starets Zosime nous fait caguer. Quant à cette chochotte d'Aliocha, n'en parlons pas. En littérature, ce que nous voulons, c'est des méchants. Des méchants ! Des méchants, sinon nous étouffons !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

samedi 14 octobre 2023

Un gautiériste

 

« Alors ? T'es mallarméen, il paraît ?
— Non, je suis gautiériste. Depuis que j'ai lu le Capitaine Fracasse, je ne jure plus que par Gautier. Je trouve que l’écriture gautiériste, tel un mécanisme en marche vers l’épiphanie poétique, tend à rendre l’art immanent à elle-même (à l'écriture gautiériste, c'est-à-dire). Jusqu’à l’effacement des sutures, mon vieux ! Jusqu’à ce que soient à la fois dépassés et effacés les artifices et instruments qui servaient jusqu’alors cette immixtion, jusqu’au point où “la sphère de la littérature renferme la sphère de l’art.”
— Bon diousse.
— Nous nous interrogerons ici sur le rôle de cette nostalgie picturale dans l’écriture : l’art de l’écrivain ne doit-il pas reconnaître une forte dépendance à cette nostalgie ?
— Ah, je ne sais pas, gars. J'avoue que je n'y ai jamais réfléchi. Bon, il faut que j'y aille. Alors ciao, hein ! Arrivederci !
— Ouais, aux fines herbes. »
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Monsieur Teste et le réel

 

En juin 1925, à Alger, Paul Valéry reçut un coup de pied de cheval. Le « héros intellectuel national » en conçut un vif dépit et en éprouva une cuisante douleur dans les parties sacrées. D'après la princesse de Polignac, il ne décolérait pas. « Me faire ça à moi, qui ai consacré la majeure partie de mon existence à la vie de l'esprit ! »
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Système avoir les foies

 

Selon Lucrèce, la peur de la mort gâche la vie. Sa théorie est qu'on n'arrive pas à profiter du moment présent — le fameux « carpe diem » — tellement on balise à l'idée de clamecer. Mais selon d'autres penseurs — dont Férillet Robert —, la vie fait déjà si peur qu'elle suffit à se gâcher elle-même.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Un affreux ratage

 

Ainsi il y eut un soir, et il y eut un matin : ce fut le sixième jour. Dieu vit tout ce qu'il avait fait et voici, cela était très guez.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)