mercredi 8 novembre 2023

Sur les cultivateurs de paradoxe

 

Les ceusses qui cultivent le paradoxe, du genre Oscar Wilde, c'est peu dire qu'ils sont fatigants. Si nous avions un conseil à leur donner, ce serait de se carrer leurs paradoxes dans le fiak. Ça, ce serait paradoxal.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Presque comme Leopardi

 

Héritier de Leopardi, le nihilique s'est enfermé dans la bibliothèque familiale (au figuré) et en est ressorti dix ans plus tard malingre, déprimé et atteint de spondylarthrite ankylosante (au figuré). Il est arrivé trop tard pour que sa méditation métaphysique et lyrique sur le tragique de l'existence fasse de lui un précurseur de Schopenhauer, de Nietzsche, de Freud et de Cioran, mais à quelques années près c'était bon.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Refoulement nietzschéen

 

Dans sa philosophie et dans sa vie, Schopenhauer accordait une grande importance à la pitié, tandis que Nietzsche trouvait ce sentiment trop « gnangnan ». Mais en réalité, le « penseur paradoxal » faisait « jore ». Il jouait les durs. Telle une pompe à révérence parler merde mal réglée, il « refoulait ». Car en 1889, à Turin, avec le bourrineau, c'est bien un accès de pitié qui provoqua son effondrement, non ? Nous ne sommes quand même pas fous !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Les blagues de l'oncle Arthur

 

L'éditeur de Schopenhauer, Friedrich Arnold Brockhaus, raconte dans ses mémoires que l'inventeur du pessimisme, loin d'être un bonnet de nuit, avait un naturel facétieux. Il aimait demander aux gens qu'il rencontrait : « Herr und Frau Rien-de-bon-de-cette-affaire haben einen Sohn. Wie heißt er ? » Et la réponse attendue était évidemment Jonathan.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

mardi 7 novembre 2023

Mâchoire new-yorkaise

 

Faire l'intéressant, c'est toute la vie du monstre bipède. Il croit que ça va lui permettre de « tomber les gonzesses ». Et le pis, c'est que ça marche. Ça et le prognathisme.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Une situation malaisante

 

À son propre dire, le poëte suisse Francis Giauque était prisonnier d'un atroce anneau de tristesse. Et non seulement ça, mais cet anneau flambait autour de sa chair crispée. Finalement, arrivé au bout de son rouleau, il se suicida.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

La vie, c'est à côté

 

D'après les prospectus, la vie ne devait être qu'amour, ris et jeux, mais nous, tout ce que nous avons trouvé, c'est incommunicabilité, solitude, ennui, morosité et dégoût. Comment cela se fait-il ? Se serait-on trompé d'adresse ? Ou s'est-on fait embobeliner ?
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Au secours

 

L'être est une catastrophe. Aussi ne doit-on pas s'étonner si de chaque créature monte au ciel ce même cri : « Au secours ! » — Entre parenthèses, la créature la plus éplorée n'est pas l'homme, comme on pourrait s'y attendre, mais le lama sabachthani de la Cordillère des Andes.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

lundi 6 novembre 2023

Assez de mots ! Des croquettes !

 

Le chat n'est pas un animal à problèmes, contrairement à l'humain. Il mange ses croquettes Canaillou, il dort, et il se fiche de la mort qui vient, qu'elle ait ou non les yeux de la « gonzesse à Pavese ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Adieu, Bourboule aimée !

 

Si l'on pouvait, par un coup de baguette magique, supprimer l'instinct dit sexuel, on éliminerait du même coup les neuf dixièmes des maux qui accablent le genre humain. Il ne resterait plus que les panaris et le poëte René Char. Et « l'amour » en prendrait un drôle de coup.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Police partout, amour nulle part

 

C'est plus fort que lui, l'être humain veut être aimé. Il sait pourtant que c'est impossible, qu'il n'y a pas plus d'amour que de beurre au prose, qu'il n'y a que bluff, égoïsme et vilenie, mais non, c'est plus fort que lui. Alors évidemment, il souffre. Avec tout ça, il ne faut pas s'étonner si la condition humaine n'est pas très prisée.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Monsieur Boum

 

Le philosophe Wittgenstein pensait que si on écrivait un livre d'éthique qui fût véritablement un livre d'éthique, il ferait exploser tous les autres livres. Et vraiment, ce serait un truc à essayer, rien que pour voir la tronche des Albert Cohen, des Marguerite Urcelar et autres Christian Bobin quand leurs livres se mettraient à faire « boum ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

dimanche 5 novembre 2023

Noms

 

Une chose horripilante, chez les écrivains, c'est cette liberté qu'ils se donnent d'inventer des noms de personnages. Comme si le réel n'était pas déjà assez suffocant. Julien Sorel ! Mathilde de la Mole ! Et pourquoi pas Krassimir Petrov, tant qu'on y est ?
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Au poëte Pablo Neruda

 

Alors comme ça, t'avoues que t'as vécu, hein ? Pauvre con ! Tuouaouar ! Ça va pas se passer comme ça !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Frimer paie

 

Pendant son agonie, devenu fou, Swift répétait : « Je suis celui que je suis » — et tout le monde rigolait. Par contre, quand plus tard ce sale petit frimeur de Rimbaud a prétendu qu'il était un autre, tout le monde s'est extasié. Qui niera après cela que l'être humain est un pot de pisse ?
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Problème de roubinets

 

Comme le plombier de Pierre Perret, le nihilique fait son turbin dans les salles de bain. Il faut dire que le Rien y est très présent : les « roubinets », tout ça... Capable de guérir tous les maux au moyen de son petit chalumeau, il s'est fait une réputation de thaumaturge.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

samedi 4 novembre 2023

Voussoiement

 

Le nihilique tutoie la mort mais voussoie le Rien. L'une est presque devenue un animal familier, mais l'autre l'impressionne encore un peu.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Divergence du gradient

 

Pour vous faire oublier les horreurs de l'existence et la vilenie du monstre bipède, il n'y a rien de tel que la science mathématique. On calcule le laplacien d'un champ vectoriel quelconque (le premier qui vous tombe sous la main), et aussitôt on se sent mieux. Hélas, le soulagement n'est que transitoire, et bientôt reviennent les idées noires, comme un essaim de mouches dites « à merde » : mortalité de l'être mortel, temporalité du temps, haeccéité...
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Eye of the beholder

 

Dans le roman de Cervantes, Don Quichotte est tellement miraud qu'il croit que Dulcinée est un prix de beauté alors qu'en fait c'est un trumeau, autrement dit une grosse mocheté. Mais n'est-ce pas le cas de tout homme ? Qui pense et qui sent ? Être homme, n'est-ce pas s'éprendre de grosses mochetés ? Oh, bon Dieu !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Début de l'univers

 

Si ça se trouve, nous sommes venus à l'existence il y a cinq minutes, avec des trous à nos chaussettes et les cheveux trop longs. C'est une idée de Bertrand Russell, qui soutient que l'univers pourrait avoir été créé ex nihilo jeudi dernier. Si ce qu'il dit est vrai, si l'espace-temps peut être arbitrairement tronqué, il va nous falloir prendre rendez-vous chez le coiffeur et faire raccommoder nos chaussettes ou en acheter de nouvelles. Encore des emmerdes, autrement dit.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

vendredi 3 novembre 2023

Poteaux d'angle

 

Même quand on est seul — seul comme une pesse sous la pluie, seul comme Franz Kafka —, on a quelques poteaux : Oblomov, Bartleby, Johan Nilsen Nagel...
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Memento mori

 

À partir d'un certain âge, la femme est tellement décatie qu'elle n'évoque plus une rose, un blanc flocon de neige ou du pain d'épice mais — c'est terrible à dire — la mort. Il faut alors fuir sa présence si l'on ne veut pas tomber dans une grave dépression.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Propos d'ivrogne

 

Est-il vrai que l'univers réel — et non l'univers abstrait, générique — forme un tout comportant des horloges, des bicyclettes et des écrivains latino-américains ? C'est ce qu'a un jour affirmé Ernesto Sabato, mais sans doute avait-il « tâté de la chopine ». Nous autres qui sommes sobres savons qu'il n'y a rien.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Cinquante nuances de connerie

 

Jeunes ou vieux, ayant séjourné dans une cave pendant des années ou dans une étable à vache, à peine sortis de l'imprimerie de Saint-Sauveur-le-Vicomte où ils travaillent comme protes, peu importe : les humains sont cons. Mais cons !...
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

jeudi 2 novembre 2023

Où es-tu, Li Po ?

 

Chaque fois que Georges Perec lui rendait visite, le poëte Li Po se cachait dans un placard, sous un lit ou derrière un paravent. Il n'aimait pas les exercices de style et était en particulier allergique aux palindromes. Et Perec chaque fois se demandait : « Il est où, ce con de Li Po ? »
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Endroits peuplés

 

En arrivant dans un endroit peuplé, on se dit « Bon diousse de bon diousse ! Encore un endroit peuplé ! » — et on prend ses jambes à son cou.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

De l'existence des choses

 

Berkeley : On peut démontrer que trois plus quatre égale sept, mais il est impossible — je dis bien impossible — de démontrer l'existence de cette table.
Hume : Quelle table ?
Berkeley : T'es bigleux ? Celle-ci, là. 
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Deux satyres

 

Quand on lit du Hugo — Les Misérables, Les Contemplations, n'importe —, on ressent une certaine gêne à lire des phrases agencées par un satyre. Et pareil avec Flaubert. La salacité notoire de ces auteurs donne à leur œuvre quelque chose de répugnant. Surtout, cette salacité nous fait voir en eux des êtres peussédiques et même « fucking peussédiques », comme le sont les maniaques de tout poil.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

mercredi 1 novembre 2023

Barrière de la langue

 

Décider de traduire l'Edda prosaïque de Snorri Sturluson — puis finalement laisser tomber car rien ne sert à rien (all is of no avail) et que de toute façon on ne comprend que dalle au vieil islandais.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)