lundi 16 juillet 2018

Shakespeare et son critique Glapusz


Tout lecteur attentif de Shakespeare n'a aucun mal à déceler chez cet auteur une forme de scepticisme radical et final qui ne reconnaît pas de support, de plancher ni même de tasseau à l'univers, ainsi qu'une dissolution totale du Moi. Contrairement aux personnages de Marlowe pourvus d'une éléphantesque « volonté de puissance », les créatures shakespeariennes, crispées sur leur soliloque comme le suicidé philosophique sur son flacon de taupicide, sont désespérément engluées dans un conflit intime avec leur « odieux Moi ». Et quand Hamlet dit « there is nothing either good or bad, but thinking makes it so », ne croirait-on pas entendre Sextus Empiricus disserter sur le « ou mâllon » (Esquisses pyrrhoniennes, I, 188) qui signifie dans le vocabulaire du scepticisme pas plus ceci que cela, ou pourquoi ceci plutôt que cela ? 

Mais ici, attention : la méthode appelée isosthénie, qui consiste à opposer à chaque argument un argument contraire de force équivalente, peut conduire le sceptique, s'il n'y prend garde, dans la situation du célèbre âne de Buridan, ou même — horresco referens — à expérimenter le non moins célèbre fauteuil rotatoire des aliénistes — et l'homme du nihil, auquel son pyrrhonisme a souvent coûté cher, est bien placé pour le savoir.

(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)

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