lundi 16 juillet 2018

Hölderlin et le langage poétique


Le dépassement de la métaphysique auquel s'est attaché Heidegger depuis son célèbre « tournant » naît de sa rencontre, au début des années trente, avec la poésie de Hölderlin. Celle-ci va permettre à l'ontologue d'effectuer le « pas en arrière » (Schritt zurück) hors de la métaphysique pour tenter de renouer avec une certaine forme de normalité.

En lisant et relisant les poèmes de Hölderlin le soir au coin du feu face à
sa « mégère au faciès d'hippopotame » (Spitzmaus mit Flusspferdfazies), il dégage trois thèmes tournant autour de la signification du langage poétique, à partir desquels il espère dévoiler l'être de la poésie.
 

Primo, la langue, parce qu'elle projette l'homme « au milieu de l'étant tout entier » est, parmi les biens de l'homme, celui qui est le plus périlleux (der Güter Gefährlichtes) — « à l'exception peut-être du taupicide », ajoute-t-il énigmatiquement dans une note de bas de page ; deuzio, la langue, à qui est interdit le domaine des dieux et donc l'accès à sa propre origine, peut sombrer dans le bavardage quotidien — « Martin, tu reprendras des asperges ? » — et encourir un grand péril ; tertio, la langue a quelque chose à voir avec les positions fondamentales de l'homme vis-à-vis de « l'étant tout entier », autrement dit la langue détermine l'être de l'homme (c'est en particulier, note Heidegger, le cas de mots tels que zingibéracé et forcipressure).

En accordant une place éminente au langage, Heidegger entend relever celui-ci de son usage purement instrumental pour en faire « l'ajointement fondamental du Dasein historique ».

Mais la vogue du Dasein est déjà passée, les Allemands ont d'autres soucis, et l'ouvrage de Heidegger sur la poésie de Hölderlin passe pratiquement inaperçu.


(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)

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