samedi 4 novembre 2023

Divergence du gradient

 

Pour vous faire oublier les horreurs de l'existence et la vilenie du monstre bipède, il n'y a rien de tel que la science mathématique. On calcule le laplacien d'un champ vectoriel quelconque (le premier qui vous tombe sous la main), et aussitôt on se sent mieux. Hélas, le soulagement n'est que transitoire, et bientôt reviennent les idées noires, comme un essaim de mouches dites « à merde » : mortalité de l'être mortel, temporalité du temps, haeccéité...
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Eye of the beholder

 

Dans le roman de Cervantes, Don Quichotte est tellement miraud qu'il croit que Dulcinée est un prix de beauté alors qu'en fait c'est un trumeau, autrement dit une grosse mocheté. Mais n'est-ce pas le cas de tout homme ? Qui pense et qui sent ? Être homme, n'est-ce pas s'éprendre de grosses mochetés ? Oh, bon Dieu !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Début de l'univers

 

Si ça se trouve, nous sommes venus à l'existence il y a cinq minutes, avec des trous à nos chaussettes et les cheveux trop longs. C'est une idée de Bertrand Russell, qui soutient que l'univers pourrait avoir été créé ex nihilo jeudi dernier. Si ce qu'il dit est vrai, si l'espace-temps peut être arbitrairement tronqué, il va nous falloir prendre rendez-vous chez le coiffeur et faire raccommoder nos chaussettes ou en acheter de nouvelles. Encore des emmerdes, autrement dit.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

vendredi 3 novembre 2023

Poteaux d'angle

 

Même quand on est seul — seul comme une pesse sous la pluie, seul comme Franz Kafka —, on a quelques poteaux : Oblomov, Bartleby, Johan Nilsen Nagel...
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Memento mori

 

À partir d'un certain âge, la femme est tellement décatie qu'elle n'évoque plus une rose, un blanc flocon de neige ou du pain d'épice mais — c'est terrible à dire — la mort. Il faut alors fuir sa présence si l'on ne veut pas tomber dans une grave dépression.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Propos d'ivrogne

 

Est-il vrai que l'univers réel — et non l'univers abstrait, générique — forme un tout comportant des horloges, des bicyclettes et des écrivains latino-américains ? C'est ce qu'a un jour affirmé Ernesto Sabato, mais sans doute avait-il « tâté de la chopine ». Nous autres qui sommes sobres savons qu'il n'y a rien.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Cinquante nuances de connerie

 

Jeunes ou vieux, ayant séjourné dans une cave pendant des années ou dans une étable à vache, à peine sortis de l'imprimerie de Saint-Sauveur-le-Vicomte où ils travaillent comme protes, peu importe : les humains sont cons. Mais cons !...
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

jeudi 2 novembre 2023

Où es-tu, Li Po ?

 

Chaque fois que Georges Perec lui rendait visite, le poëte Li Po se cachait dans un placard, sous un lit ou derrière un paravent. Il n'aimait pas les exercices de style et était en particulier allergique aux palindromes. Et Perec chaque fois se demandait : « Il est où, ce con de Li Po ? »
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Endroits peuplés

 

En arrivant dans un endroit peuplé, on se dit « Bon diousse de bon diousse ! Encore un endroit peuplé ! » — et on prend ses jambes à son cou.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

De l'existence des choses

 

Berkeley : On peut démontrer que trois plus quatre égale sept, mais il est impossible — je dis bien impossible — de démontrer l'existence de cette table.
Hume : Quelle table ?
Berkeley : T'es bigleux ? Celle-ci, là. 
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Deux satyres

 

Quand on lit du Hugo — Les Misérables, Les Contemplations, n'importe —, on ressent une certaine gêne à lire des phrases agencées par un satyre. Et pareil avec Flaubert. La salacité notoire de ces auteurs donne à leur œuvre quelque chose de répugnant. Surtout, cette salacité nous fait voir en eux des êtres peussédiques et même « fucking peussédiques », comme le sont les maniaques de tout poil.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

mercredi 1 novembre 2023

Barrière de la langue

 

Décider de traduire l'Edda prosaïque de Snorri Sturluson — puis finalement laisser tomber car rien ne sert à rien (all is of no avail) et que de toute façon on ne comprend que dalle au vieil islandais.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Prophylaxie mentale

 

Pour éviter les mauvaises influences sur le « conscient intérieur » du sujet pensant, une idée serait, dans les bibliothèques, de remplacer les livres par des os de brebis.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Limites de la bonne composition

 

Celui qui a compris qu'il allait mourir, il lui est difficile, même en étant de bonne composition, de s'intéresser aux cubes du Corbusier ou aux incohérences du dadaïsme. La bonne composition, comme toute chose ici-bas, a ses limites.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Plic ploc

 

Le nihilique se fait tellement chier dans cette existence de merde que pour passer le temps, il écoute le bruit doux de la pluie. Par terre et sur les toits. Au début ça va, c'est agréable, mais ensuite il y a comme une langueur qui pénètre son cœur et c'est un peu « malaisant ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

mardi 31 octobre 2023

Non-connaissance de Raoul

 

Avant de faire les couillons et d'être expulsés du paradis terrestre, Adam et Ève ne connaissaient pas le péché, ils ne connaissaient pas la honte d'être « à loilpé » et — last but not least — ils ne connaissaient pas Raoul (mais il faut dire que le film n'est sorti qu'en 1963).
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Bonne blague

 

On ne fait pas plus drôle que le morceau de phrase « m'apprend un psychologue ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Traumatisme crânien

 

C'est après s'être cogné la tête contre un volet métallique que Jorge Luis Borges entreprit d'écrire des contes fantastiques. Plus bizarre encore, il se mit à tourner autour de soi-même telle une toupie démoniaque, au grand désespoir de Virginia Ocampo, de sa sœur Silvina et du peintre Xul Solar. D'après son ami Bioy Casares, « une balafre rancunière lui sillonnait le cassis ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Célébrité et homicide de soi-même

 

Sadegh Hedayat n'a pas fait que se suicider et chercher à se suicider, il a aussi écrit plusieurs livres dont La Chouette aveugle qui raconte les hallucinations d'un opiomane poursuivi par des images d'une vie antérieure. S'il n'avait fait que se suicider, on ne parlerait plus de lui. Idem pour le peintre Van Gogh, sauvé — si l'on peut dire — par ses « tournesols » et ses « cyprès ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

lundi 30 octobre 2023

Le nihilique chante Barbara

 

« Oh, bien sûr, ce n'est pas la Seine. Ce n'est pas non plus le bois de Vincennes. Mais c'est bien joli tout de même, hein — le Rien. Pas vrai, les pots de pisse ? Allez, aux fines herbes ! Arrivée d'air chaud ! »
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Écrire

 

Kafka : De quoi je pourrais parler, ce coup-ci ?
Felice : Je sais pas, moi... Tu pourrais peut-être faire un roman teinté d'une atmosphère cauchemardesque, où la bureaucratie aurait une prise de ouf sur l'individu ? Qu'est-ce t'en penses ?
Kafka : Ouais, ça a l'air pas mal, comme idée.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

I can't get no

 

À la déclaration « J'aime beaucoup ce que vous faites », la seule réponse possible est « Vous n'êtes pas difficile ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Naïveté du vieux dégueulasse

 

Malgré ses dehors bourrus et son côté cynique, l'écrivain Charles Bukowski était terriblement naïf : il croyait à la « poésie » ! Et plus généralement au fait de « s'exprimer » ! Il « tapait à la machine » !
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

dimanche 29 octobre 2023

Pots de pisse

 

Les gens... Chacun d'entre eux possède un Moi, à ce qu'il paraît. Et le moins qu'on puisse dire est que ça ne les rend pas particulièrement sympathiques. Ils ne le réalisent peut-être pas, mais leur Moi fait d'eux de « sacrés pots de pisse ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Piège à éviter

 

Une règle d'or est de ne jamais méditer sur les risques de malentendus entre les êtres quand on traîne sur une plage du Pays basque. C'est un coup à perdre foi en le langage et à faire une crise de « traczir ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Joliesse de la mort

 

La mort (le fait d'être mort), ça ne ressemble ni à la Louisiane ni à l'Italie ; il n'y a pas de linge étendu sur la terrasse, mais c'est joli quand même. On a fini de souffrir.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Die Welt zerstören

 

Détruire le monde n'a rien d'original. Cela a déjà été fait maintes fois, mais « au sens figuré » ; par des « artistes ». Autant dire que le vulgum pecus n'a pas vu la différence. Le nihilique, lui, c'est au sens littéral qu'il veut « faire sauter tout le fourbi ». Il va commencer avec le vocable strapontin, et si ça ne marche pas, il utilisera de la bonne vieille dynamite du papa Nobel.
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

samedi 28 octobre 2023

Pénibilité post-mortem

 

Un être humain n'est « bon » que quand il est mort (tel l'Indien du général Sheridan). Et encore, il y en a qui trouvent le moyen d'être pénibles même après leur mort — par exemple le philosophe Gilles Deleuze avec ses « rhizomes » et ses « plis ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)

Quand la beauté est mal lunée

 

Un soir, alors qu'il était un peu pompette, Arthur Rimbaud a assis la beauté sur ses genoux, mais — terrible déception pour le poëte — elle n'a pas voulu « faire risette à papa négro ».
 
(Marcel Rocabois, Le Néant et l'être)