lundi 10 décembre 2018

Interlude

Jeune fille lisant Georges Sim et le Dasein de Maurice Cucq

Brouet conceptuel


Parfois un philosophe, soupesé, paraît anormalement léger. On sait alors qu'il est creux. Si on le secoue près de l'oreille, il arrive, mais très rarement, qu'il fasse entendre un bruit de liquide battant les parois. À coup sûr, une eau l'habite, où se trouvent en suspension concepts et syllogismes. Le désir naît d'apercevoir ce brouet conceptuel. Mais il faudrait percer l'écorce rugueuse de l'ami de la sagesse, par exemple à l'aide d'une chignole. Comme on n'en a pas et qu'on est un peu lâche, on préfère se recoucher — et gémir.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Nœud gordien


Il faut se trancher la gorge : tout est là.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Brodequins


19 août. — Dans le supplice des brodequins, les jambes étaient rapprochées à l'aide de cordes, après avoir été assujetties chacune entre deux planchettes de chêne ; ensuite, le bourreau introduisait à coups de maillet, entre les ais du milieu, des coins de fer ou de bois dont le nombre dépassait huit dans certains cas. Les jambes devenaient informes et les os brisés laissaient échapper la moëlle.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune fille lisant le Monocle du colonel Sponsz de Hermann von Trobben

Réel fantôme


On ne peut nier que la « réalité empirique », vue de face, donne une impression rassurante de solidité. Mais le moindre changement d'angle suffit pour que renaisse sa versatile inconsistance. On peut alors distinguer à l'intérieur de sa transparence le spectre blafard du pachynihil, qui la hante et en révèle la précarité. Si l'on se place suffisamment de biais, le « réel » disparaît même complètement, dissipé comme brouillard qui fond.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Haggis


Par sa conception et sa recette, le haggis (panse de brebis farcie) est très proche de la grande famille culinaire des saucisses. La première trace écrite d'un plat proche du haggis se trouve dans l'Odyssée d'Homère : « Tel un homme qui sur un feu ardent tourne en tout sens un ventre bien rempli de graisse et de sang, qu'il a hâte de voir bien grillé, Ulysse se tournait... »

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Page de journal


12 août. — La pensée est une maladie bien simple en apparence et cependant bien rebelle aux moyens curatifs existants. En ceci, elle se rapproche de l'inflammation développée autour de l'ongle du gros orteil.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

dimanche 9 décembre 2018

Interlude

Jeune femme lisant l'Apothéose du décervellement de Francis Muflier

Ordalie du nihil


L'idée du Rien se propage en rougeoyant dans les sinuosités de la pachyméninge, comme une étincelle à travers un cordon Bickford, jusqu'au moment où elle s'éteint — cas du « nihilique en peau de lapin » — ou déclenche un feu d'artifice — cas du suicidé philosophique.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Maringote


La maringote est une petite voiture garnie de barreaux sur les côtés, observe Max Brod.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Misère de la philosophie


Comme les miroirs faits d'obsidienne, l'idéalisme transcendantal reflète l'ombre plutôt que l'image des êtres et des choses.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune fille lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Vanitas vanitatum


Broyé, calciné, le suicidé philosophique achève sa matérielle existence dans une petite jatte appelée urne. Il est poudre désormais, scorie et pluie de cendres, emblème sobre qui montre le chemin de toutes choses et de toutes formes, image qui tarit l'ardeur de vivre et de « créer des concepts ».

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Puissance du vocable


Usant comme d'un gourdin du coruscant vocable reginglette, saccager les taillis palpébraux de la connaissance spéculative.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Eccentrique


18 août. — Au dire de Gragerfis, l'impératrice Catherine I re eut des manies fort singulières. Elle aimait les commotions violentes. Pendant le printemps et l'automne, elle se promenait toutes les nuits et buvait de moment en moment de fortes potions de vin de Hongrie.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

samedi 8 décembre 2018

Interlude

Jeune fille s'apprêtant à lire les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Tête de chien


Les nodules qui composent ce que les philosophes appellent la « réalité empirique » sont boulets gris et rugueux, franchement rébarbatifs. Il faut les rompre pour connaître les spectacles qu'il leur arrive de receler : rien, le plus souvent, qu'une morne matière peu translucide ; mais parfois des tracés capricieux ; des veines parallèles dont les méandres évoquent de façon frappante une tête de chien couché.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Zérumbet zététique


Volontiers zététique comme le zérumbet, cette plante herbacée voisine du gingembre, connue au Cambodge sous le nom de phteu, dont les inflorescences coniques poussent à partir des rhizomes souterrains.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Ode au silure


9 août. — Ô silure ! Poisson solitaire, lucifuge, qui, comme le nihilique, vis d'ordinaire dans les zones les plus profondes de ton habitat ! Aristote et Pline ont parlé de toi. Tu te nourris d'autres espèces de poissons, de reptiles, de frai, etc. Comme tes nageoires sont courtes et ton corps pesant, tu ne peux pas t'emparer de ta proie à la nage. Tu es constamment, surtout pendant le jour, dans des trous, sous des pierres, des racines d'arbres, etc ; ton corps, de couleur obscure et toujours couvert de limon, n'épouvante pas les autres poissons ; tes longs barbillons, avec lesquels tu joues, sont pris par eux pour des vers ; ils s'en approchent donc sans crainte, et sont entrés dans ton énorme bouche avant qu'ils se soient doutés du danger. Tu vis aussi de frai que tu vas chercher la nuit sur les bords des rivières, et des cadavres de quadrupèdes ou d'oiseaux que le hasard amène auprès de toi. On cite même des enfants trouvés dans ton estomac. Vieux silure, tu es le symbole de l'identité : toujours égal à toi-même. Je te salue, vieux silure !

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Interlude

Jeune femme cherchant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Autre désespéré


La lourde masse déchiquetée d'un autre suicidé philosophique, retiré celui-là du lac Supérieur, paraît s'enorgueillir de pouvoir montrer, malgré son épaisseur, l'effilé, l'émacié propre au nihilique et qu'on ne constate jamais sur les sectateurs du Grand Tout. Il fait savoir qu'il fut porté à une terrible incandescence par l'idée du Rien, puis laissé à refroidir interminablement au fond d'eaux calmes, où une lente chimie, sans en émousser les aspérités, le recouvrit d'une patine polychrome.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Bouturage de polype


Pour celui qu'insupportent les herbacées absurdes du réel, couper et bouturer des polypes ne sont pas de vaines distractions.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Chasse au morse


21 juillet. ― Je tente de dissoudre la mélancolie qui m'accable en lisant le Dictionnaire théorique et pratique de chasse et de pêche, de Delisle de Moncel. Un passage retient particulièrement mon attention, celui qui traite de la chasse au morse. Voici ce qu'en dit l'auteur : « On préfère la chasse des morses à leur pêche, parce qu'elle est bien moins dangereuse : on choisit le temps de la basse mer pour les aborder : on marche alors de front vers ces animaux, pour leur couper la retraite : quand on en a tué quelques-uns, on fait une barrière de leurs cadavres, et on laisse quelques gens à l'affut pour assommer ceux qui restent. Quand ces animaux sont blessés, ils deviennent furieux, frappent de côté et d'autre avec leurs dents, brisent les armes des chasseurs, et dans le désespoir où ils se trouvent réduits, mettent leur tête entre leurs pattes et se laissent ainsi rouler dans l'eau. Si le hasard ou le besoin en a rassemblé un grand nombre, ils se secourent les uns les autres, vont à la mer, entourent les chaloupes, et cherchent à les renverser. Le morse, avant la navigation hardie des Européens, ne craignoit aucun ennemi, il avoit réussi à dompter jusqu'à l'ours du Groënland, qui semble le dominateur et le tyran du Nord. »

― Rien n'y fait. La mélancolie y est, elle y est toujours, encore aggravée par l'image de ces morses qui mettent leur tête entre leurs pattes et se laissent rouler dans l'eau.


(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

vendredi 7 décembre 2018

Océanographie du Rien


« Le mérou est une foutaise », disait le commandant Cousteau, lequel avait terminé ses études de biologie marine en s'adonnant au billard à trois bandes et à la lecture de Schopenhauer et de Raymond Doppelchor.

(Edmond Chassagnol, Théorie du trop-plein)

Interlude

Sadiste lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Un désespéré


Pour attester les actions brutales, nous ferons choix des suicidés philosophiques, et d'abord de l'un d'eux, originaire de Nelson, au nord de la Nouvelle-Zélande. Tordu, désarticulé — l'apophyse odontoïde étant presque entièrement sortie de l'anneau —, il évoque une flamme comme on en voit effilochées par la brise du soir. Mais cette fois, une magie a saisi la flamme au moment de sa dispersion : la voici devenue solide et restée mince, image durable et véridique de la puissance du pachynihil.

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Plus de grinçant !


Chaque existence est un poëme où retentit l'atroce ironie du Grand Tout.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Laimargue


15 août. — Le laimargue du Groenland est l'un des plus gros requins carnivores de la planète avec le requin blanc, et l'un des plus gros poissons de l'Arctique. Bathybenthique, on le trouve le plus souvent entre 200 et 400 mètres de fond. Muni de dents très effilées, c'est un prédateur foudroyant qui chasse le calmar, différents mammifères marins comme le phoque et le marsouin commun, et toutes sortes de poissons osseux (saumons, harengs) et cartilagineux (autres requins, raies). C'est aussi un charognard. Selon Gragerfis, il n'hésiterait pas à dévorer des bélougas, des narvals, des phoques et des restes d'animaux dont le chien et le cheval, englobant dans sa voracité solipèdes et fissipèdes.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)