Si,
au lieu d'être une canaille fieffée, l'être humain s'exprimait en
radians, on pourrait lui ajouter ou lui enlever n'importe quel multiple
de deux pi, ça ne changerait rien à son cosinus ni à son sinus (donc
rien non plus à sa tangente). Ce serait le paradis ou pas loin.
L'acteur
Jacques Nicholson est excellent dans le film Vol au-dessus d'un nid de
coucou. L'action se passe dans la forêt lointaine. Du haut de son grand
chêne, l'infirmière Ratched distribue des petites pilules aux patients
d'un hôpital psychiatrique. Randall P. McMurphy, joué par Jacques
Nicholson, s'est fait interner en simulant la folie pour échapper à la
prison. Il propose aux autres « mabouls » d'aller jouer au basket. Tout
cela se terminera très mal. Le pauvre Randall sera transformé en « légume ».
L'écrivain
américain Jean-Louis Kérouac dit Jacques Kérouac fumait lui aussi de la « beuh » et du « shit ». Contrairement à Michaux, il ne le faisait pas pour
occuper progressivement son être mais pour se libérer des conventions
sociales étouffantes (selon lui) de son époque et donner un sens à son
existence — un sens qu'hélas il ne trouva jamais. Il tâtait aussi de
la chopine et mourut d'un ulcère gastro-duodénal, la « mort des
alcooliques ».
L'écrivain
Henri Michaux fumait de la « beuh » et du « shit », soi-disant pour « se
parcourir » et accomplir « l'occupation progressive » de son être. Manque
de chance, il se trouva pris dans un « mécanisme d'infinité ». Il avait « perdu sa demeure » ! Il ne retrouvait plus le « château de son être » ! Il
en conclut, peut-être trop hâtivement, que l'infini est l'ennemi de
l'homme.
La
biologie moléculaire, et singulièrement sa composante appelée biochimie
métabolique, nous fournit des raisons non pas de croire mais de penser,
humblement peut-être, à l’infinie complexité des processus à l'œuvre
dans une tête de chien couché. Il y a de quoi avoir le vertige.
Les
animaux, étant « pauvres en monde », sont insensibles au problème de
l'existence. Quant aux plantes, elles sont trop bornées pour
s'intéresser à la question. Mais pour les humains, exister est la source
d'angoisse par excellence ; c'est pis que tout : pis que pendre, pis
que bouffigue.
Le
réel, on va faire comme l'écrivain Mishima, on va lui donner un coup de
sabre, et si ça ne suffit pas, un coup de goupillon. Il nous fait suer.
Nous autres humains sommes littéralement bourrelés par les « phénomènes ».
Qui
a lu ou entendu une fois le vocable zingibéracé ne peut plus penser à
rien d'autre pendant le restant de ses jours. Ce vocable est un « zahir
borgésien ».
C'est
sur l'étang de Soustons, à deux heures de l'après-midi, que le négateur
universel Émile Cioran a échappé de justesse à la mort. Il ramait avec
insouciance quand il a été foudroyé par une réminiscence de vocabulaire
(all is of no avail). S'il avait été seul, il se serait jeté
instantanément à l'eau. Jamais il n'avait ressenti avec une telle
violence le besoin de mettre un terme à tout ça. C'est du moins ce qu'il
a déclaré aux gendarmes de la brigade de Soustons quand ils sont
arrivés sur les lieux.
De
l'avis général, Jacques Rigaut était un cas. Il était le « cas Rigaut ».
D'ailleurs, un jour, pris d'une fureur bachique, il berta Menchú (du
verbe berter qui signifie palper de façon indécente une figure indigène
guatémaltèque luttant pour les droits humains).
La
poésie de Du Fu alias Tou Fou est celle d'un homme plein de compassion
pour les êtres et les choses. Nul mieux que lui n'a chanté la souffrance
du presse-purée, obligé pour vivre à... non, c'est trop horrible...
écraser des tubercules.
Le
seul acte gratuit au sens gidien est la grosse commission. La petite a
de sordides relents utilitaires, mais la grosse, on la fait en général « pour l'amour de l'art ».
Quand
on a décidé de n'aimer rien, on n'aime pas non plus Walt Whitman — et
on déteste carrément les faux jetons qui font « jore » qu'ils aiment Walt
Whitman.
La
vie nous a mis dans un tel état de délabrement nerveux qu'un rien nous
fait entrer en transe. Nous ressemblons à ces guerriers lombards du VIe
siècle qui, au dire de l'historien Gaillard, « tremblaient au seul nom du
patrice Mummol ».
Le
philosophe Wittgenstein avait une peur panique des « grosses dondons »
depuis le jour où Bertrand Russell lui avait demandé d'admettre qu'il
n'y avait pas de rhinocéros dans la pièce, ce à quoi il s'était refusé.
On ne sait pourquoi, cette scène plus que pénible s'était gravée dans
son esprit sous la forme d'une « grosse dondon ».
Vers
280, Jamblique part à Rome pour y parfaire son éducation philosophique
auprès du péripatéticien Anatolius. Ce dernier lui dit que les valises
de cochon sont plus lourdes qu'il ne pensait et qu'il va lui falloir
deux mille francs de plus. Jamblique refuse d'abord de payer, mais
l'autre gueule tellement fort qu'il finit par céder. Jamblique tire de
cet épisode la conviction que les mathématiques sont l'instrument qui
permet à l'âme de donner son unité au divers et de rationaliser l'ordre
du sensible.
Penser
constamment à une chose particulière, il n'y a pas meilleur moyen de
perdre la raison. « Ne serait-il pas fou, celui qui se représenterait
continuellement une carte de Hongrie ? » demande le héros d'une nouvelle
de Borges. Il y a fort à parier que si. Comme le serait aussi celui qui
trouverait que tout, dans le fétide et rébarbatif réel, est relatif au
gingembre — est « zingibéracé ».
On
n'a pas inventé l'eau carminative ni la double pâte des sultanes, on
n'a pas un commis nommé Anselme Popinot, mais on est quand même un
failli (de l'existence).
C'est
grâce à Épicure et à son clinamen que nous sommes libres. Parce que
sinon... les atomes... on sait ce que c'est. Comme dit Lucrèce, « ils ne
cesseraient de tomber à travers le vide immense, comme des gouttes de
pluie. » Ne l'oublions jamais.
Chez
les humains, le dialogue se déroule d'une façon excessivement
stéréotypée. Cette forme très schématique n'est pas due à l'aridité du
génie d'Aulu-Gelle, mais simplement à la stupidité du monstre bipède.
Celui-ci est en effet connu pour être « bête à bouffer de la paille ».
Bergson
ne croyait pas à la phénoménologie, il trouvait que c'était une
philosophie « guez ». Quand il recevait chez lui Husserl, il lui tenait la
porte et lui disait : « Comme Leclerc entra aux Invalides, avec son
cortège d'exaltation dans le soleil d'Afrique, entre ici, Edmond
Husserl, avec ton terrible cortège de phénomènes. » Il faisait ça pour
déconner.
Paavo
Nurmi, Ville Ritola, Émile Zatopek, Abebe Bikila, ils sont tous morts.
C'est en pure perte qu'ils ont couru. Ils auraient mieux fait de ne pas
se fatiguer. Ils étaient sûrs de perdre, de toute façon. Pour battre la
mort... même en « travaillant le foncier »... hein...
Pour
parvenir à la connaissance, le néoplatonicien Jamblique distingue trois
démarches : l'intuition (épibolè), la raison discursive (dianoia), et
l'homicide de soi-même (il ne précise pas comment ça se dit en grec).
Au
XVIe siècle, dans le Bade-Wurtemberg, sévissait une secte d'illuminés
appelés ubiquistes ou ubiquitaires, dont le chef était un ancien
collaborateur de Luther du nom de Johannes Brenz. Ces ubiquitaires
soutenaient que « comme Lucien Rebatet et Pierre-Antoine Cousteau, comme
aussi le Rien selon Raymond Doppelchor, le corps du Christ est partout ».