« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
mardi 24 juillet 2018
Procédés infâmes
« Une réclusion sévère et le gilet de force ont arrêté le cours de ses projets suicides. » (Ph. Pinel, Traité de l'aliénation mentale, Paris, 1809, page 157)
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Immatérialisme
« Une femme, âgée de 48 ans, entra à l'hôpital de la Charité avec une intelligence tellement obtuse qu'on ne put tirer d'elle aucun renseignement sur les antécédents de sa maladie. Elle ne répondait aux questions qu'on lui adressait que d'une manière très vague ; à peine savait-elle où elle était, et elle ne se rappelait plus où elle habitait.
Mise en demeure de reconnaître une cerise, elle affirma que le fruit en question n'était qu'un ensemble de qualités perçues (mollesse, humidité, rougeur, acidité) ; que si nous supprimions ces qualités, nous ne pourrions plus rien dire de l'objet ; enfin qu'une cerise sans aucune caractéristique sensible serait du pur néant.
Tout ce que nous sûmes de ceux qui l'amenèrent, c'est qu'à une époque où elle avait encore son intelligence, elle avait eu à diverses reprises des accès de véritable folie, pour lesquels on l'avait admise deux fois à la Salpêtrière. Après avoir lu les Trois dialogues entre Hylas et Philonous de l'évêque Berkeley, elle était tombée dans une sorte d'idiotisme, et il fallait, nous dit-on, la soigner comme un enfant.
Dès l'époque de son entrée, cette femme offrait une prostration considérable. Les jours suivants, l'état adynamique se prononça de plus en plus, une abondante diarrhée survint, la respiration devint stertoreuse, et la malade ne tarda pas à succomber. » (Gabriel Andral, Clinique médicale, ou choix d'observations recueillies à l'hôpital de la Charité, Paris, De Deville Cavelin, 1834)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Naissance d'une vocation
Charles Bonnet, génial découvreur de la parthénogenèse du puceron et concepteur de la « palingénésie philosophique » décrit, dans ses Mémoires autobiographiques, la naissance de la terrible hantise qui devait le conduire, quelques années plus tard, à commettre l'homicide de soi-même : « J'étais dans ma seizième année, lorsque le premier volume du Spectacle de la nature me tomba par hasard entre les mains. Je l'ouvris au chapitre du Rien. Je sentis à l'instant une sensation que je ne puis comparer qu'à celle que Malebranche éprouva à la lecture de L'Homme de Descartes. Je ne lus pas le livre, je le dévorai. Il me semble que se développait en moi un nouveau sens ou de nouvelles facultés ; et j'aurais dit volontiers que je ne faisais que commencer à vivre. La débonnaireté admirable du Rien m'avait fortement frappé. Je brûlais de le voir en personne et de me donner à lui tout entier. »
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Du traumatisme infantile à la psychose (variante)
Fait peu connu mais qui en dit long, l'enfant Emmanuel M. n'eut pas de jouets : son père lui faisait regarder des images religieuses montrant par exemple le Christ agonisant sur la croix, Abraham levant son couteau sur Isaac, ou le Père Dupanloup obtenant la rétractation de Talleyrand sur son lit de mort.
Comment s'étonner dès lors si le disciple de Ricœur fit ensuite de l'angoisse une catégorie essentielle de sa pensée et s'il dut se séparer d'Alexandre Bénalat juste après s'être fiancé à ce dernier, séparation qui fut son « écharde dans la chair » car elle attestait l'impossibilité où se trouvait le « penseur complexe » de rentrer dans les catégories humaines ordinaires, et notamment le mariage — si tant est qu'on puisse appeler le conjungo une « catégorie humaine ordinaire » ?
Le coup de lune (Georges Simenon)
Avait-il une seule raison grave de s'inquiéter ? Non. Il ne s'était rien passé d'anormal. Aucune menace ne pesait sur lui. C'était ridicule de perdre son sang-froid et il le savait si bien qu'ici encore, au milieu de la fête, il essayait de réagir.
D'ailleurs, ce n'était pas de l'inquiétude à proprement parler et il aurait été incapable de dire à quel moment l'avait pris cette angoisse, ce malaise fait d'un déséquilibre imperceptible.
Pas au moment de quitter l'Europe, en tout cas. Au contraire, Joseph Timar était parti bravement, rouge d'enthousiasme.
Lors du débarquement, à Libreville, du premier contact avec le Gabon ? Le navire s'était arrêté en rade, si loin qu'on ne voyait de la terre qu'une ligne blanche, le sable, surmontée de la ligne sombre de la forêt. Il y avait de grandes houles grises qui soulevaient la vedette et l'envoyaient heurter la coque du paquebot. Timar était seul au bas de la coupée, avec l'eau sous ses pieds, guettant le canot qui s'approchait une seconde pour repartir avec la lame. Un bras nu, le bras d'un nègre, l'avait happé. Et ils s'étaient éloignés, le nègre et lui, en bondissant par-dessus les crêtes. Plus tard, peut-être un quart d'heure, peut-être plus, alors que le navire sifflait déjà, on accostait une jetée en cubes de béton jetés pêle-mêle les uns sur les autres.
Là, il n'y avait même pas un nègre. Personne n'attendait personne. Rien que Timar au milieu de ses malles !
Mais ce n'est pas à ce moment que l'inquiétude était née. À bien y réfléchir, elle avait toujours été là. Selon Heidegger, en effet — et Joseph Timar ne pouvait qu'acquiescer —, l'angoisse est l'une des « dispositions » insignes du Dasein. Quant au « pour-quoi » le Dasein s'angoisse, c'est l'« être-au-monde » lui-même : le Dasein est confronté à la nudité de son être, et par contrecoup à cela seul qui lui appartient en propre c'est-à-dire à son être « authentique ». Timar décida de reprendre une coupe de champagne.
(Maurice Cucq, Georges Sim et le Dasein)
Un facétieux énergumène
D'après Plutarque, le fameux Timon, dit « le misanthrope » ou encore « l'ours enragé », aurait un jour assemblé tout le peuple d'Athènes pour l'avertir qu'il allait faire abattre un arbre placé dans son jardin, où quelques personnes étaient déjà allées se pendre, et pour engager à se dépêcher ceux qui pourraient avoir envie de profiter de la même commodité.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Boursouflure
Le calystène, ce nouvel élément découvert par le professeur Calys dans l'Étoile mystérieuse, possède une propriété étrange : tout être vivant — sauf Tintin et Milou — grandit démesurément à son contact. Ainsi, l'araignée échappée de la boîte où Tintin conservait son en-cas devient-elle rapidement un monstre terrifiant de la taille d'un varan de Komodo.
Ce phénomène peut être rapproché de celui que les savants nomment hypertrophie du Moi, qui touche surtout les philosophes de profession. Philippe Hecquet, dans son ouvrage La médecine, la chirurgie, et la pharmacie des pauvres publié à Paris en 1749, indique un moyen simple de guérir les « amis de la sagesse » frappés de ce mal :
« S'il arrive que le Moi grandisse dans des proportions extravagantes, c'est une occasion à bien des philosophes de le couper, jusqu'à se faire de grandes douleurs. Mais un moyen plus facile, et qui réussit, c'est de ratisser doucement le Moi, et de faire dégoutter incontinent dessus du suif d'une chandelle allumée ; ensuite on l'enveloppe seulement d'un linge, qu'on assujettit avec un peu de fil. Il faut avoir un peu de patience ; et, après qu'on aura renouvelé ces applications de temps en temps, le Moi retrouvera sa taille normale. »
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Éternellement jeune
L'autopsie pratiquée hier sur le corps de la Britannique de 32 ans retrouvée morte sur l'aire de repos de Manéhouvillle, à la sortie de Dieppe, dimanche après-midi, a confirmé l'hypothèse du suicide. La jeune femme a utilisé un collier de serrage en plastique.
La veille, elle avait déjà fait une tentative en sautant du car-ferry où elle était passagère, dans le port de Dieppe. Ses proches, joints par téléphone, ne se sont pas montrés autrement surpris. Selon eux, la jeune femme était profondément hostile au vieillissement qu'elle considérait, comme le romancier Romain Gary, « catastrophique », « atroce » et « dégoûtant ». (Paris Normandie, 22 mars 2017)
(Martial Pollosson, L'Appel du nihil)
Bugle
À treize ans, Heidegger prend des cours de bugle et commence à jouer dans la fanfare municipale de Meßkirch. Ses parents sont trop pauvres pour lui acheter un instrument, et il doit utiliser un bugle que lui a prêté un autre membre de la fanfare. Défiler lors des kermesses l'embarrasse atrocement, mais il réalise que la musique a un effet apaisant sur ce qu'il n'ose encore appeler son « Dasein ».
Des années tard, cette sensibilité musicale se ressentira dans son œuvre, et il n'est pas exagéré de parler d'une écriture fuguée des Beiträge zur Philosophie, voire d'une forme-sonate de Sein und Zeit. Quant à son style, on y reconnaît aisément l'influence de Mozart, et celle de Bach plus encore.
(Jean-René Vif, Scènes de la vie de Heidegger)
Densité du réel
De santé délicate, le mathématicien français René Baire était sans cesse tourmenté par son œsophage, et il lui arrivait de subir de graves crises d'agoraphobie. En 1904, il est cependant invité à donner un cours pendant six mois au Collège de France, et il saisit cette occasion pour exhiber de nombreux résultats fondamentaux, parmi lesquels le suivant, connu sous le nom de théorème de Baire : l'intersection d'une famille dénombrable de parties ouvertes et denses de l'ensemble des réels est encore dense !
On ne saurait affirmer avec certitude que ce « coup de tonnerre » fut à l'origine de la décision que prit Raymond Roussel de se détruire, mais de nombreux indices le laissent soupçonner. Quoi qu'il en soit, le 14 juillet 1933, l'écrivain met fin à ses jours dans sa chambre du Grand Hôtel des Palmes, à Palerme, en ingérant une dose massive de barbituriques. Le 2 juillet, il avait déjà tenté de s'ouvrir les veines, mais avait été sauvé in extremis par son mystérieux chauffeur Orlando et par sa « gouvernante » (Gragerfis), Charlotte Dufrêne. Dans les premières années du XX e siècle, il avait publié plusieurs livres assez déroutants pour susciter l'adulation des surréalistes, avait inventé le camping-car, déposé un brevet sur l'utilisation du vide, et s'était livré en général à toutes sortes d'excentricités. Son suicide fut la dernière.
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Recherche spirituelle sur l'être
L'homicide de soi-même n'est-il pas le moyen par excellence de se rendre réceptif à la vie de l'inanimé et à capter ce que Marcel Banquine appelle les « métaphores de l'indicible », les « messages chiffrés qui nous viennent des choses » ?
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
lundi 23 juillet 2018
Déterminisme et chaos
On sait que certaines lois physiques, par exemple le principe fondamental de la dynamique, se traduisent par des équations différentielles vérifiant les hypothèses du théorème de Cauchy-Lipschitz. Ce dernier assure alors le caractère déterministe du mécanisme décrit par la loi en question.
Ce déterminisme aurait de quoi désespérer l'homme du nihil s'il se traduisait toujours par une possibilité de prédiction (l'homme du nihil est en effet très attaché à son libre arbitre). Heureusement, ce n'est pas le cas, car la théorie du chaos établit la possibilité de l'existence de phénomènes inopinés, comme la pensée de se détruire en se pendant avec ses bretelles.
(Włodzisław Szczur, Mathématique du néant)
Stratagème inefficace
Quand la morale et l'esthétique se font trop oppressantes et ajoutent leur poids à celui déjà écrasant de l'haeccéité, l'homme du nihil boit jusqu'à en être noir, pensant trouver dans cette noirceur un remède à ses maux. Le poëte Jules Lemaître n'a-t-il pas dit :
« Chers primitifs, ô Bamboulas,
Benjamins de la terre antique,
Grands innocents qui n'avez pas
De morale ni d'esthétique. »
Mais cette ruse inepte ne donne rien. Le Moi y est, il y est toujours...
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Allégresse
Une fois qu'il a pris la décision irrévocable de se détruire, l'homme se sent comme allégé, le temps se met au beau, le baromètre monte ; et les hirondelles, par leur vol élevé, les sangsues, par leur penchant à se tenir hors de l'eau, etc., indiquent qu'elles ressentent le changement qui s'opère dans l'atmosphère mentale du désespéré.
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Lutter contre l'isolement grâce aux animaux de compagnie
« Tous les quinze jours, la maison de retraite Benoît Frachon accueille Mélanie Coulon, psychomotricienne, intervenante en médiation animale. Cette semaine, celle-ci était accompagnée de son fidèle chien Fado. Pour cette séance, les résidents étaient huit : Jeannette, Léocadie, Ghislaine, Jeanine (une nouvelle résidente), Madeleine, Margot, Robert et Alain.
"En tant que psychomotricienne, je pratique la rééducation cognitive et motrice, explique Mélanie Coulon. La médiation animale, c'est mettre en relation des animaux éduqués et des personnes en difficulté, celles notamment qui ont la pénible sensation de vivre isolées dans un univers de menace et de désolation sans autre perspective que la mort. J'essaie de créer du lien social et de leur faire réutiliser l'ensemble de leur potentialité au quotidien." Et cela par le biais de différents exercices comme celui consistant, pour les "naufragés de l'existence", à s'enfermer la tête dans un sac en papier jusqu'à ce que mort s'ensuive.
"Je tiens à souligner, continue la psychomotricienne, que contrairement à ce que soutient Heidegger, les chiens comprennent parfaitement ce que signifie la mort de leur maître, parce qu'ils possèdent comme nombre d'animaux supérieurs l'intuition vitale, élémentaire bien qu'authentique, de la mort. La thèse heideggérienne selon laquelle « l'animal est pauvre en monde » est donc d'une indigence phénoménologique abyssale." » (La Voix du Nord, 2 février 2018)
(Francis Muflier, L'Apothéose du décervellement)
Un esthète de l'anéantissement
Le suicidé philosophique exerce son activité dans le vide, sans attendre du public critiques ou applaudissements. La perfection formelle de son geste suffit à sa béatitude.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Les révélations de la mort
Haddock, dans sa cellule du Temple du Soleil, un jour avant la date prévue de son exécution sur le bûcher, se tient la tête entre les mains, effondré : « C'est fini !... Plus rien à espérer !... Jamais je n'ai touché à ce point le fond du désespoir ! »
Que peut-on dire à un homme qui touche le fond du désespoir ? « Ce n'est rien, il suffit de prendre de l'aspirine, de se frictionner avec du vinaigre, d'appliquer un sinapisme, et ça passera » ? C'est ainsi que parle la sagesse populaire, mais Haddock n'a cure de ce genre de consolation. Et à l'instar de l'« homme du souterrain » cher à Dostoïevski, il refuse de s'incliner devant le « mur de brique » de la nécessité.
Voici ce que dit de l'expérience haddockienne le philosophe Léon Chestov dans une lettre à sa fille datée du 13 avril 1921 : « Auparavant le whisky, la pipe, les cartes et les jurons semblaient être à Haddock le summum de ce que l'on pouvait atteindre. Il n'apercevait ni le soleil, ni le ciel, il ne voyait rien dans la vie, bien qu'il eût tout devant les yeux. Et lorsque arriva la mort, il comprit subitement qu'il n'avait rien vu, comme si dans la vie rien n'existait en dehors du whisky, de la pipe, des cartes et des jurons. Tout ce qu'il avait pu voir de vrai, il l'avait vu durant son enfance, sa jeunesse, puis l'avait oublié, employant toutes ses forces uniquement à ne pas être lui-même, mais à être comme "tout le monde". Aussi la révélation de la mort n'est pas une négation de la vie, mais, au contraire, plutôt une affirmation — mais une affirmation d'autre chose que de cet habituel remue-ménage de souris par lequel se laissent prendre les hommes. »
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Questions entomologiques
Comment comprendre ce que M. Viktor Motchoulski, le célèbre entomologiste russe, en décrivant le Lucanus tetraodon Thunberg, a voulu exprimer par un noir faiblement noirâtre ? Et quand il évoque le Blaps cylindrica Herbst, que peut-il bien vouloir dire par pattes et antennes grelées ?
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Schopenhauerisme débridé
« Le parquet des mineurs de Verdun a retenu hier la thèse de l'acte prémédité contre un adolescent de 17 ans, soupçonné d'avoir tué, lundi à Bar-le-Duc, deux de ses frères, âgés de 14 et 9 ans, avec un couteau, un hachoir et un marteau.
L'adolescent "a préparé son coup et avait formulé son projet de tuer ses frères. Il n'a pas provoqué l'absence de ses parents, mais il a profité de leur départ pour passer à l'acte", a indiqué le procureur, Thierry Villardo. "L'adolescent a expliqué qu'il avait tué ses deux petits frères car il n'a pas eu le courage de se suicider. En agissant ainsi, il a dit avoir voulu se suicider socialement", a-t-il ajouté.
Selon les premiers éléments de l'enquête, Rémy et Yoanne ont été tués avec une violence extrême et un acharnement extraordinaire. Après le meurtre, l'adolescent, qui s'était blessé à la main avec le couteau, accidentellement semble-t-il, s'est rendu chez le psychiatre qui le suivait depuis plusieurs mois. C'est ce dernier qui a téléphoné aux policiers.
Selon Aurélien, un des camarades de l'adolescent, "c'était un grand pessimiste, excellent élève dans les matières littéraires et bon dans les disciplines scientifiques".
Les premières investigations ont montré que l'adolescent en était venu à envisager le monde comme une représentation du sujet connaissant, ce dernier ne se connaissant lui-même que comme volonté. C'est cette vision du monde profondément viciée qui, selon les enquêteurs, pourrait expliquer son geste insensé. En outre, au plan moral, il s'opposait à l'eudémonisme de Baruch Spinoza.
Le jeune garçon a été mis en examen pour "assassinats sur mineurs de moins de quinze ans" et écroué dans la soirée. » (Le Télégramme, 10 juillet 1996)
(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)
Appel à la mobilisation
Face à la pression « sociétale » qu'exercent les partisans de l'euthanasie, les suicidés philosophiques doivent se mobiliser pour conserver leur autonomie et la maîtrise de leur art. Mais comment ? Tout de même pas en faisant la grève du taupicide ?
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
A la poursuite du Moi
Le suicidé philosophique, par cette supériorité que donne le désespoir, par cette finesse de sentiment qui n'appartient qu'à lui, ne perd jamais l'objet de sa poursuite, à savoir l'« odieux Moi ». Avec un flair de pointer, il délie les nœuds du fil tortueux qui seul peut y conduire ; sa vision presque surnaturelle lui fait saisir tous les détours du labyrinthe, toutes les fausses routes où l'on a voulu l'égarer ; et, loin d'abandonner l'ennemi pour un indifférent, après avoir triomphé de la ruse, il redouble d'ardeur, arrive enfin, l'attaque avec un couteau de cuisine, et, le mettant à mort, étanche dans le sang sa soif et sa haine.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Mégalomanie
Seule me distingue du néant l'immodeste ambition d'être nocif.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
dimanche 22 juillet 2018
Je me souviens
Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis dépeint en ces termes la douloureuse vie du romancier Georges Perec : « À l'adolescence, ses jambes se brisent dans une chute de cheval et, les os ne cicatrisant pas, elles cessent de grandir. Seuls son tronc, ses cheveux et sa barbiche poursuivent leur croissance, de sorte qu'il reste nain et son corps atrophié. À plusieurs reprises, victime de la faiblesse de ses "guizots", il échappe de peu à la mort en voulant attraper l'autobus. Persuadé d'avoir été envoûté lors d'un séjour au Mexique, il lutte jour et nuit contre des démons et persécuteurs de toutes sortes. Il passe plusieurs années dans des asiles d'aliénés, où il subit de pénibles électrochocs. Ces atroces expériences le conduisent jusqu'aux "confins de la vie" et lui font écrire : "Dans le monde où je suis, il n'y a ni dessus ni dessous : il y a le Rien qui est horriblement cruel, c'est tout". L'excès de boisson contribue à détruire sa santé, il est frappé de paralysie et meurt à trente-sept ans sans avoir rien créé de mémorable si ce n'est quelques palindromes et, chez ses proches, l'envie d'échapper à ses fatigantes singeries langagières ».
Quelque temps après la parution de son journal, Gragerfis reconnut sa terrible méprise : il avait confondu le « chantre de l'absence douloureuse » avec le philosophe Jean Grenier 1 !
1. Qui ne portait pourtant pas de barbiche !
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
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