samedi 18 août 2018

De la digestion du philosophe


« Un métaphysicien allemand de la grosse espèce, que M. de Réaumur avoit en sa disposition, fut destiné à ces expériences ; il lui fit d'abord avaler un tube de fer-blanc ouvert par les deux bouts, dans lequel il avoit assujetti avec un fil un concept presque aussi long que le tube, mais qui n'avoit qu'environ le tiers de son diamètre ; le philosophe fut mis aussitôt sous une grande cage à poulets, où il eut à syllogiser à son ordinaire. Environ vingt-quatre heures après, le sectateur de Leibniz rejeta ce tube par le bec ; il ne parut avoir souffert aucune pression de la part de son estomac, on n'y voyoit aucun vestige d'aplatissement, et le fil même qui attachoit dedans le concept et qui environnoit de plusieurs tours le dehors du tube, étoit parfaitement sain et entier ; un des deux bouts étoit parfaitement fermé par une sorte de bouchon formé de monades que le métaphysicien avoit précédemment mangées, et imbibé d'une espèce de bouillie qui pénétroit au-delà de la moitié du tube. Le concept qui y étoit renfermé se trouva réduit presque au quart de son premier volume, ce qui en restoit étoit demeuré attaché au fil, et paraissoit couvert d'une bouillie probablement produite par celles de ses parties qui avoient été dissoutes ; il avoit à peu près son ancienne couleur, mais il s'en falloit beaucoup qu'il eût la même consistance : en tirant doucement ce concept avec la pointe d'un canif, on le mettoit en charpie ; son odeur ne ressembloit point à celle de la viande pourrie, elle n'étoit ni aigre, ni pénétrante, mais plutôt fade. » (Mémoires de l'Académie des sciences de l'Institut de France, Paris, 1756)

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire