La
vie, ç'aurait peut-être été supportable s'il n'y avait pas eu toute
cette bêtise. Nous en voulons particulièrement à Gaëtan Picon. En
matière de bêtise, les intellectuels sont les pis.
Les
harangues de Salluste sont d'une force, d'une vivacité, d'une éloquence
auxquelles on ne saurait rien ajouter. Pour haranguer aussi bien que
Salluste, il faut se lever de bonne heure. Ce n'est même pas la peine
d'essayer, en fait. Alors puisque c'est comme ça, oublions les harangues
et écoutons plutôt le Grandiloque, qui conseillait de rester allongé et
de gémir. Il n'y a rien de tel pour entrevoir l'essentiel, d'après lui.
C'est bath.
Quand
la mort se présenta devant lui, l'écrivain Pavese lui dit qu'elle était
si belle que la regarder était une souffrance. La mort, surprise, lui
rappela que pas plus tard que la veille il disait que c'était une joie.
Piqué au vif, il rétorqua que c'était à la fois une joie et une
souffrance. Elle déclara alors que tout ça était bien gentil mais qu'il
allait falloir y aller ; qu'il n'était plus l'heure de faire des
phrases.
Quand
vous êtes malade au point de devoir rester assis dans un fauteuil,
courbé en avant, pâle, l'œil hagard, la parole et la respiration
entrecoupées, quand le moindre mouvement vous arrache des cris de
douleur, vous ne pouvez réfléchir avec toute la sérénité voulue à la
notion de souci chez Heidegger. La masse rouge du viscère bouche votre
horizon mental et écrase votre « conscient intérieur » comme ferait une
énorme valise en cuir de vache.
Beaucoup
d'auteurs ont essayé, sans vraiment y parvenir, de fixer notre
attention sur un mets polonais nommé barszcz. C'est une soupe composée
d'orge ou de gruau, cuits avec des carottes ou des choux acides, et qui,
paraît-il, forme un mets aussi sain qu'agréable au goût. Mais nous, la
seule chose qui nous intéresse, c'est que nous allons clamecer — alors
le « barszcz »...
Dans
sa Pharmacopée chirurgicale théorique et pratique (Hérissant le Fils,
Paris, 1771), Jean Nicolas explique ce qu'il faut faire quand on a perdu
tout espoir : « Prenez un scrupule de résine jaune, cinq grains de
rhubarbe, dix grains de conserve de roses rouges, et du sirop simple
autant qu'il en faut. Mêlez et formez-en un bol. Ensuite... Ensuite...
Ma foi... Euh... » — On voit le genre.
Le
docteur Frigerio, directeur de l'asile d'aliénés d'Alexandrie, dit
avoir observé, à la prison de Pesaro, un criminel fou homicide à type
félin qui avait un énorme lobule de l'oreille — ce qui pourrait
laisser penser qu'il existe un lien entre l'hypertrophie du lobule et
vous-savez-quoi.
Pour
pénétrer quelqu'un, pour le connaître vraiment, il suffit de voir
comment il réagit à la phrase « Guy Debord est un con ». S'il s'offusque,
s'il émet des objections, pis, s'il fait du barouf, inutile de continuer : il est lui-même un con.
Ce
n'est pas Marguerite Urcelar mais le siège de Potidée qui fut, selon
Thucydide, l'une des causes majeures du déclenchement de la guerre du
Péloponnèse. L'historien ne parle même pas de Marguerite Urcelar. Il
préfère l'ignorer, et c'est ce que nous devrions tous faire si nous
avions un minimum de jugeote.
Quand
Heidegger souffrait de constipation conceptuelle opiniâtre, il rendait
des vents très fétides, d'après Hannah Arendt. Or justement, Hippocrate
dit que si le malade rend des vents très fétides, il doit se servir d'un
suppositoire ou de lavements jusqu'à ce que les excréments soient
descendus dans les intestins inférieurs. Et bien sûr, boire de l'oxymel.
Pourquoi Heidegger ne le faisait-il pas ? Mystère.
Husserl
a raison à propos de la conscience : il est bien le cas que toute
conscience est conscience de quelque chose. Il n'y a rien à faire, on ne
peut pas en sortir. On peut imiter Henri Michaux et fumer de la « beuh »
ou du « shit », ça ne change rien. D'où la question : quel est l'intérêt
de fumer de la « beuh » ou du « shit », si c'est comme ça ?
Depuis
qu'il a été fait cardinal, monseigneur Vingt-Trois peut servir à
désigner le nombre d'éléments d'un ensemble (il y en a exactement
vingt-trois).
Lorsque,
même en clignant des yeux, l'homme n'arrive plus à distinguer les
herbes des Vosges, il est forcé de constater que le cercle de ses jours
s'avance et que son être va bientôt revenir à sa source primitive : le
Rien.
Né
en 1883 à Paris, mort en 1965 à New York, Varèse a traversé son siècle
comme un marginal et un solitaire, selon le mot de Pierre Boulez. Mais
le bruit qu'il a fait, pour un marginal et un solitaire ! Inimaginable.
Des sirènes, des bruits de camion, des rugissements... Qu'est-ce que
ç'aurait été s'il avait été sociable... On frémit rien que d'y penser.
« Tu
peux écrire des poëmes, ça ne fait de mal à personne et à vrai dire
tout le monde s'en tamponne le coquillard ; mais tu ne mangeras pas de
l'arbre de la connaissance du bien et du mal, car le jour où tu en
mangeras, tu mourras certainement. Non mais tu écoutes ce que je dis, là ? Bon sang ! Il n'écoute même pas, le con ! »
Quand
on croit déceler dans chaque personne que l'on rencontre les symptômes
de la démence, on commence par se sentir soulagé de ne pas être
semblable à ces mabouls, et puis très vite on se sent « seul comme Franz
Kafka ». Alors pour ne plus y penser, on se lance dans les préparatifs
d'une noce à la campagne ou on écrit une « lettre au père ».
Ce
qui rend les écrivains comiques, ce sont les efforts qu'ils font pour
trouver quelque chose d'intéressant et de profond à raconter.
Regardez-les patauger ! En plus, ils n'ont pas compris que l'intéressant
ne nous intéresse pas. Et le profond encore moins. Aux chiottes,
l'intéressant et le profond ! Aux doubles-vécés ! Nous, ce qu'on veut,
c'est des méchants. Des méchants, compris ? Ce n'est quand même pas
compliqué !
Chacun,
une fois dans sa vie, a eu la tentation d'envahir un pays — sans que
ce soit d'ailleurs nécessairement la Pologne. Oui mais voilà : un homme,
ça s'empêche (comme l'a dit fort justement Albert Camus).
Quand
on y réfléchit, Commode avait le droit d'être furax. Échapper au
poignard de Quintianus, à celui de Quadratus, au complot de Maternus,
pour finir étouffé par un esclave — le fameux « athlète Narcisse » —,
il y avait de quoi l'avoir sec.
Si
vous voulez vous procurer du tuf de Pausilippe, allez faire un tour du
côté des champs Phlégréens. C'est dans le golfe de Pouzzoles, au
nord-ouest de Naples. Là-bas, du tuf de Pausilippe, il y en a en veux-tu
en voilà. Mais attention, il peut y avoir des inclusions de piperno,
dans ce tuf. Et les inclusions de piperno, c'est comme l'existence, ça
fait mal au fiak.
Dans
sa chanson Les Copains d'abord, Georges Brassens affirme que son bateau
favori, celui qui « naviguait en père peinard sur la grand mare des
canards », n'a jamais congédié le célèbre situationniste Guy Debord, ni
même envisagé de le faire. Il s'agit selon lui d'une rumeur absurde.
Dans
son Navigateur en solitaire, Joshua Slocum raconte qu'à un moment de sa
traversée, à la fois pour éviter une baleine et parce qu'il n'en
pouvait plus de la suffisance de l'auteur de la Société du spectacle, il
vira Guy Debord (de son esquif, comprenons-nous).
Les
bonnes années, le philosophe Gilles Deleuze pouvait produire jusqu'à
une grosse de concepts, ce qui correspond à une moyenne de presque trois
concepts par semaine. Foucault, Derrida, Lyotard, Kristeva étaient
loin, très loin derrière. Et attention : que du fait main, pas du made
in China. Du solide, du qui vous fait de l'usage. Le rhizome, le pli, la
machine-organe... Des concepts comme ça, on n'en fait plus, ce ne
serait pas rentable.
La
vie, la réalité empirique, l'autrui lévinassien, il est douteux que
tout cela soit un rêve. Calderón doit se tromper. Il s'agit plus
sûrement d'une maladie de la « calebasse ». Quelque cochonnerie — un
streptobacille ? un spirochète ? — fait qu'on voit des choses qui ne
sont pas. Pourvu que ce soit ça !
Si
l'on pouvait, à soi seul, constituer un genre dans la nomenclature
binominale de Linné, on aimerait que ce genre terminât les myriapodes et
la branche isolée des arachnides crustacéens. Mais c'est compliqué, il
faudrait connaître des gens, et puis ça risquerait de créer un sacré
chambard. Il vaut sans doute mieux ne plus y penser.
Si
quelqu'un, dans un esprit de prosélytisme, s'était avisé de porter
l'idée du Rien chez les Gélons ou chez les Daces, il est probable qu'il
se serait pris un coup de massue sur le cassis. Et pareil chez les
Alains et les Sicambres. Tous croyaient dur comme fer au « quelque
chose ». Et avec les barbares, il vaut mieux ne pas insister car ils
pensent tout de suite que vous les avez « mal regardés ».
Morose
de nature, et même neurasthénique, Michel Foucault attendait de la
philosophie qu'elle le déridât, mais cela ne se produisit pas. Il y a
beaucoup de sa faute, à vrai dire, car il avait le don de choisir les
thèmes les plus déprimants : la folie, la prison, la « mort de
l'homme »...