En 1900, Francis Jammes est invité par Henri Vandeputte à donner une conférence à Bruxelles, Anvers et Bruges. Il intitule son exposé Les Poëtes contre la littérature. Nous disons bien Henri Vandeputte.
Telles des marionnettes atteintes d'une forme aiguë de la chorée de Sydenham, les humains font trois petits tours et puis s'en vont. Ils s'en vont dans le soir, un très beau soir d'automne, rejoindre leur véritable patrie : le Rien. Hélas ! quand ils arrivent, on ne leur offre pour s'asseoir qu'un affreux et inconfortable tabouret de Loos ou un affreux fauteuil ottowagnérien.
C'est le Guerchin, le Pérugin, le Parmesan et le Bramante qui jouent à la belote sur le bord du Pô. Et alors y a Ouin-Ouin qui arrive, il s'assied sur son pliant et commence à pêcher. Le Bramante, qui est garde-pêche à ses heures, l'interpelle : « Votre compte est bon. Vous ne savez donc pas que la pêche est fermée ? » Ouin-Ouin sourit de toutes ses dents : « Ah ! Elle est fermée. Je comprends maintenant pourquoi je n'attrapais rien. »
Est dit infundibuliforme tout ce qui est en forme d'entonnoir. Marcel Banquine cite comme exemple l'infini. Il parle plusieurs fois de « l'infini infundibuliforme ». On ne sait pas où il a pris ça, mais ça sonne bien. C'est d'un lyrisme cosmique qui n'est pas sans rappeler Hubert Reeves.
Si l'on s'en tient uniquement aux ouvrages publiés de son vivant, l'itinéraire philosophique de Fink semble marqué par une profonde césure ; mais si l'on se penche sur ses écrits posthumes, on voit qu'en fait il n'en est rien. Son projet théorique se situait au croisement des approches husserliennes et heideggériennes, voilà tout. Il n'y a « pas plus de césure que de beurre au prose ». C'est peut-être décevant mais c'est ainsi.
La mort est un indéchiffrable et profond mystère méontique, au dire de Jankélévitch. Méontique veut dire « qui n'est pas une chose du monde ». C'est un vocable qui permet de faire philosophe sans trop se fatiguer.
Il est connu que le malade exècre les bien-portants, mais ce qui est moins connu c'est qu'il exècre aussi les autres malades. Il leur trouve des « gueules de con » et leur reproche d'encombrer les salles d'attente.
Il paraît que le Bramante était très dépensier. Vivant à Urbino dans les années 1470, il a certainement rencontré le Pérugin. Mais de là à dire que c'est ce dernier qui l'a entraîné sur la mauvaise pente... On n'en sait rien, en fait.
Le négateur Émile Cioran adorait mettre en boîte son ami Ionesco. Il faisait semblant de croire que celui-ci était originaire du Maine-et-Loire et l'appelait Ionesco d'Angers. Il lui conseillait de passer le ballon à Patrick Gonfalone qui était soi-disant « démarqué dans la surface ».
Quand Heidegger souffrait de constipation conceptuelle opiniâtre, il recourait à certain magistère bolonais inventé par un comte Matteï. Ce magistère faisait merveille et aussitôt les concepts affluaient : être-au-monde, être-pour-la-mort, être-jeté... Il en venait tellement que l'ontologue avait du mal à tout noter.
La jalousie d'Albert Béguin n'avait d'égale (en taille) que le béguinage d'Edmond Jaloux (à Bruges). Henri Ghéon, c'est autre chose mais il était gratiné, lui aussi.
Artaud le Mômo était un écorché vif doublé d'un agité. Non seulement il consommait du péyote, mais d'après Adamov, il tapait sur le toit du taxi avec son parapluie en gueulant : « À l'asile d'Ivry ! À l'asile d'Ivry ! »
On peut être bête comme l'est le monstre bipède, c'est-à-dire naturellement, mais on peut l'être aussi par modestie (cas de Paul-Jean Toulet) ou par dégoût de l'intelligence (cas plus épineux nécessitant l'emploi de fractions continues).
On est ému à la pensée — universelle ! — des vacances enchanteresses qu'on aurait pu passer à Plomenez avec Raymonde-Élise Doise. Mais c'est trop tard.
Martin Heidegger, Heinrich Rickert, Gabriel Marcel, Alain Badiou, tous ont cherché à percer le mystère de l'être. Mais soit qu'ils n'avaient pas le bon outil, soit qu'ils étaient empotés, ils se sont cassé les dents. Ils auraient dû plutôt emprunter son chalumeau au Rouquemoute, et là il n'aurait pas duré longtemps, le bon Dieu de coffiot.
On sait très peu de choses sur la vie en général, et sur celle du Giorgione en particulier. Pour Sebastiano del Piombo, on est déjà un peu mieux renseigné.
Après qu'elle s'était livrée au commerce charnel avec Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir contemplait ce plant qui venait de la Guinée. S'agissait-il d'un coléus ? D'un syzygium ?
Ruysbroeck ne chie pas la honte, de se faire appeler « l'Admirable ». Qui est admirable ? Personne n'est admirable ! Fonder le prieuré de Groenendael, écrire des traités de mystique, qu'est-ce qu'il y a d'admirable là-dedans ? Aux chiottes ! Assez de salamalecs !
Par macération, la bienheureuse Marie Alacoque dormait sur une planche. Un jour, pour s'humilier, elle mangea le vomi d'une autre religieuse. Une autre fois, elle se nourrit des excréments d'une personne frappée de dysenterie. Enfin, sa soif de mortification atteignit son paroxysme et elle se fit couper les cheveux par le coiffeur de l'écrivain Hervé Bazin.
Si on pouvait savoir ce que les gens pensent réellement de soi, on aurait encore plus envie de se pendre. Et on se dirait encore plus que c'est un tas de salops.
Quand on lit ou qu'on entend les mots « accent de cordialité qui révèle la familiarité du peintre avec le milieu papal », on pense immédiatement à Baciccia. C'est pratiquement un réflexe conditionné.
Le gars Chandos n'arrivait pas à décrire les émotions qu'il ressentait à la vue d'un arrosoir en zinc, d'une herse abandonnée dans un champ ou d'une cavalcade de rats dans une cave. Alors par dépit, il décida qu'on ne pouvait rien décrire du tout et qu'on pouvait aussi bien envoyer les mots aux chiottes. Et le pis c'est qu'il avait raison : on ne peut rien décrire. On est faits comme des picodons fermiers, mon vieux Milou. Vite, à la capitainerie du port !
Quand le Parmesan ratait une fresque, il disait que ce n'était pas grave, que ça arrivait à tout le monde et qu'il n'y avait pas de quoi en faire un fromage. Le Guerchin n'était pas d'accord.
Quand on est à la fois pessimiste et constipé, on a toutes les raisons d'afficher sur la porte de ses cabinets : « Lascia ogni speranza, tu que entri ».
Voyons voir... Du kabanos pour Bernanos, de la mortadelle pour Claudel, une saucisse de l'Aubrac pour Mauriac, et pour Péguy... peut-être des rillauds ?... Ou du salami, tiens.
On en a assez, de cette réalité empirique qui pue des pieds et du fiacre. On l'a assez vue, touchée et sentie. On voudrait, comme Baudelaire, « dormir, dormir plutôt que vivre » ; ou comme le héros de Huysmans, « rêver à de vagues Bactrianes, d'hypothétiques Cappadoces, d'incertaines Suses — Rotolo ou autre ».