Nouvelle en trois lignes

 

Le mathématicien Carlo Bourlet accusait sa femme d'en avoir. Pour se venger, le 12 août 1913, elle le tua avec une arête de poisson au bord du lac d'Annecy.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Adieu aux forêts

 

Lorsqu'un quidam vous annonce qu'il va falloir être très courageux — et d'autant plus lorsque ce quidam est votre médecin —, vous savez que vous allez bientôt pouvoir dire adieu à toutes les choses, au monde, à la mer, aux forêts ; dire adieu à toutes les roses que l'hiver prépare en secret. Et aussi, cela va sans dire, adieu à la philosophie marcellienne.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Pissage polonais

 

Witold Gombrowicz était un véritable pissage polonais. On peut en dire autant de Stanisław Witkiewicz, mais à la différence de l'auteur de Ferdydurke, ce dernier était aussi un malage.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Moulade ? Forme des retraites ?

 

Finir comme Ravachol, en criant : « Vive la ré... »

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un remède infaillible

 

Si une femme vous attire, pas de panique. L'astuce est de l'imaginer piquant une crise de furie et vous engueulant comme du poisson pourri — ce qui arriverait sûrement tôt ou tard. L'attirance disparaît aussitôt et vous pouvez poursuivre sans trouble votre existence de solitaire.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Phrase

 

C'est une chose de dire qu'on naît seul et qu'on meurt seul, mais c'en est une tout autre que de devoir effectivement le faire (surtout la partie mourir, qui est assez angoissante et pour laquelle on aurait bien besoin de compagnie).

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Pensée magique

Les hypocondriaques finissent par penser (secrètement) que leur hypocondrie va les protéger d'attraper de vraies maladies, mais point du tout. Certains, non seulement en attrapent, mais ils en meurent (ce qui leur fait dire que ça valait vraiment la peine d'être hypocondriaque).

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Appel à témoins

 

Si une personne en proie à une douleur thoracique d'origine inconnue a jamais été réconfortée par la lecture des œuvres de Christian Bobin ou de tout autre poëte, il serait bon qu'elle se signalât.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Exhibitionnisme hippomobile

 

Ce que nous préférons, dans l'œuvre de D.H. Lawrence, c'est la scène un peu leste où le cocher montre son fiacre à Lady Chatterley.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Polysémie

 

Les hindouistes prétendent que pour énumérer tous les sens possibles de la phrase « L'avocat de Paul est véreux », un kalpa (soit 4,32 milliards d'années) ne suffirait pas.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un aimable pongiste

 

Les amateurs de tennis de table se souviennent de Jacques Secrétin, au sourire si doux. Champion d'Europe en 1976. Champion du monde du double mixte avec Claude Bergeret en 1977. Il était parfois suivi d'un housard qu'il aimait entre tous.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Made in China

 

L'illusion du bonheur dure si peu qu'on pourrait la croire fabriquée en Chine.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Chômage existentiel

 

Peu d'ouvrages y parviennent, mais le Practicos d'Évagre le Pontique touche les acédiques. Pas assez pour leur permettre de bien vivre, cependant.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Frage nach dem Ding

 

Martin Heidegger se posait la question « Qu'est-ce qu'une chose ? » Le voyant se casser la tête, Hannah Arendt fut assez charitable pour lui dire qu'il s'agissait simplement d'un objet.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Rivets

 

Le couteau de Lichtenberg se résume aux quelques rivets qui maintiendraient ensemble le manche et la lame si ces derniers existaient. C'est peu mais ce n'est pas le Rien, contrairement à ce qu'ont pu prétendre certains amateurs de mélodrame.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Naïveté du vieux dégueulasse

 

Malgré ses dehors bourrus et son côté cynique, Charles Bukowski était d'une grande ingénuité : il croyait à la « poésie » et plus généralement au fait de « s'exprimer ». Il « tapait à la machine » !

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Abomination de Dunwich

 

Quand on est un « vieux jeton » et qu'on aperçoit sa bobine dans un miroir, on est tenté de réagir comme Macduff devant le cadavre de Duncan : « Ô horreur, horreur, horreur ! Que le cœur ne peut concevoir, ni la langue nommer ! »

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Gaufre du néant

 

Les bouddhistes se préparent au nirvana en s'exerçant chaque jour à approfondir la notion d'irréalité. Quand ils mangent une gaufre, ils s'efforcent de penser que cet acte est éphémère et illusoire, qu'il ne présuppose pas un acteur ni un objet durables. Résultat, ils se retrouvent souvent avec du sucre partout.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Stéphaton ou la connaissance inutile

 

Être seul de sa rue, peut-être même de son quartier, à savoir que le soldat romain qui tendit à Jésus une éponge imbibée de vinaigre s'appelait Stéphaton — et devoir mourir !

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Was machst du hier ?

 

On se sent dans le réel comme Hölderlin devait se sentir chez le charpentier Zimmer : mal à l'aise ; pas à sa place ; et ça pue la résine (ou quelque chose).

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un gautiériste

« Alors ? T'es mallarméen, il paraît ?

— Non, je suis gautiériste. Depuis que j'ai lu le Capitaine Fracasse, je ne jure plus que par Gautier. Je trouve que l’écriture gautiériste, tel un mécanisme en marche vers l’épiphanie poétique, tend à rendre l’art immanent à elle-même (à l'écriture gautiériste, c'est-à-dire). Jusqu’à l’effacement des sutures, mon vieux ! Jusqu’à ce que soient à la fois dépassés et effacés les artifices et instruments qui servaient jusqu’alors cette immixtion, jusqu’au point où “la sphère de la littérature renferme la sphère de l’art.”

— Bon diousse.

— Nous nous interrogerons ici sur le rôle de cette nostalgie picturale dans l’écriture : l’art de l’écrivain ne doit-il pas reconnaître une forte dépendance à cette nostalgie ?

— Ah, je ne sais pas, gars. J'avoue que je n'y ai jamais réfléchi. Bon, il faut que j'y aille. Alors ciao, hein ! Arrivederci !

— Ouais, aux fines herbes. » 

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Ô ma patrie !

 

Quand on pense à la quantité de souffrance qui existe à chaque instant dans le monde, on est envahi par une immense tristesse de Chopin.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

De l'existence des choses

 

Berkeley : On peut démontrer que trois plus quatre égale sept, mais il est impossible — je dis bien impossible  — de démontrer l'existence de cette table.

Hume : Quelle table ?

Berkeley : T'es miraud ? Celle-ci, là.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Emplacement de la vraie vie

 

Le poëte Rimbaud dit que la vraie vie est ailleurs, mais il ne précise pas où. Peut-être dans la ville de Montcuq, où résidait le chanteur Nino Ferrer ? Mais ce dernier a fini par se suicider, alors ça ne doit pas être ça.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Matière préférée

 

Le nihilique aussi aime l'ouate, mais de toutes les matières, c'est le Rien qu'il préfère.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Poëtes barbus

 

Nous n'aimons pas les poëtes en général, mais ce que nous détestons par-dessus tout, ce sont les poëtes barbus. Ils abusent du fractionnement des phrases en sous-phrases sans verbe, et l'emploi seul de cette astuce archaïque nous décourage d'aborder leur « œuvre ».

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Un gars peu distrayant

 

Gilles Deleuze souffrait de difficultés respiratoires, et cela lui assombrissait le moral. Alors parfois, il faisait venir près de lui son ami Michel Foucault pour qu'il le déridât. Mais Foucault, avec ses prisons, sa folie et sa « mort de l'homme », n'était pas le boute-en-train rêvé.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Timeo danaos

 

La philosophie (Socrate, Aristote) et les mathématiques (Euclide, Pythagore) nous ont plongé dans une telle angoisse que nous sommes désormais comme Laocoon : nous craignons les Grecs et leurs présents (il y a aussi Demis Roussos et la moussaka).

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)

Balnéarité du Moi

 

Pour échapper au ridicule d'être nihilique, on peut se qualifier de balnéaire. Mais en un sens, c'est encore pis.

 

(Jean-Guy Floutier, Philosopher tue)