Lorsqu'on
voit ces hideuses mémères, ces grosses dondons, ces vieilles biques, on
se demande comment on a pu être assez bête pour souffrir, étant jeune,
par le « beau sexe ». Mais attendez ! Il y a pis ! Cinq minutes après
avoir croisé l'un de ces spécimens, on aperçoit un tendron et... on
serait prêt à remettre ça! On accepterait avec joie de souffrir comme
devant! Ô vanité des vanités ! Ô rictus bestial de l'existence !
« La chaise
n'est pas dans la conscience », dit Jean-Paul Sartre au début
de L'Imaginaire. Et lorsque le nihilique regarde une chaise, c'est
effectivement la chaise qu'il vise et non son image dans la conscience.
Mais quand il s'agit de s'asseoir, c'est autre chose : il n'oublie pas
que « rien n'est » et préfère rester debout pour ne pas courir le risque
de s'esquinter le fiacre (il possède un fiacre).
Contrairement
à ce que prétend le négateur Émile Cioran, le premier mot qui vient à
l'esprit, quand on descend dans la rue, n'est pas forcément
extermination ; cela peut être xéranthème xénotropique (deux mots, dans
ce cas).
Les gens qui
disent que « c'est ceinture et bretelles », nous aimerions leur verser
du plomb fondu dans la bouche, comme on fit à saint Jovite et à saint
Prime.
Tant est
banal le Rien qu'on le rencontre cent fois par jour sans y prêter
attention. On le confond avec son cousin le quelque chose dont il
emprunte les traits pour se divertir aux dépens du monstre bipède.
Le monstre
bipède se démène comme un forcené : il voyage, il a des aventures
sentimentales, il fréquente des restaurants gastronomiques, il fait de
la plongée sous-marine, etc. — dans le seul but de se créer des
souvenirs et se persuader qu'il n'a pas vécu en vain. Mais il a beau
s'agiter, sa vie se résume tout de même à un monumental zéro — comme
celle du nihilique, certes, mais celui-ci du moins ne s'est pas donné le
ridicule de sauter dans le vide accroché à un élastique, et c'est avec
une grande économie de moyens qu'il est parti de pas grand chose pour
n'arriver à rien.
Toute
relation sentimentale se ramène à une tentative de « placement de
produit ». Il y a toujours tromperie sur la marchandise, mais on s'en
aperçoit trop tard, fasciné qu'on est par les « biberons Robert » et le
« boule ».
Le nihilique
est « l'homme qui dit non » : non à la réalité empirique, non au
vouloir-vivre, non au destin, non au cézannisme géométrique, non au Moi,
non à la vie et à l'instinct. Et cependant qu'il dit non, il dit aussi
l'alternative cruelle, à chaque instant, de la vie et de la mort,
rejoignant curieusement le Baudelaire d'Un mangeur d'opium.
Jeune, on
s'imagine que la femme est « du champagne pétillant de mystère ». Mais
quand on la connaît mieux, on voit qu'elle ne pétille pas du tout,
qu'elle n'est qu'une vulgaire pochetée, et la déception « fait alors
trembler la voix du sens, selon un grondement d'apocalypse qui semble
s'éteindre dans la clameur de sa propre fin ».
Le poëte
Ponge portait aux choses un intérêt si passionné qu'il lui suffisait
d'entendre le mot cageot pour tomber en proie à un « chaos de
paralysies, de trémulations et de spasmes ».
Le
pithécanthrope était sans doute aussi affreux que l'actuel monstre
bipède mais il faisait moins de simagrées. Il assumait son affreuseté et
ne cherchait pas à s'en faire accroire en niant son côté bestial.
Surtout, SURTOUT : il ne créait pas de concepts !
Soi aussi, on
veut déconstruire ! On veut fouquer comme Foucault, dérider comme
Derrida, faire du boucan comme Jacques Lacan et avoir une tête d'ahuri
comme Guattari !
Comme le
vulcanologue Haroun Tazieff, rejoindre l'équipe franco-belge du
physicien Max Cosyns qui explore le plateau calcaire du massif de la
Pierre-Saint-Martin (dans les Pyrénées). Faire des prélèvements.
Sauf à être
une pierre dure rotacée, un rutabaga ou un faldistoire falciforme, il
est impossible de « faire corps » avec quelque existence que ce soit.
Quand, par
politesse, vous leur demandez comment ils vont, neuf fois sur dix les
gens vous répondent qu'« ils vont bien, merci ». Évidemment, ils
mentent. Ce sont des sadistes. Ils veulent juste que vous vous sentiez
encore plus seul avec vos « soucis de santé ». Et le pis, c'est que ça
marche.
Il est sans
doute vrai, comme le soutient l'écrivain Jouhandeau, que « beaucoup de
suicides ne sont dus qu'à une minute de lucidité », mais et alors ? Ça
le gêne ? Il a un problème ? Il a un souci ? Il ne s'est même pas
suicidé, alors de quoi il cause ?
Si, comme le
prétend Husserl, la vie signifie une appartenance active au monde qui
n'est pas régie par les seules lois du monde mais enveloppe au contraire
une relation phénoménalisante aux étants du monde, alors le
nihilique n'est pas vivant. Pour lui, en effet, il n'est pas question
d'avoir la moindre relation phénoménalisante avec qui ou quoi que ce
soit, et surtout pas avec des « étants » (il est excessivement bourru).
Quand on
croit sa dernière heure venue, on fait venir un prêtre et il vous oint.
Mais parfois, c'est une fausse alerte, et alors on a été vainement oint
(c'est gênant).
Le gnostique
Bardesane affirme que le démiurge ne veut plus dormir chez des
gonzesses, tant il est dégoûté de leur pieu. Il y passe trop de paires
de fesses et le démiurge est délicat, nom de Dieu !
Le bonheur
étant chose relative, pour imaginer Sisyphe heureux, il suffit de se
dire que sa situation eût été bien pire si, en plus du rocher, il avait
été affligé d'une bonne femme. Elle l'aurait forcé à « visiter des
sites » et elle aurait changé chaque mois tous les meubles de place.
L'instinct de
conservation existe chez les moindres animaux. Cet instinct comprend
tout ce qui intéresse immédiatement la sauvegarde matérielle de
l'individu et se manifeste sous un grand nombre de formes. Chez le
négateur Émile Cioran, c'était le chapeau. Il ne trouvait jamais son
chapeau quand il voulait sortir au milieu de la nuit pour aller se jeter
dans la Seine.
Non, cher
monsieur : une messe n'est PAS possible. Car comme l'a noté Kierkegaard,
« du possible, ici-bas, il n'y en a pas plus que de beurre au prose ».
Par contre, vous avez le droit de croire aux forces de l'esprit. De
cela, Kierkegaard ne parle pas.
Héraclite
évoque le châtiment qui serait celui du soleil s'il violait les lois de
la nécessité. Mais il ne dit rien de celui, autrement plus terrible, qui
attend le quidam assez bête pour se mettre une bonne femme sur le dos.