« Quand j'entends le mot vivre, je sors mon revolver ou du poison. » (Luc Pulflop)
samedi 8 septembre 2018
Décadence
Comme les noms d'Anaxagore de Clazomène, d'Œnopide de Chios, de Théodore de Cyrène, de Léodamas de Thasos, d'Archytas de Tarente, d'Eudoxe de Cnide, d'Amyclas d'Héraclée, de Theudios de Magnésie, d'Athénée de Cyzique, d'Hermotime de Colophon, sont doux à l'oreille de qui s'intéresse à la genèse de la science mathématique ! Et comme en comparaison les noms de René Baire, d'Émile Borel, de Jacques Hadamard, d'Eugène Catalan, de Gustave Choquet, paraissent plats et mesquins !
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Tathâta
Nous arrivâmes au gîte d'assez bonne heure ; l'on soupa et puis l'on pria Velasquez de continuer l'histoire de sa vie, ce qu'il fit en ces termes :
« Dans le bouddhisme, le terme tathâta — thaumaturgie du mot ! — désigne l'ainséité, autrement dit le caractère de ce qui est "ainsi", "tel que c'est", "en réalité". — Profonde dégoûtation de tout cela. »
Arrivé à ce point, l'on vit que Velasquez avait du mal à se défendre du sommeil. La société se sépara. Je fis en me couchant d'amères réflexions qui me parurent conduire à pouvoir expliquer tout ce qui m'était arrivé par des moyens naturels. Le sommeil me surprit au milieu de ces raisonnements.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Tyrannie bicéphale
Tantôt dans la fureur, tantôt dans l'inertie, l'individu subit la loi de deux puissances oppressives : celle du Moi et celle de l'excrément.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Increvable
« Le médecin me soigna de son mieux, mais un jour qu'il examinait mon Moi œdémateux, il secoua la tête en murmurant : "Si cela continue, l'amputation sera nécessaire." Malgré ses craintes, la forte constitution de ma gabardine conscientale, endurcie par les longues méditations solitaires en mon cagibi et dans les tourbières du nihil réussit à triompher de la maladie ; au bout d'une quinzaine, je pus me lever et composer quelques sonnets à la gloire de l'être-en-soi du garçon de café. »
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Le suave murmure du pachynihil
Le suicidé philosophique entend en permanence le fort chuchotement du Rien contre son oreille, rumeur fraîche qui l'apaise la nuit quand l'insomnie le tenaille. Le Rien n'est pas atteint par l'espèce d'étouffement de la nuit ; il est toujours égal dans sa force, son bondissement torrentueux sur les roches usées du « conscient intérieur ». Et « de ses particules dénégatrices émane un parfum qui relie l'esprit au cosmos » (Marcel Jutique).
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Le Travailleur
Le « Monsieur Baxter » d'Objectif Lune n'est pas un humaniste, c'est le moins que l'on puisse dire. Ce monstre froid au cerveau farci de statistiques, qui dirige le Centre de Recherches Atomiques de Sbrodj, incarne la pensée technicienne à l'état pur, qui « met aux prises une volonté agressive et une nature pensée comme matière inerte, simple objet de pénétration et d'information » 1. En comparaison, comme le docteur Rotule, quoique bourru, nous paraît bénin et sensible !
Vers la fin de sa vie, Baxter, du fait d'une carence en fibres, se trouvera momentanément incapable de « faire » et connaîtra enfin le sentiment intérieur de la présence du Rien. Il regrettera amèrement d'avoir consacré ses jours à des fusées, centrales atomiques et autres billevesées, mais il sera trop tard : comme l'a montré le philosophe Jankélévitch, le temps a en effet un caractère odieusement irréversible.
1. Edmond Chassagnol, Théorie du trop-plein, p. 209.
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
vendredi 7 septembre 2018
Hommage à Enrique Banchs
L'acte défécatoire, où à n'être que grotesque s'accoutume la matérielle existence...
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Sagesse populaire
Les sueurs froides, le pachynihil, la pensée du suicide qui vous transperce comme un bostryche, « ce n'est rien, un refroidissement, il suffit de prendre de l'aspirine, de se frictionner avec du vinaigre, d'appliquer un sinapisme et d'avaler un purgatif », simplement « de faire ce qu'on fait chez soi en pareil cas » et « ça passera ».
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Enfance et jeunesse du suicidé philosophique
« Dès l'âge de dix à onze ans, il s'adonna avec passion à la lecture des romans de Georges Perec, qui ne tardèrent pas à accroître cette susceptibilité nerveuse qui s'était annoncée dès sa première enfance. À douze ans, il avait déjà conçu une forte haine de l'haeccéité, et une inclination non moins forte pour le Rien. À treize ans, cette inclination, que le temps n'avait fait que fortifier, fut enfin contrariée par ses parents. Dès lors, taciturnité, morosité, fuite de la société, recherche de la solitude, goût plus passionné encore pour les romans de Georges Perec, et pour finir, recherche fébrile d'un puits busé, d'une corde de violoncelle, d'un flacon de taupicide, d'une falaise du haut de laquelle se jeter, ou d'un petit pan de mur jaune sur quoi se fracasser. »
(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)
Caïman
Nous nous mîmes encore à errer dans les Alpujarras. Nous arrivâmes au gîte et, lorsque nous eûmes soupé, l'on pria Velasquez de continuer l'histoire de sa vie, ce qu'il fit en ces termes :
« Celui qu'enveloppent les draps glacés de l'angoisse, celui-là est incurieux. Il ne songe pas à s'émerveiller des prodiges de l'esprit humain ni à admirer la brièveté du style de Salluste. Son cerveau ressemble au désespoir muet des caïmans. »
Comme Velasquez en était à cet endroit de sa narration, il parut distrait, et comme nous vîmes qu'il avait quelque peine à retrouver le fil de son discours, nous le priâmes d'en remettre la suite au lendemain.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Le mot et la chose
Le philosophe Bergson, qui sans doute n'éprouva jamais le désir de se détruire, prétendait que si l'on avait envie d'ingérer du taupicide, c'était à cause d'un certain charme magique du mot « taupicide », idée qui exaspérait l'écrivain mondain Paul Valéry, car il y voyait un sophisme. « Si j'admets, disait ce dernier, que le taupicide a bon goût (avant toute expérience particulière), c'est à la substance même (qui s'appelle taupicide) que va mon approbation. Si c'est au contraire le mot de taupicide, que j'approuve, je puis le trouver gracieux, sonore, agréable à prononcer, je ne songerais pas à le manger. » — Bon goût ? Le taupicide ? Ô sancta simplicitas !
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
Soumission
Le poëte se soumet à la rime, le dramaturge aux unités, le suicidé philosophique à l'absolu pouvoir du pachynihil qui l'exhorte incessamment à immoler son Moi.
(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)
Un ambitieux projet
Poussé par le désespoir et la philosophie allemande, je me suis proposé cette tâche inhumaine, médiévale : la destruction de l'étant existant — et de sa monstrueuse émanation, le Moi — comme d'une vermine.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Défection
Par dépit autant que par désir de vengeance, je décidai d'emprunter désormais mon organisation à la classe des céphalopodes plutôt qu'à celle des mammifères.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Clupea pilchardus
Lorsque nous fûmes à table, c'est-à-dire autour d'une nappe de cuir étendue à terre, le cabaliste se mit à tenir plusieurs propos qui annonçaient son mécontentement contre le monde des esprits. Il reprit le même sujet lorsque nous eûmes achevé de manger. Sa sœur, qui semblait y trouver de l'inconvenance, fit ce qu'elle put pour donner un autre tour à la conversation. Enfin, elle pria Velasquez de raconter son histoire, ce qu'il fit en ces termes :
« Incapable de nager, dépourvu de branchies, et cependant pilchard. »
Comme Velasquez en était à cet endroit de sa narration, le cabaliste l'interrompit parce qu'il avait, disait-il, des choses importantes à communiquer à sa sœur. Nous nous séparâmes donc, et chacun s'en alla de son côté.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
Frayeurs enfantines
« Pour l'enfant que j'étais, l'univers des cabinets, où j'avais coutume de lire les Aventures de Tintin, c'était le tumulte et l'incertitude, le royaume des périls sournois où des créatures molles, visqueuses — Rastapopoulos, les frères Loiseau, l'ingénieur Wolff —, se conjuguaient aux lames sourdes de ma mélancolie et au roulis de mon âme. » (Stylus Gragerfis, Journal d'un cénobite mondain)
(Hermann von Trobben, Le Monocle du colonel Sponsz)
Angoisse
D'après l'ontologue allemand Heidegger, l'angoisse provient du « glissement de l'étant dans le néant ». Le monde ambiant ayant été précipité dans l'abîme par quelque séisme pachyméninger, le Dasein est mis face à lui-même. Et sans le monde, le Dasein est désemparé : il se retrouve dans le strict pouvoir-être, ce qui est une situation éminemment désagréable.
Comme pour valider cette théorie, le 2 décembre 1980, le romancier Romain Gary se tire une balle dans la bouche. Selon Gragerfis, le littérateur, en plus d'être angoissé au sens heideggérien du terme, était profondément hostile au vieillissement, un processus qu'il jugeait « catastrophique », « atroce » et « dégoûtant ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
jeudi 6 septembre 2018
Dégringolade fatale
Fameusement renseigné sur la nature humaine par son commerce quotidien avec une mégère au mufle d'hippopotame, l'homme du nihil nie l'existence de la vertu et proclame que toutes les actions du Dasein sont commandées par l'égoïsme. Ainsi débarrassé de toute illusion sur le « monstre bipède », sur l'existence, sur l'idéalisme fichtéen, et cetera, il se livre au néant et marche rapidement à l'athéisme, puis à l'homicide de soi-même.
(Léon Glapusz, Mélancolie bourboulienne)
Au milieu des ruines
De la plante du pied jusqu'à la tête, rien n'est en bon état chez l'homme du nihil : ce ne sont que blessures, contusions et plaies vives, qui n'ont été ni pansées, ni bandées, ni adoucies par aucun onguent. Son viscère est dévasté, ses os sont consumés par le feu, des cafards dévorent sa pachyméninge, ils ravagent et détruisent, comme des barbares. Mais son Moi subsiste comme une cabane dans une vigne, comme une hutte dans un champ de concombres, comme une ville épargnée. — Persistance merveilleuse et déprimante du Moi.
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Imitation de Sénèque
Henry de Montherlant, né le 20 avril 1895 à Paris, est un romancier, essayiste, auteur dramatique et académicien français. Il se donne la mort le 21 septembre 1972 en ingérant du cyanure et en se tirant dans la tempe un coup de revolver. La fascination que nourrissait Montherlant pour les stoïciens l'avait fait qualifier par Gragerfis de « moraliste austère et désabusé » et de « Sénèque en peau de lapin ».
(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)
À la manière de Leibniz
La pensée de se détruire entre dans la pachyméninge du suicidé philosophique « par des différentielles » et non par une « simple division, multiplication » : non par des actions arithmétiques, mais par un insensible processus d'érosion du « vouloir vivre » dont la contrepartie est une suite d'accroissements très petits — à la Leibniz — de la lassitude d'être ceci ou cela.
(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)
Bilan
C'est près du feu, en hiver, qu'allongé sur un lit moelleux, le ventre bien garni, en buvant du vin résiné, en mangeant de temps à autre des huîtres ou des bigorneaux, il faut se poser ces questions : Qu'as-tu fait de ta vie, homme ridicule ? Et quel âge avais-tu lors de l'invasion des Mèdes ? (Pensée renouvelée de Xénophane).
(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)
Persévérance
Nous nous mîmes en chemin d'assez bonne heure, et lorsque nous eûmes fait une couple de lieues, nous fûmes joints par le Juif errant qui, sans se le faire répéter, se plaça entre mon cheval et la mule de Velasquez et commença en ces termes :
« Il n'est vraiment nul besoin de réussir pour persévérer, particulièrement dans l'être. »
Comme le Juif errant en était à cet endroit de son histoire, il s'arrêta tout à coup et, fixant le cabaliste d'un air arrogant, il lui dit : « Fils impur de Mamoun, un adepte plus puissant que toi m'appelle sur les sommets de l'Atlas. Adieu ! » Puis il s'éloigna, et bientôt nous le perdîmes de vue.
(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)
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