mercredi 19 septembre 2018

Un infatigable polygraphe


Comme le Khlestakov du Revizor, le Grand Tout « écrit aussi des vaudevilles ».

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeune femme lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Impuissance du Dasein


L'étant existant — le fameux Dasein des existentialistes — ne veut pas mourir, ni monter là-haut, ni descendre en bas, ni passer au laminoir, ni qu'on le jette dans le feu, ni qu'on le martyrise avec des couteaux empoisonnés, ni que le Rien le regarde avec ses yeux. — Mais ce que veut et ce que ne veut pas l'étant existant, la « nécessité » chère aux idéalistes allemands s'en « tamponne le coquillard ».

(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Accipitres


Comme Rébecca demandait à Velasquez de nous exposer la genèse de son système, il commença ses explications en ces termes :

« Les rapaces sont aussi appelés accipitres. »

L'heure étant venue de faire halte et de dresser les tentes, Velasquez dut remettre à plus tard la suite de son exposé.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Ineffable


Non seulement l'excrément unit la chair et l'esprit, mais il rassemble encore le dicible et l'indicible. Il est cet accord avec l'ineffable sur quoi repose toute profération. Mais l'écoute de l'ineffable exige une lenteur à laquelle est peu enclin l'homme saisi par un besoin pressant.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Oscillation douloureuse


Je me transporte, par une hyppalage hardie, de l'être au non-être, et retour.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Interlude

Jeune femme lisant Forcipressure d'Étienne-Marcel Dussap

Une dignité sans égale


La physionomie des Maures est sévère, rembrunie, bilieuse, comme celle du suicidé philosophique mais sans l'austère dignité qui distingue ce dernier.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Défaut de portance


La « fin de vie », qu'elle prenne la forme du marasme sénile, de la maladie, ou des deux à la fois, est l'occasion privilégiée de faire ou d'approfondir l'expérience de la solitude.

Le psychologue suisse Quinodoz désigne sous le nom de portance (terme d'aéronautique désignant la force qui permet à un aéronef de se maintenir en altitude) l'aptitude acquise dès le plus jeune âge à supporter la solitude grâce à la présence intériorisée de la mère. Que vienne à manquer la santé, que le médecin reconnaisse son impuissance à nous regonfler, et nous voilà seuls. Quelque chose de notre portance est menacé ; nous avons, en quelque sorte, du plomb dans l'aile.

C'est ce qui arriva au philosophe — ou, comme il préférait se faire appeler, au « créateur de concepts » — Gilles Deleuze. Victime de sa trop grande imagination conceptuelle, et désireux d'échapper aux tourments d'une grave maladie respiratoire, il profita de son défaut de portance pour se détruire le 4 novembre 1995 en se défenestrant de son appartement parisien.

« Ce sont les organismes qui meurent, pas la vie. » avait-il déclaré — assez platement, à l'estime de Gragerfis — peu avant, dans un entretien.


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Phosphore


Le lendemain matin, nous nous mîmes en route dès le lever du jour. Le Juif errant ayant fait sa réapparition, le cabaliste lui ordonna de reprendre son récit, ce qu'il fit en ces termes :

« Le phosphore existe dans la nature à l'état de phosphate ; on en trouve également dans les os, le système nerveux, l'urine et dans la laitance des poissons. Il fond à 44°. Soluble dans le sulfure de carbone, il se transforme, lorsqu'on le chauffe dans le vide ou dans l'azote à 240°, en un produit dit phosphore rouge. Ce phosphore n'est pas vénéneux, tandis que le premier est un poison violent. Le phosphore est employé à la fabrication des allumettes chimiques. »

Courroucé par ces propos, le cabaliste le renvoya aussitôt vers les sommets de l'Atlas.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

mardi 18 septembre 2018

Entre-deux


L'excrément est simultanément dans le temps et hors du temps, engagé dans ce monde mais dans un autre monde : contradiction essentielle dont le sujet déféquant ne peut sortir que par un coup de force, un effort presque désespéré de ses muscles abdominaux.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Interlude

Jeune femme lisant l'Appel du nihil de Martial Pollosson

Les adieux à Gand


Avant de commettre l'homicide de soi-même, le poète flamand Jacob van Zevecote (1604‒1646) coucha sur le papier ce déchirant poème d'adieu : « En avant, il faut partir : adieu, douce patrie, qui si souvent éveillais ma veine. Adieu, champs d'Oostacker ; quand les soins et les peines me tourmentaient, votre herbe vive, votre inépuisable verdure dissipaient mes angoisses. Gand, je ne te verrai plus ! Ma nacelle ne me portera plus jusqu'à Tronchiennes, le long des vertes prairies où s'engraissent et pâturent les bœufs que le Danemark nous envoie. Adieu, adieu ! il faut partir ; je dois escalader l'étroit sentier des rochers dont la tête hardie, toujours couverte de neige, défie les hauteurs des cieux. » — On ne fait pas plus poignant.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Vermineuse haeccéité


« Seigneur, hélas ! quel genre cruel de mort j'endure ! Si j'étais livré au bourreau, les tourments enfin m'auraient ôté bientôt la vie ; et si les bêtes féroces me rencontraient dans le désert, elles auraient en peu de temps fait curée de mon corps, mais hélas ! je suis rongé tout vif par cette vermine, et je ne saurais mourir. »

Ainsi parle le désespéré que vrille incessamment la carnassière haeccéité.


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Une existence stérile


Quand l'homme du nihil se retourne sur sa vie, tout ce qu'il voit, c'est un monceau de matière excrémentitielle. Et tandis que dans la commune de Bron (Rhône), l'emploi de la matière fécale « permet aux terrains de porter chaque année les récoltes les plus épuisantes telles que du blé, du chanvre, de l'orge, des pommes de terre » 1, dans son cas, nul blé, nulle orge, nulle pomme de terre, rien n'a germé. Il en est si abattu que c'est à peine s'il trouve la force nécessaire pour continuer d'exister, et pour annoncer par des gémissements dignes du prophète Jérémie les souffrances qu'il éprouve d'un tel fiasco.

1. Bulletin agronomique et industriel, J.-B. Gaudelet, Le Puy, 1840.

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

È pericoloso sporgersi


Mon cerveau donne directement sur le vide.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Interlude

Jeune femme lisant les Exercices de lypémanie de Marcel Banquine

Poire


Le lendemain, le Bohémien, qu'une décoction d'herbes préparée par le cabaliste avait remis sur pied, put reprendre son histoire en ces termes :

« La poire est un fruit des plus savoureux, comme le nihil. On en fait des compotes et des confitures. Il existe d'innombrables variétés de poires que l'on classe d'après leur destination et l'époque de leur maturité. Il y a le doyenné, le beurré, la crassane, la bergamote, la duchesse, la louise-bonne, le bon-chrétien, la fondante, etc. »

Mais il ne put aller plus loin, car une affaire urgente réclamait sa présence parmi les gens de sa horde.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Cercle vicieux


Toute l'histoire du constipé est celle d'une issue impossible, toute son existence tend vers une libération que cette tension même empêche.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Distractions variées


Il existe plusieurs façons de dissiper l'ennui, cette complication de la funeste maladie qu'on nomme l'existence. Tandis qu'un ciel azuré, des sites pittoresques et des campagnes verdoyantes suffisent à la plupart des individus, d'autres ont besoin d'un flacon de taupicide ou d'une corde de violoncelle pour se soustraire aux tristes préoccupations qui les poursuivent.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Définitions du Moi


En psychanalyse freudienne et kleinienne, le Moi est « une instance qui aménage les conditions de satisfaction des pulsions en tenant compte des exigences du réel ». Son rôle initial est, toujours dans l'interprétation freudienne et kleinienne, d'établir un système défensif à la Vauban entre la réalité externe et les « exigences pulsionnelles ».

L'homme du nihil, lui, décrit plus simplement le Moi comme son fléau, un « sinistre polichinelle » qui l'accable de ses singeries et tente incessamment de le ridiculiser. Mais... rira bien qui rira le dernier, grommelle-t-il en fourbissant son revolver Smith & Wesson chambré pour le .44 russe.


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Interlude

Jeune fille lisant la Nostalgie de l'infundibuliforme de Robert Férillet

lundi 17 septembre 2018

Affectation


Hormis peut-être l'haeccéité, l'homme du nihil ne sait rien de plus horripilant que les correspondances littéraires. On s'y pousse du col, on essaie de « faire écrivain », chaque phrase semble dire « voyez comme je suis original et profond ! » En un mot, on veut, comme l'ontologue Heidegger, « péter plus haut que son fondement de l'historialité du Dasein ». — « Avant-hier, je suis allé près de Saint-Michel de Brasparts — rappelez-vous — déjeuner avec Louis Guilloux, que le grand vent a failli suffoquer. Mais toujours vert, et cachant sous une gouaille protectrice une lourdeur sanglotante sur laquelle ne pas trop se pencher. » — « Je t'en foutrai, moi, dit l'homme du nihil, des "gouailles protectrices" et des "lourdeurs sanglotantes" ! »

(Robert Férillet, Nostalgie de l'infundibuliforme)

Désuétude


« Excrémentiel n'est plus guère usité. » (Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, 1872-1877).

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Sentiment d'évidence


Certains « cigares japonais » bien conformés s'imposent avec une telle évidence qu'ils passent imperceptiblement du règne de l'art à celui de la nature : on a beau savoir qu'un hasard, une occlusion, un manque de fibres, solubles et insolubles, eût pu les empêcher de naître, ils font partie intégrante de notre univers au même titre que les données concrètes de notre géographie physique et mentale.

(Raymond Doppelchor, Océanographie du Rien)

Ossu


Pressentant que les aventures du Bohémien touchaient à leur fin, nous attendîmes le soir avec d'autant plus d'impatience, et écoutâmes encore plus attentivement lorsque le chef reprit son récit en ces termes :

« L'adjectif "ossu", peu usité, s'emploie à propos de qui a de gros os : une femme ossue. »

Arrivé à cet endroit de sa narration, le chef bohémien, pris de terribles crampes d'estomac, nous demanda la permission de remettre la suite de son récit au lendemain.


(Jean-Paul Toqué, Manuscrit trouvé dans Montcuq)

Interlude

Jeune femme lisant Prière d'incinérer. Dégoût de Luc Pulflop

Êtres ambigus


N'étant équilibrés ni horizontalement ni verticalement, les suicidés philosophiques sont des êtres ambigus qui, par leur organisation exceptionnelle, semblent devoir être classés dans le groupe qui rassemble presque tous les cheiroptères, quelques insectivores fouisseurs, les pachydermes proboscidiens, et quelques tatous.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Un ratage tragique


À la question : « pourquoi la mort ? », le médecin pythagoricien Alcméon répondait : « Si les humains déclinent, c'est parce qu'ils n'ont pas la force de rattacher le commencement à la fin. » Quiconque y parviendrait, concluait-il, serait immortel.

Malgré tous ses efforts, le poète argentin Leopoldo Lugones n'y parvint pas.
À soixante-trois ans, sa belle moustache « en guidon de vélo » s'avère incapable de le protéger plus longtemps du désespoir et il met fin à ses jours le 18 février 1938 dans une chambre de l'hôtel El Tropezón, à Tigre, en buvant un mélange de cyanure et de whisky.

De façon un peu grandiloque, Gragerfis, prétend qu'« il sentit au plus profond de lui que la réalité n'est pas verbale et qu'elle peut être incommunicable et atroce, et il s'en fut, taciturne et seul, chercher la mort, dans le crépuscule d'une île. »


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)