mercredi 19 septembre 2018

Défaut de portance


La « fin de vie », qu'elle prenne la forme du marasme sénile, de la maladie, ou des deux à la fois, est l'occasion privilégiée de faire ou d'approfondir l'expérience de la solitude.

Le psychologue suisse Quinodoz désigne sous le nom de portance (terme d'aéronautique désignant la force qui permet à un aéronef de se maintenir en altitude) l'aptitude acquise dès le plus jeune âge à supporter la solitude grâce à la présence intériorisée de la mère. Que vienne à manquer la santé, que le médecin reconnaisse son impuissance à nous regonfler, et nous voilà seuls. Quelque chose de notre portance est menacé ; nous avons, en quelque sorte, du plomb dans l'aile.

C'est ce qui arriva au philosophe — ou, comme il préférait se faire appeler, au « créateur de concepts » — Gilles Deleuze. Victime de sa trop grande imagination conceptuelle, et désireux d'échapper aux tourments d'une grave maladie respiratoire, il profita de son défaut de portance pour se détruire le 4 novembre 1995 en se défenestrant de son appartement parisien.

« Ce sont les organismes qui meurent, pas la vie. » avait-il déclaré — assez platement, à l'estime de Gragerfis — peu avant, dans un entretien.


(Johannes Zimmerschmühl, Pensées rancies et cramoisies)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire