jeudi 18 octobre 2018

Pente savonneuse


L'homme du nihil, qui souffre de naissance d'une « fêlure » à la Scott Fitzgerald, tente d'abord de se raccommoder en expérimentant le retrait jusqu'à l'extrême de la sécession. Après quelques années de vagabondage solitaire dans le désert de Gobi de l'existence, il se jette dans une union fichtéenne de l'humain et du divin, qui échoue à son tour. En désespoir de cause, il se tourne alors, soit vers le muscadet, les huîtres et les bigorneaux, soit vers le taupicide, selon que sa nature est épicurienne ou que son tempérament le porte à la mélancolie. Dans les deux cas, il passe aux yeux de l'omnitude pour un « homme perdu ».

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeunes filles lisant Philosopher tue de Jean-Guy Floutier

Noirceur


Dans son poëme Obsession, Baudelaire confesse qu'il « cherche le vide, et le noir, et le nu ». Ceci, à certains égards, ne laisse pas d'être obscur, mais est assurément le sombre aveu d'une sombre tristesse et montre que le poëte partageait quelques penchants avec le suicidé philosophique !

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Dans le miroir


Une larve éruciforme.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Un être de cauchemar


« C'est dans les brumes de la froide et austère Allemagne, nous dit Cuvier, qu'on trouve l'idéaliste transcendantal, cet être tellement hideux que l'imagination a peine à concevoir que son image ne soit pas le résultat des divagations d'un fou bien plutôt que la scrupuleuse copie de la nature. On n'a guère de détails sur les habitudes de ce monstre. On sait seulement, par les débris qu'on a retrouvés dans son estomac, qu'il se nourrit de concepts, et qu'il professe — ironie suprême pour une créature qu'on croirait sortie de la célèbre Tentation de Callot — un amour immodéré du beau et du sublime. »

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeune fille lisant les Scènes de la vie de Heidegger de Jean-René Vif

Kikajon


On trouve dans le Livre de Jonas la surprenante narration suivante : « L'Éternel Dieu apprêta un kikajon, et le fit monter au-dessus de Jonas, afin qu'il fût pour ombre sur sa tête, et qu'il le délivrât de son mal. Jonas se réjouit de grande joie à cause du kikajon. Puis Dieu prépara un ver, pour quand l'aube monteroit le lendemain : lequel frappa le kikajon, dont il se sécha.
Et ainsi quand le soleil fut levé, Dieu prépara un vent oriental, qu'on n'apercevoit point, et le soleil frappa sur la tête de Jonas : dont s'évanouissant, il requit pour son âme, qu'il peut mourir, et dit : Meilleure m'est la mort que la vie. Et Dieu dit à Jonas : Est-ce bien fait à toi, que tu te sois ainsi courroucé pour ce kikajon ? Et il répondit : C'est bien fait à moi, que je me sois ainsi courroucé, voire jusqu'à la mort. Et l'Éternel dit : Tu voudrois qu'on eût épargné le kikajon, pour lequel tu n'as point travaillé, ni ne l'as fait croître : car il est venu en une nuit, et en une nuit est péri. Et moi, n'épargnerois-je point Ninive cette grande ville, en laquelle il y a plus de six vingts mille créatures humaines, qui ne savent point ce qu'il y a à dire entre leur main droite et leur main gauche, et aussi plusieurs bêtes ? »


De nombreux érudits ont cherché à percer le mystère de ce kikajon et ont soupçonné tout à tour la coloquinte, la courge, et même le lierre. Mais selon Gragerfis, l'énigmatique kikajon ne serait rien autre chose que... le ricin ! Mais oui !

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Pensée vivante


La pensée libre, vivante, du nihil s'oppose aussi bien à la pensée pétrifiée du préjugé qu'à la catalepsie conceptuelle de la philosophie dogmatique. Elle est vivante en ce qu'elle perçoit la « réalité mouvante de l'instant » et ne peut être sclérosée par le passé — qu'elle observe comme un froid régolite —, ni taraudée par l'incertitude de l'avenir — qu'elle envisage en toute sérénité puisqu'il ne peut lui apporter qu'une infusion éternelle dans le Rien.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

mercredi 17 octobre 2018

Ultime fantaisie


Chef de file des poètes fantaisistes, Paul-Jean Toulet meurt à Paris le 6 septembre 1920.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Périls du froid


Dans son Journal d'un cénobite mondain, Gragerfis mentionne un monument funéraire grec dont l'inscription évoque la mort d'un voyageur une nuit de ribote : « Passant, écoute le conseil d'Orthon de Syracuse. Ne voyage jamais par les nuits d'hiver quand tu es gris. Car tel fut, vois-tu, mon mauvais destin. Au lieu de reposer dans ma patrie je suis couché ici sous la terre étrangère. » — Et il est un fait que la prise d'alcool, comme l'idée du Rien, provoque une vasodilatation périphérique qui diminue la température interne tout en donnant une impression de réchauffement !

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeune femme lisant la Mathématique du néant de Włodzisław Szczur

Suicide mallarméen


Un solitaire tacite concert se donne, par l'homicide de soi-même, à l'esprit qui regagne, sur une sonorité moindre, la signification : aucun moyen mental exaltant le Rien ne manquera, raréfié et c'est tout — du fait du taupicide.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Règle numéro 8


En toute chose, il convient de mettre un peu de macération.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Résection du Moi


Lorsque le Moi s'oublie au point de se croire immortel, et gonfle hors de toute mesure, l'art possède les moyens de l'amener à résipiscence : on étrangle, à l'aide d'une corde de violoncelle, la base de cet encombrant fongus, qui s'atrophie alors progressivement, ne tient plus que par un pédicule, se flétrit, et tombe enfin, en délivrant son hôte de l'importunité et du danger de sa présence.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Horror vacui


En 1654, Otto von Guericke porte un coup fatal à l'hypothèse de l'horror vacui qui, supposant que la nature, à l'encontre de l'homme du nihil, déteste le vide, avait été pendant des siècles un écueil pour les philosophes et les savants. Dans la spectaculaire expérience qu'il réalise à la cour de Frédéric Guillaume I er de Brandebourg, il raccorde deux hémisphères de cuivre de 51 centimètres de diamètre (les fameux « hémisphères de Magdebourg ») et ôte l'air de l'intérieur de ceux-ci. Il attache ensuite chacun des hémisphères à un attelage de huit chevaux et montre que les « bourrineaux » sont incapables de les séparer. Il remet l'intérieur des hémisphères à pression atmosphérique, et les hémisphères se séparent facilement !

Pour arriver à un tel résultat, von Guericke s'était inspiré des expériences sur les fluides de Torricelli et de leur interprétation correcte par Blaise Pascal (« le moi est haïssable »).

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeune femme lisant la Mélancolie bourboulienne de Léon Glapusz

Ascètes


Celui qui, dégoûté du margouillis de l'existence, décide de sortir du monde pour vivre seul dans la solitude, près ou loin des villes, n'importe, celui-là devient anachorète. Si, au lieu de vivre seul, il se réunit à plusieurs autres ascètes et embrasse la vie commune, il devient cénobite. Quant à celui qui, impatient de fusionner avec le Rien, se précipite dans un puits busé, celui-là devient... un suicidé philosophique. Mais oui !

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Boudin de Königsberg


5 octobre. — Feuilletant le Magasin pittoresque, je tombe sur l'article suivant : « À Königsberg, en Prusse, les bouchers ont coutume d'offrir aux boulangers, le premier jour de l'an, un énorme boudin, qui est promené, comme notre bœuf gras, par toute la ville. Le boudin de l'année 1558 avait 198 aunes de long ; il était porté par 48 personnes. Celui de 1583, porté par 91 personnes, était long de 596 aunes, et pesait 434 livres. Le plus beau d'entre les bouchers marchait en avant, comme un tambour-major, la tête du boudin venant faire plusieurs tours autour de son cou ; le reste serpentait sur les épaules des autres bouchers qui marchaient trois par trois. » — « Et le boudin de Königsberg, tel un boa monstrueux, étouffera de sa mortelle étreinte tout le vivant... »

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Comme l'homme du nihil !


Joseph-Juste Coquereau, né en 1768 à Daon, au sud de Château-Gontier. « Ses excès et ses cruautés compromirent la cause qu'il faisait profession de défendre », selon Descépeaux.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Concert


« Un Anglais séjournant à Ostende manda plusieurs musiciens pour un concert qu'il voulait faire exécuter chez lui. Ils arrivèrent, et, comme ils se préparaient à jouer leur musique ordinaire, l'Anglais tira de son portefeuille un chef d'œuvre, à ce qu'il disait, et le plaça sur les pupitres ; c'était une messe des morts d'un fameux maître d'Italie. Les symphonistes, les chanteurs, s'efforcèrent de mettre dans leur exécution tout le sombre, tout le pathétique, toute la tristesse que ce genre exige ; ils y réussirent si bien qu'au dernier requiem le dilettante se brûla la cervelle d'un coup de pistolet. »

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

mardi 16 octobre 2018

Philosophes fétides


« Le philosophe fétide diffère essentiellement du philosophe ordinaire par l'odeur vive et désagréable qu'il répand par le choc et souvent même par le simple frottement. Cette odeur a quelque analogie avec celle des gaz hydrogènes sulfuré et carburé, et dans les philosophes bien fétides, elle se conserve plus d'une minute après le choc. » (Pierre Marie Sébastien Bigot de Morogues, Notice sur les philosophes fétides des environs de Nantes, in Annales du Muséum national d'histoire naturelle, vol. 9, Paris, Tourneisen, 1807)

(Théasar du Jin, Carnets du misanthrope)

Interlude

Jeune femme lisant Forcipressure d'Étienne-Marcel Dussap

Proverbe nihilique


Le fleuve du Rien importe davantage que l'aspect hirsute de ses rives.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Nécrophores


Les nécrophores sont ces insectes qui se rencontrent sous les cadavres, par exemple de taupe ou de rat, qu'ils enfouissent en s'y mettant à cinq ou six avant d'y déposer leurs œufs. Le nécrophore peut être dit fossoyeur (Necrophorus vespillo, Latr.), mortuaire, (N. mortuorum, Latr.), germanique (N. Germanicus, Latr.), ou inhumeur (N. humator, Latr.). Le nécrophore germanique est le seul à être muni de concepts, au dire de M. Pierre Boitard (Entomologie ou Histoire naturelle des insectes et des myriapodes, Roret, Paris, 1843).

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Évidence consolante


Le suicide est préjudiciable à l'économie du Moi.

(Luc Pulflop, Prière d'incinérer. Dégoût)

Tempête sous un crâne


S'il fallait comparer la pachyméninge de l'homme du nihil à une mer, ce serait certainement l'Euxin, dont Crispus nous dit que « sa surface est presque toujours embrumée, à moins qu'elle ne soit battue des vents : alors les vagues y sont mauvaises, courtes, variées, inégales dans leur fluctuation, dangereuses surtout lorsqu'il y souffle un vent de nord, dont l'effet est de presser les ondes l'une sur l'autre, tandis que le choc du rivage en renvoie d'autres en sens contraire. » Ce vent du septentrion, que l'on peut assimiler à l'idée du Rien, est si violent qu'il fait souvent perdre son foc au navigateur, nous dit Valérius Flaccus.

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)

Interlude

Jeune femme lisant l'Appel du nihil de Martial Pollosson

Rhétorique


Un homme féru de métonymie dira un caudebec, au lieu de dire, un chapeau fait à Caudebec, ville de Normandie. En revanche, quand Tite-Live appelle Annibal le Carthaginois — « le Carthaginois, dit-il, avait un grand nombre d'hommes » —, il use d'une antonomase.

(Barzelus Foukizarian, Journal ontologique critique)

Un héros de notre temps


Humble personnage sans ambition terrestre mais affamé de grandeur spirituelle, réunissant esprit critique et imagination déréglée, attentif au monde extérieur mais aussi observateur de « l'infiniment petit de l'espace du dedans », le suicidé philosophique assume sa condition de « handicapé de la vie » pour mieux la dépasser et, grâce à l'idée du Rien, aller à l'extrémité de lui-même, à cette frontière de notre condition où les mystiques atteignent la plénitude « parce qu'ils sont vidés de tout le vide du monde ».

(Marcel Banquine, Exercices de lypémanie)