Plutarque
note que les Thébains honoraient la belette, tandis que les autres
Grecs regardaient sa rencontre comme un présage funeste. Dans son œuvre,
Émile Cioran ne parle pas de la belette mais il raconte qu'un jour, en
traversant la rue Racine, il a pensé à la tombe de Celan (il ne précise
pas pourquoi).
Émile
Cioran aurait dû se contenter d'écrire : « Rien n'a de sens, la vie est
une grosse tourte de merde et les gens sont des cons. » Tout le monde
aurait compris et l'affaire aurait été entendue. Mais non. Il fallait
parler de Bach, de Tchouang-Tseu, de la tombe de Celan et de tutti
quanti. Il fallait faire le malin. Il fallait amuser la galerie. Oh, bon
Dieu !
Il
est assez commun de voir les désespérés se donner la mort, lorsqu'ils
en ont plein le dos d'être désespérés. Mais les Anglais, c'est autre
chose. Ils se tuent comme ça, sans être spécialement désespérés, ni
particulièrement courroucés, par simple ennui de vivre. La raison n'en
serait-il pas qu'ils sont privés de système nerveux ? Comme les Danois ?
Ou les protistes ?
Samuel
Beckett ne prononçait jamais de jugements de valeur. Il disait que
c'était pour rester dans un état de réceptivité totale à l'égard de la
vie, mais en fait c'était à cause de sa mémé. Cette dernière n'aimait
pas les jugements de valeur et encore moins les gens qui en
prononçaient. Or Beckett ne voulait pas faire de peine à sa mémé, c'est
compréhensible.
Les
raisons de douter, c'est comme les raisons d'avaler du taupicide, on
n'en a jamais trop. C'est en tout cas ce que pensait Agrippa, le
philosophe sceptique. Les pyrrhoniens disposaient-ils de dix arguments — les dix moyens de l'épochè — pour se dispenser de rien affirmer ?
Il en inventa cinq de plus. « Avec quinze, ça devrait être bon, se
dit-il. Ou alors, aux chiottes. »
Linné
consacre au cladonia rangiferina un chapitre poignant de sa Flore de
Laponie. Le lichen ! Quelle vie que celle de cet organisme, composé
d'une multitude de symbiontes ayant des stratégies évolutives
différentes et parfois antagonistes ! Quand on se compare au lichen, on
trouve qu'on a une existence relativement pépère. Seule ombre au tableau : on pense. — Enfin... « jore ».
Une
supposition qu'au cours de votre traversée du désert de Gobi de
l'existence, vous découvriez le plasticien Hans Bellmer percé de plus de
trois cents petits trous d'où sortiraient en nombre prodigieux des
crabes tourlourous ? Cette triste rencontre ajouterait sûrement à la
disposition chagrine de votre âme, déjà bien ennuyée de la monotonie de
ce désert.
Comme
le dit Lémery, la répugnance qu'on a à avaler des poux contribue
peut-être plus à chasser la fièvre que le remède même. Eh bien avec
l'autrui lévinassien, c'est la même chose. On ne l'avale pas, on le
cotoie, et il ne fait pas tomber la fièvre, il la renforcerait plutôt,
mais c'est la même chose.
On
assure que sur les montagnes de Lorraine, par temps de brouillard, il
ne faut qu'un appeau, une petite loge et un bâton fendu pour se faire
chier à mille francs de l'heure. C'est ce que les gens du coin appellent
chasser la mésange. Mais en fait, c'est triste à dire, se faire caguer,
on y arrive très bien partout, même sans appeau, sans loge et sans
bâton fendu.
Comme
tout le monde, vous croyiez les races préhistoriques complètement
éteintes, et voilà que tout à coup vous découvrez, dans une batelière
des environs de Mons, tous les caractères de la race australoïde de
l'âge du mammouth ! S'agit-il d'un cas isolé d'atavisme ? Comble de
gênance, cette batelière montoise, à y regarder de plus près, c'est
votre propre bonne femme !
Dans
son Chymique inconnu, La Martinière, médecin de Louis XV, raconte
plusieurs tentatives infructueuses qu'il fit pour réaliser le Grand
Œuvre. Il essaya avec de la morve, des crachats, de l'urine, de la
révérence parler merde... et rien ; que tchi ; chou blanc sur toute la
ligne. Il ne réussit pas à transmuter les métaux ni quoi que ce soit
d'autre. Sûr qu'il y avait de quoi être furax ! Mais le pire, c'est que
c'est comme ça pour tout, en ce « monde de néant ». Rien ne marche.
Les
algèbres de quaternions sont des objets mathématiques qu'on admire —
admirer « se dit aussi de la surprise que cause ce qui paraît extrême,
excessif dans son genre » selon l'Académie —, mais qui ne suscitent
guère de sympathie.
Il
n'a rien fait de mal si ce n'est, comme Rolla, d'être venu trop tard
dans un monde trop vieux et d'être doté de canines particulièrement
développées. Il ne mérite pas d'être immolé à la folie des hommes. Il
faut sauver Toto le sanglier.
L'homme
ne se résout pas à disparaître corps et biens, il veut laisser une
trace de son passage sur terre, ne serait-ce que merde à celui qui le
lira signé Bigeard. Cette obsession de la trace est un signe de son
immaturité gombrowiczienne.
Il
y a des animaux, soi-disant, dont la morsure est mortelle en Grèce mais
qui sont innocents en Sicile — par exemple le gecko (selon
Théophraste). À voir... Si ça se trouve c'est vrai ? Comme le dit
Pythagore, la vie n'est-elle pas surprenante ?
Nous
avions des organes, des viscères et tout ce qui s'ensuit, et voilà-t-il
pas que la mort nous dépouille de tout ça et nous transforme en un menu
gravier phonématique ! Ba be bi bo bu !
Les
pots de pisse qui font « jore » de se demander s'ils sont un papillon
rêvant qu'il est Tchouang-Tseu ou Tchouang-Tseu rêvant qu'il est un
papillon, on a envie de leur donner les verges. Dans leur for intérieur,
ils savent très bien qu'ils ne sont ni l'un ni l'autre, qu'ils ne sont
que de vulgaires pots de pisse, mais que n'inventerait-on pas pour faire
profond...
— Oui, toi. Il paraît que tu dis que le Bouddha est unique ?
— Euh... Ça se peut.
— Ouais ? Et le Talé-Lama de Lhassa ? Le Pandchan-Remboutchi de
Djachi-Loumbo ? Le Tsong Kaba des Sifan ? Le Kaldan, le Tolon Noor, le
Guison-Tamba du Grand-Kouren, les Houtouktou de Péking ? C'est quoi à
ton avis ?
Faut-il
croire Hérodote quand il dit que les Bouses sont une tribu des Mèdes ?
Cela paraît presque trop beau pour être vrai. Les Boudiens et les
Parétacènes, encore, à la limite...
Si
le caractère vénéneux du réel se confirme, il va falloir trouver une
solution. Il va falloir aller chez Fan Se-Yeng... Rue du Sage Immense, à
Shanghai. Allez, au trot !
Quand
on lit du René Char ou du Philippe Delerm — la gorgée de bière !!! —, le moins qu'on puisse dire est qu'on le sent passer. On éprouve des
attaques convulsives pendant lesquelles la respiration est difficile et
la sensibilité presque totalement abolie. La vue se perd, la pupille
reste largement dilatée. La marche, la station debout même deviennent
difficiles. L'amaigrissement fait des progrès rapides et l'on succombe
bientôt dans le marasme.
La
pipistrelle possède quatre dents incisives à la mâchoire de dessus et
dix à la mâchoire de dessous, ce qui faisait dire à Thomas Bernhard que
cet animal « incarne idéalement la crétinité
catholico-national-socialiste ». Comme à l'accoutumée, le style de
l'écrivain est ici marqué par les particularités du souffle d’un
poitrinaire, se déployant selon un rythme effréné et haletant, avec
heureusement des temps ici et là pour reprendre haleine.
Si
Nerval, au lieu d'écrire des poëmes, s'était consacré à l'étude de la
géologie du Cantal, il ne se serait pas suicidé. Quand on concentre son
attention sur quelque chose de concret, par exemple les mollusques
fossiles du terrain miocène inférieur du bassin d'Aurillac, on ne songe
pas à se pendre.
Pourquoi
l'être humain est-il constamment ridicule quand l'animal ne l'est
jamais ? Parce qu'il a des prétentions. Il fait l'important. Il fait « jore ». L'animal, lui, ne fait pas « jore ». Il ne cherche à impressionner
personne. Il est à la bonne franquette. Surtout : il n'écrit pas de
romans ni ne peint de tableaux de peinture.
Chaque
vie est un roman, si on veut. Seulement ce roman peut être plus ou
moins bien écrit. La nôtre, de vie, son style est parfois diffus,
souvent négligé. Ce qui est sûr, c'est qu'il est inférieur à celui
d'Hérodote. Il manque d'élévation, d'éclat. Certains jours, il est même
inférieur à celui de Xénophon. En résumé, ce n'est pas trop la classe.
Aux
doubles-vécés, on éprouve un sentiment d'harmonie et de sainteté
qu'aucune église n'est jamais parvenue à inspirer. On sent que le « Grand
Œuvre » y est possible — pour peu qu'on prenne d'abord quelques
cuillerées de jus de pruneau.