Le 21
novembre 1968, le négateur Émile Cioran essaie de réparer le lavabo de
son appartement où il a constaté une fuite. Il y parvient mais se fait
mal à la main. Il déclare : « C'est toujours de cette façon que
finissent mes aventures de plombier. » Tout le tragique de la condition
humaine est resserré dans cette phrase avec une force et un bonheur
d'expression suprêmes. Oui, en vérité, c'est toujours de cette façon que
finissent nos aventures de plombier.
Ce qu'Eliade
dit de l'ascèse, on peut le dire aussi bien de la femme : « Par elle,
l'homme est dissous, réduit à un plasma amorphe où se débattent le
désespoir et le néant. »
Le « traczir
d'exister » n'est pas propre à l'homme, il affecte jusqu'aux plus
infimes bestioles. Comme le note le Grandiloque des Carpates : « les
animaux sont presque tous tristes, il n'y a guère que les souris qui
paraissent gaies. »
Rien
d'important, ni en bien ni en mal, ne saurait arriver à l'autrui du
philosophe Levinas, car peu nous chaut de cet affreux. Pour se rendre
indifférent aux vicissitudes de l'existence, il suffit donc d'être à
soi-même son propre autrui.
L'urine de
vache était le seul remède dont les moines étaient autorisés à se servir
dans les premières communautés bouddhiques. Il faut dire que l'urine de
vache... ça vous requinque faut voir comme.
Les gens se
parlent mais ne se disent rien. Et que pourraient-ils se dire ? La seule
chose intelligente qu'on puisse dire à quelqu'un, c'est : « Frère, il
faut mourir. » Mais personne ne le dit car c'est un coup à se faire mal
voir.
« Si haute
était l'idée qu'il se faisait du suicide que tout lui paraissait pâle en
comparaison, et chaque instant où il ne se tuait pas lui semblait d'une
fadeur insupportable. »
Il y a des
écrivains qu'on aime et qu'on admire, mais on les aimerait et on les
admirerait plus encore s'ils n'avaient pas démontré, en écrivant, qu'ils
étaient possédés par l'ambition d'« être quelqu'un ».
Le
« nihilique » est contradictoire. Il dit à la fois que « rien n'est » et
que « tout pue ». C'est une façon de montrer son mépris pour la logique
et les logiciens, depuis Aristote jusqu'à Łukasiewicz en passant par
George Boole.
Quand on
croit ne penser à rien, on pense en réalité à des choses, par exemple au
pappus, ce petit faisceau de poils qui surmonte certains akènes,
notamment chez les astéracées, afin de permettre une dispersion optimale
des graines par le vent. L'expérience est très facile à faire et peu
onéreuse.
Qu'il est
pénible d'être traité comme une « personne humaine », une personne à qui
l'on demande si elle prend les vignettes, alors qu'on se sent
complètement en dehors de tout ça !
Il est caïman
impossible d'exprimer quelque chose de profond avec des mots. Par
contre, avec un colt Frontier ou un revolver Smith & Wesson chambré
pour le .44 russe... on signifie. C'est ce que finit par comprendre
l'écrivain dadaïste Jacques Rigaut.
Quelqu'un qui
soutient que le libre arbitre existe y est contraint par une force
extérieure dont il n'est pas conscient. Et c'est évidemment la même
chose pour celui qui soutient le contraire (à ceci près que lui en est
conscient). Pour toutes ces raisons et compte tenu de ces faits
saillants, il est inutile de discuter du libre arbitre ou de quoi que ce
soit d'autre — surtout avec des imbéciles.
Vieillir,
c'est assister au spectacle de sa propre déchéance, un spectacle riche
en situations comiques et en quiproquos, un vaudeville, mais sans
Jacques Balutin (sauf si l'on est soi-même Jacques Balutin).
Si l'on
pouvait lire la prose de Jean-Guy Floutier en oubliant que l'on est
soi-même Jean-Guy Floutier, il est probable que l'on trouverait l'auteur
fort déplaisant.
« Combien de
fois, en pleine nuit, n'ai-je pas pris mon chapeau pour aller me
tuer ! » écrit Cioran dans ses Cahiers. Et nous ne savons pas, mais
cette histoire de chapeau... Quand on veut se tuer, c'est tout de même
bizarre.
Les personnes
qu'on a connues jeunes et qu'on retrouve après de longues années, on
aimerait qu'elles montrent un peu plus de discrétion dans la
décrépitude.
« Car je ne
tends qu'à connaître mon néant », écrit Blaise Pascal (pensée 372). Le
même Blaise Pascal que certains considèrent comme l'inventeur de la
« berouette » ! Comment un homme qui ne tend qu'à connaître son néant
aurait-il pu inventer un engin aussi agressivement pratique que la
« berouette » ? C'est impossible, voyons !
D'après
Nonnos de Panopolis, le dieu Chronos naquit du néant, ce qui aurait dû
lui donner une certaine débonnaireté. Mais tu parles ! Le temps est le
pire des salops !
Plus on les
observe, plus on se convainc que les humains sont tous incurablement
malheureux. Alors ? Pourquoi ne se tuent-ils pas ? Est-ce qu'ils
essaient de prouver quelque chose ? Mais quoi ?
N'ayant pas
d'histoire, les gens heureux n'ont rien à dire, et nous n'avons rien à
leur dire non plus — si ce n'est ce simple mot : pots de pisse (trois
mots en fait).
Si on était
roumain, on penserait sans doute à ces journées dans les Carpates où,
dans un silence irréel, on écoute le frémissement de l'herbe sous une
brise imperceptible. Mais loin d'être roumain, on est de Bezons !